Directeur pour le Mali de la Fondation International pour les Systèmes Electoraux(IFES), Mathias Hounkpè est basé depuis quelques années à Bamako. De retour au pays où il a participé activement au Colloque organisé par l’Eglise Catholique sur le Code Electoral, Mathias Hounkpè a accepté de répondre à nos questions sur le nouveau Code Electoral. Politologue à la réflexion bien affinée, il décrypte le nouveau Code Electoral qui selon, lui, renferme des dispositions irrationnelles, des éléments de risques s’il est mis en œuvre en l’état.
Le Patriote : Le Bénin a adopté un nouveau code qui fait grand bruit depuis un certain moment. Une partie de la population, de la société civile et même des acteurs politiques contestent certaines dispositions du code. Quelles sont selon vous, en tant que politologue, les insuffisances ?
Mathias Hounkpè : « Je ne parlerai pas d’insuffisances, mais plutôt de risques qui pourraient découler de l’application de ce code. Lorsqu’on parcourt ce code, plusieurs éléments retiennent l’attention.
Le durcissement des conditions de parrainage des duos pour l’élection présidentielle est le premier élément qui retient l’attention.
Ensuite, l’on note le durcissement des conditions d’attribution des sièges à l’issue des élections législatives. Comme vous le savez, à la suite de l’amendement du code électoral en 2019 il fallait, pour la liste de chaque parti politique, gagner au moins 10 % des suffrages exprimés au niveau national pour participer aux partages des sièges à l’assemblée. L’application de ce critère a conduit, aux législatives de 2023, à l’élection de députés provenant de seulement trois (03) partis politiques (actuellement représentés au Parlement). Porter aujourd’hui ce taux à au moins 20% dans chaque circonscription électorale par liste de parti politique, est plutôt très restrictif. Par exemple, à l’échelle mondiale, il n’y a pas de pays qui pratique un seuil aussi élevé pour les élections législatives. De ce que je sais, à l’exception de 2 ou 3 petits pays, le seuil le plus élevé est de 7% et c’est en Turquie. Cela voudrait dire que la situation au Bénin est tellement particulière et unique qu’il nous faut un seuil pratiquement hors du commun.
Avec ce durcissement des conditions d’attribution des sièges aux listes des partis politiques, il est fort possible et même fort probable qu’à l’issue des prochaines élections législatives, un seul parti politique soit représenté à l’Assemblée nationale. Alors qu’il ne devrait pas être souhaitable que les béninois revivent à nouveau l’expérience de Parlement monocolore comme ce fut le cas entre 2019 et 2023. Pour moi, c’est la première source de crainte.
Vous savez, si notre souci c’est de réduire le nombre de partis politiques, nous n’avons pas nécessairement besoin de recourir à des mesures aussi drastiques. On pourrait se demander pourquoi au Ghana, au Nigeria, en Sierra-Leone, au Liberia, aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne, il y a soit deux partis politiques ou deux coalitions politiques qui contrôlent l’essentiel de l’espace partisan alors qu’aucun de ces pays ne pratique de seuil pour l’élection des députés. On devrait peut-être se poser des questions.
Je pourrais ajouter à ce qui précède l’incompréhension que suscite le fait que les partis politiques ayant obtenus au moins 10% de suffrages exprimés au niveau national, et qui sont allés aux élections en alliance, puissent être pris en compte s’ils n’atteignaient pas les 20% par circonscription électorale. Alors que la pratique dans les démocraties est que le seuil soit un peu plus élevé pour les partis qui vont aux élections en alliance (par exemple de 25 ou 30%). Ici également il faudrait se poser des questions.
La deuxième catégorie de problème c’est qu’au fond, il y a plusieurs imprécisions dans le code électoral amendé. Par un exemple, comme l’a si bien montré le professeur Igor Guèdègbé, l’un des panelistes lors du colloque de l’Eglise Catholique, le code est silencieux sur ce qui pourrait se passer si aucune liste n’atteignait au moins 20% des suffrages exprimés dans chaque circonscription électorale à l’issue des législatives à venir. On pourrait, par exemple, décider de reprendre les élections et ainsi jeter 5 ou 6 milliards FCA (ou même plus) en l’air. En règle générale, lorsque des mesures très restrictives sont introduites, il est conseillé de toujours prévoir quoi faire lorsque les conditions ne seraient pas remplies. C’est par exemple le cas pour l’attribution des sièges pour les élections communales et municipales où des mesures sont prévues au cas où les critères pour gagner la majorité des sièges ne sont remplis par aucun parti politique.
Voilà quelques raisons qui justifient la suggestion que j’ai faite lors du colloque ci-dessus mentionné de relire le code afin de réduire aussi bien les risques d’exclusion que les difficultés qui pourraient naître des imprécisions que contient le code dans sa version actuelle.
Le Patriote : Les arguments des chantres de ces réformes est qu’il faut qu’on aille à un nombre restreint de parti et pour faire en sorte que le jeu politique soit un peu plus lisible. Est-ce que vous épousez ces arguments, est-ce qu’il n’y a pas une autre méthodologie ou approche pour arriver à la réduction des partis si ce n’est que ça l’objectif ?
Mathias Hounkpè : Rien qu’avec les critères prévus dans la version de 2019 du code électoral, le nombre de partis politiques au Bénin était passé (de plus d’une centaine) à moins de 20 avec seulement 3 partis politiques représentés au Parlement. A mon avis ce résultat est plus qu’appréciable et je ne comprends pas pourquoi l’on peut vouloir durcir davantage les critères de création des partis politiques et d’attribution des sièges lors des législatives. Et ceci, d’autant plus que pour moi, il faut faire une différence entre le nombre total de partis politiques dans un pays et le nombre de ceux qui participent aux élections et réussissent, par exemple, à obtenir des sièges au Parlement et qui peuvent ainsi bénéficier de soutiens de la part de l’Etat (sur les ressources publiques). Par exemple aux Etats-Unis, il y a plus de 100 partis politiques mais il n’y a que deux qui sont représentés dans les grandes institutions au niveau fédéral.
A mon avis, la limitation du nombre des partis politiques ne devrait pas être le seul et principal objectif des réformes du système partisan. L’objectif principal, c’est la contribution, à travers le système partisan, à une représentation aussi pertinente que possible des différentes composantes de la société dans les différentes instances électives (surtout au niveau du parlement) du pays. Vous savez, par exemple dans un pays comme l’Allemagne le seuil pour l’attribution des sièges à la première chambre est de 5% mais il y a des partis qui sont considérés comme représentant des minorités qui sont exemptés de ce taux. Une fois encore, au fond, ce qui compte c’est moins le nombre de partis politiques que la garantie raisonnable que les composantes les plus pertinentes de la société sont représentées à l’Assemblée. Le jeu politique ne devrait pas se limiter au jeu entre les partis politiques qui décident de ce qui leur convient, mais plutôt en leur capacité à refléter la société, à refléter les préoccupations de la population, à résoudre les problèmes de la société. C’est ça qui devrait être l’objectif ultime.
Par conséquent, est-ce qu’il est possible de dire aujourd’hui, qu’en faisant passer le seuil d’au moins 10% au niveau national à au moins 20% dans chaque circonscription électorale, quels sont les groupes qui peuvent potentiellement être exclus.
Le Patriote : Est-ce qu’on peut réduire le nombre de partis politiques comme on le souhaite?
Oui l’on peut réduire le nombre des partis politiques comme on le souhaite, mais il faut faire attention. Par exemple en se souvenant des premières années après l’indépendance de notre pays, il faut se demander si réduire le nombre de partis politiques à 2 ou à 3 ne nous ramènerait pas vers les situations connues par le passé où les partis représenteraient au fond des régions. Et je ne suis pas sûr qu’imposer au moins 20% de suffrages exprimés par circonscription électorale résoudrait automatiquement cette crainte. A mon avis, aller vers 6 à 8 partis politiques pourrait être une piste de solution qui réduirait les risques de formation de partis politiques potentiellement régionaux
Le Patriote : Il est dit que les élections présidentielles sont sous contrôle de certaines personnalités. Qu’est-ce que vous pensez de cela ? Autrement dit, est-ce que nous sommes en train d’aller vers une élection présidentielle contrôlée ?
Certainement, il n’y a pas de doute par rapport à ça. Un peu comme c’est le cas pour le nombre de partis politiques (où nous avons opéré des choix qui incitent à la création des partis politiques pour ensuite aller chercher des solutions compliquées et drastiques pour réduire leur nombre), nous procédons de la même manière avec l’élection présidentielle. Par exemple, si vous avez travaillé pour réduire de façon drastique le nombre de partis politiques et que vous ajoutez que seuls les partis (et non les élus) peuvent parrainer, pourquoi ne dites-vous pas simplement que ce sont les partis qui désignent les candidats à l’élection présidentielle. Une fois encore, c’est tout comme si on se créait des problèmes pour ensuite aller chercher des solutions complexes et sophistiquées (parfois difficiles à comprendre). Honnêtement, j’avoue que je ne comprends pas. C’est vrai qu’interdire les candidatures indépendantes iraient contre des décisions de la Cour Africaine des droits de l’Homme, mais il y a déjà un moment où nous ne faisons plus très attention aux décisions de ces Cours régionales ou internationales.
Le Patriote : Est-ce que c’est la seule solution parlementaire de revoir la loi qui puisse nous faire sortir de cette situation ? Est-ce qu’il y a une autre solution, je dis cela parce que cette solution me paraît de moins en moins évidente au regard de la campagne autour des bienfaits de ce code ?
A mon avis, relire le code électoral est la solution idéale. Mais au cas où ceci ne serait pas possible, il n’y aura pas d’autres choix que de respecter la loi. Il appartiendra en ce moment aux autres forces politiques et sociales de se donner les moyens de tirer le meilleur de cette loi. Par exemple, comme vous le savez, entre 2019 et 2023, la moyenne en ce qui concerne le taux de participation aux législatives est de 32%. Alors qu’entre 1991 et 2015, la moyenne était de 66%. Cela veut non seulement dire qu’au fond ces dernières années les électeurs ne sont pas allés voter mais également que si demain ils décidaient de sortir pour voter les résultats, malgré le code électoral, pourraient surprendre tout le monde.
Mais je reviens sur ma recommandation à savoir que la solution la plus raisonnable c’est de relire le code électoral, parce que : (i) il est utile de corriger les imprécisions qu’il y a dans le code et (ii) quelle que soit l’issue des élections prochaines, ce code peut nous créer des problèmes dans la phase postélectorale en ce qui concerne la gestion des pouvoirs qui sortiraient desdites élections.
Le Patriote : Merci beaucoup Mr Hounkpe
Interview réalisée par Marcel ZOUMENOU
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