Le 28 septembre 1958 marque un tournant décisif dans l’histoire de l’Afrique, et plus particulièrement de la Guinée, alors territoire sous administration française. Ce jour-là, la Guinée se démarque en rejetant massivement, à travers un référendum, le projet de la Communauté proposé par le général de Gaulle. Ce geste, audacieux et symbolique, devient le premier acte de décolonisation d’un pays d’Afrique francophone, ouvrant la voie à l’indépendance du continent.
Contexte : Le retour de de Gaulle et la réforme constitutionnelle
Après la crise algérienne du 13 mai 1958, le général de Gaulle revient au pouvoir dans un contexte de déstabilisation politique en France et dans ses colonies. L’une des principales réformes qu’il propose est une révision de la Constitution, destinée à moderniser les relations entre la métropole et ses territoires d’outre-mer. Ce texte prévoit la création d’une Communauté franco-africaine dans laquelle les pays colonisés obtiendraient une autonomie, tout en restant sous la tutelle de la France pour les questions cruciales telles que la défense, la politique étrangère et la justice.
Cette Communauté permettrait aux anciennes colonies d’accéder à un certain niveau d’autonomie, mais sous des conditions strictes. Si le référendum de septembre 1958
était approuvé, chaque territoire aurait la possibilité d’accéder à l’indépendance dans le cadre de cette Communauté, tout en continuant à dépendre fortement de la France dans les domaines stratégiques.
La tournée africaine de de Gaulle : Le choc des visions
Pour promouvoir cette nouvelle Constitution et son projet de Communauté, de Gaulle entreprend en 1958 une tournée dans plusieurs pays africains, passant notamment par Dakar, Brazzaville, et Conakry, où il espère rallier les dirigeants africains à sa cause. C’est au cours de cette tournée qu’il s’adresse aux populations coloniales, cherchant à les convaincre des bénéfices de rester liés à la France.
Le 24 août 1958, lors d’un discours à Brazzaville, il annonce officiellement la décolonisation progressive de l’Afrique noire francophone par l’intermédiaire de cette Communauté, qui offrirait une autonomie limitée mais stratégique. C’est également à ce moment-là que l’opposition claire de la Guinée commence à émerger.
Le défi de Sékou Touré : Un refus historique
Sékou Touré, leader du Parti démocratique de Guinée (PDG) et figure montante du mouvement panafricaniste, rejette ouvertement cette proposition. À l’époque, la plupart des dirigeants africains semblent favorables au compromis proposé par de Gaulle, notamment en raison des avantages économiques que la France continue de garantir. Mais Touré, inspiré par des idéaux de liberté et d’autodétermination, adopte une position radicalement différente.
Le 25 août 1958, lors du passage de de Gaulle à Conakry, Touré prononce un discours historique où il lance une phrase devenue emblématique : « Nous préférons la pauvreté dans la liberté à la richesse dans l’esclavage. » Ce discours, porté par un fort sentiment anti-colonialiste, fait écho aux aspirations profondes d’une Afrique prête à se libérer des chaînes du colonialisme, malgré les risques économiques.
Furieux, de Gaulle réplique avec froideur : « L’indépendance est à la disposition de la Guinée. Elle peut la prendre en disant « non » à la proposition qui lui est faite. […] Elle en tirera les conséquences, mais d’obstacles, elle n’en fera pas. » En privé, il aurait confié à ses proches : « La Guinée n’est pas indispensable à la France. Qu’elle prenne ses responsabilités. »
Le vote historique du 28 septembre
Le 28 septembre 1958, le référendum a lieu dans toutes les colonies africaines et en métropole. Partout, le « oui » l’emporte largement, sauf en Guinée où 95,2 % des électeurs votent « non ». Ce résultat, inattendu pour certains, témoigne du soutien massif de la population guinéenne à l’indépendance prônée par Sékou Touré. Tandis que dans les autres territoires africains le « oui » triomphe, avec des scores dépassant souvent les 90 %, la Guinée s’illustre comme une exception.
Le rejet du projet constitutionnel est un signal clair : la Guinée veut tracer sa propre voie, en dehors de l’influence française.
Les conséquences immédiates : Une rupture brutale
Le 2 octobre 1958, la Guinée devient officiellement le premier pays d’Afrique francophone à proclamer son indépendance. Toutefois, cette indépendance est suivie de représailles immédiates de la part de la France. Le 29 septembre, à la veille de la proclamation d’indépendance, le gouverneur français informe Sékou Touré que Paris cessera toutes ses aides économiques et retirera l’ensemble de son personnel technique, ainsi que ses forces armées.
La France quitte la Guinée sans ménagement, emportant avec elle ses fonctionnaires, ses infrastructures, et jusqu’aux ampoules électriques des bâtiments administratifs. Cette rupture soudaine plonge la Guinée dans une situation économique précaire, alors que le pays venait à peine de s’engager sur le chemin de l’indépendance.
Le soutien de l’Afrique et du bloc soviétique
Face à cet isolement imposé par la France, la Guinée cherche rapidement des alliés. Kwame Nkrumah, alors Premier ministre du Ghana, offre son soutien à Sékou Touré, tandis que l’Union soviétique et d’autres pays du bloc de l’Est proposent leur aide pour remplacer les Français. La Guinée se rapproche ainsi de l’URSS et de la Chine, ouvrant une nouvelle ère de relations internationales qui marquera l’histoire du pays.
L’indépendance de la Guinée, bien que difficile dans ses débuts, devient un symbole de résistance pour de nombreux pays africains qui, dans les années suivantes, suivront son exemple en accédant eux aussi à la souveraineté.
Un héritage durable
Le « non » de la Guinée au référendum du 28 septembre 1958 n’est pas simplement un acte politique, c’est le point de départ d’une vague d’émancipation pour l’Afrique. Ce rejet, mené par Sékou Touré, démontre que la liberté n’a pas de prix et qu’un peuple, malgré les défis économiques et les pressions extérieures, peut choisir de se libérer de la tutelle coloniale.
Aujourd’hui, ce moment est célébré comme un jalon crucial de l’histoire guinéenne et africaine. Le courage politique de Sékou Touré et du peuple guinéen continue d’inspirer les mouvements panafricanistes, renforçant l’idée que l’indépendance véritable nécessite non seulement une rupture avec les anciennes puissances coloniales, mais aussi une vision claire de l’autonomie et du développement national.