Depuis hier mercredi, on sait avec précision de quoi accuse-t-on les trois personnalités de l’Etat arrêtées dans la nuit du lundi 23 au mardi 24 septembre. Selon le procureur de la Cour de Répression des Infractions Economiques et du Terrorisme(CRIET) Mario Mètonou, ils ont été arrêtés parce qu’ils goupillaient un coup d’Etat pour demain vendredi 27 septembre. Seulement voilà, le scénario semble n’avoir convaincu que peu de Béninois. Que ce soit son originalité, son timing, le casting des acteurs…tout paraît « gros » et surtout ridicule.
Col Pascal Tawès, Reckya Madougou, Professeur Frédéric Joel Aïvo…et puis Olivier Boko, Oswald Homeky, Dieudonné Tévoédjrè. Tous ont en commun d’avoir été accusés de vouloir faire un coup de force pour écourter le mandat de Patrice Talon. Si le premier a échappé habilement à toutes les tentatives d’arrestation, ses lieutenants eux ont eu moins de chance. Une bonne quinzaine de personnes jugée proche de lui a été épiée, arrêtée puis jetée en prison pour plus de deux ans. L’ex-égérie de «Touche pas ma constitution », bien que n’étant pas accusée d’un coup de force qui attente directement à la vie du chef de l’Etat a eu la peine la plus lourde : 20 ans de réclusion criminelle dans un procès où l’accusation ne pèse pas le duvet d’un oiseau. Idem pour le constitutionaliste Frédéric Joel Aïvo, bénéficiaire dit-on du projet de coup d’Etat financé par un certain Arnaud Houédanou, un personnage fantôme qu’on ne verra jamais pendant tout le procès. Là aussi, malgré l’absence de preuves matérielles et le rejet en bloc des accusations par l’un des deux hommes commis pour le fameux coup d’Etat, la peine a été sans appel : dix ans de prison lui, un militaire démobilisé et son acolyte policier.
Il n’y a donc rien d’extraordinaire à accuser quelqu’un de vouloir fomenter un coup d’Etat. Au Bénin, cette accusation tend à devenir depuis 2013 une infraction courante. La seule nouveauté ici c’est le profil des acteurs qui sont tous de la majorité présidentielle au pouvoir et tous proches du chef de l’Etat. Le premier, Olivier Boko est l’ami personnel du chef de l’Etat qu’il suit partout comme son ombre. Lui-même n’a pas manqué de l’affubler de louanges : « Olivier Boko et moi, nous sommes mélangés » ou « Olivier m’a vu nu ». Et ce n’est pas exagéré de dire que c’est presque à deux qu’ils ont géré le pays jusque là. Olivier Boko ayant gardé une large parcelle de pouvoir dans la sphère publique et dans les machinations politiques. Puis il y a Oswald Homeky, jeune ministre de la jeunesse et des sports très proche du chef de l’Etat au point où ce dernier se déplace nuitamment pour assister à l’évènement « Oyémi Fashion », une soirée de mode organisée par l’épouse de ce ministre. Dans le sérail présidentiel, on dit même qu’il est le 3è fils du chef de l’Etat. Enfin, il y a Dieudonné Tévoédjrè, officier supérieur d’armée peu connu du grand public à cause de la sensibilité du poste qu’il occupe depuis 2016 : commandant de la garde républicaine.
Rocambolesque
Le scénario de ce mardi tel que lu par le Procureur Spécial – le même qui a connu de toutes ces affaires – a quelque chose d’intrigant et de ridicule. Le premier fait burlesque est la présentation du procureur. Pour une première fois, sûrement pour que le scénario soit vite gobé, il brandit des images de l’accusation. On voit des liasses de billets de banque disposées à même le sol, des sacs contenant ces billets, un véhicule supposé transporter l’argent et une capture d’écran prouvant un virement bancaire de 105 millions. Le procureur fait rappeler aux Béninois un certain Louis Philippe Houndégnon, brandissant courant 2012 des produits pharmaceutiques et d’autres radioactifs visant à empoisonner Boni Yayi. L’autre détail qui retient l’attention des uns et des autres et sur lequel le procureur a fait l’impasse c’est la gestion des trois co-accusés après leurs supposées arrestations. Selon des sources concordantes, seul le ministre Oswald Homeky est en garde à vue. Les deux autres sont introuvables. Le colonel Dieudonné Tévoédjrè n’aurait été jamais arrêté. Pendant que les avocats de la défense plaidaient pour lui, il était toujours en liberté, confiant à certains de ses proches qu’il n’avait jamais été arrêté. Olivier Boko est aussi introuvable. Certaines sources l’annoncent en garde à vue à la Direction Générale de la Police Républicaine alors que d’autres susurrent qu’il aurait été sorti du pays pour une destination plus sécurisée. Au finish, seul le ministre Homeky est en garde à vue. Pour un coup d’Etat managé à trois, cela paraît surprenant. Enfin, le scénario présente lui-même un faisceau d’éléments qui renforcent le doute. La première chose qui retient l’attention c’est le manque de discrétion des organisateurs. Dans un pays aussi surveillé, comment comprendre que des gens qui furent collaborateurs directs du chef de l’Etat puissent faire autant d’extravagances pour un coup d’Etat : amener autant d’argent en liquidité, le faire transporter dans un véhicule, appeler nuitamment le patron en charge de la sécurité du chef de l’Etat, l’inviter à la maison et lui demander d’agir? Comment comprendre qu’un colonel qui connaît la délicatesse de sa fonction puisse accepter de se rendre chez un ancien ministre qu’il sait être en froid avec son patron ? Evidemment, le colonel Tévoédjrè a joué le mauvais rôle dans cette affaire : celui de l’agent-double, du cheval de Troie qu’on introduit dans un système pour l’espionner et le déstabiliser. Tous ceux qui connaissent et fréquentent Oswald Homeky et Olivier Boko savent qu’ils sont plus intelligents, plus raffinés, plus méfiants et plus prudents pour jouer les rôles qu’on les a attribués dans ce scénario dont l’auteur n’a visiblement pas eu trop d’inspiration.(à suivre)