« Différend entre le Bénin et le Niger sur l’oléoduc : Ma contribution à la résolution de la crise », tel est le titre d’une série de tribunes qu’entend publier l’ambassadeur Moïse Kérékou sur l’oléoduc Niger- Bénin par « devoir de restitution de vérité » et par attachement au « panafricanisme et à l’intégration économique ». Dans cette première partie intitulée « Genèse de l’idée du projet d’oléoduc Niger- Bénin », l’ancien ambassadeur du Bénin près la Turquie expose avec force détails son rôle de pionnier dans la genèse du projet mais aussi les méandres et les conciliabules diplomatiques qui ont prévalu avant son appropriation par l’ancien président Boni Yayi. Neuf ans d’un processus à rebondissements et plein de suspense où le Bénin n’a jamais baissé les bras et est resté fidèle à sa qualité de pays de transit.
Première Partie : Genèse de l’idée du Projet d’oléoduc Niger-Bénin
Des commentaires et critiques fusent de toute part depuis la décision du Bénin de fermer la vanne et la station d’écoulement de Sèmè, du pétrole brut provenant du Niger (gisement d’Agadem), empêchant ainsi les tankers (bateaux pétroliers) de charger au port pétrolier de Sèmè. Une extrême confusion et de nombreuses contradictions règnent aussi autour de ce dossier. Mais il ne fait l’ombre d’un doute qu’il s’agit visiblement du prolongement et de l’une des conséquences collatérales du différend qui oppose notre pays le Bénin et la République sœur du Niger depuis l’arrivée de la junte militaire et la décision subséquente, fortement critiquée et contestée, de la CEDEAO de fermer les frontières avec le Niger ; décision appliquée avec enthousiasme par le Bénin. Toutefois, il est important de souligner ici que juridiquement, selon le principe de primauté du droit communautaire, la norme juridique de la CEDEAO prévaut sur le droit national de chaque État membre. Autrement dit, le droit communautaire s’impose au droit national. En ce qui concerne le bien-fondé ou le mal-fondé de la décision de la CEDEAO, c’est un autre débat. Ce n’est pas l’objet de cet article.
Pour deux raisons, je voudrais intervenir dans ce dossier. La première raison est par devoir de restituer la vérité sur le peu que je connais de ce dossier afin d’éclairer l’opinion publique nationale de la genèse du Projet d’oléoduc en lui-même. La seconde raison tient du souci que je me fais du Panafricanisme et de l’un de ses instruments de réalisation qu’est l’intégration économique régionale aujourd’hui mise à mal par la fermeture de la frontière du Niger et le bras de fer qui oppose les deux pays. Ayant acquis depuis bientôt 3 ans une nouvelle expérience dans le secteur minier, je procéderai à une analyse pointue de la situation qui prévaut. J’espère en fin de compte, que cette réflexion sera utile et pourra orienter les décideurs des deux pays vers une issue plus prometteuse et un dénouement heureux de la crise dont fait partie, un puissant acteur économique transnational et pas des moindres – un acteur plus puissant que les deux États réunis, au regard de sa capitalisation, son chiffre d’affaires et même son résultat net – de la deuxième puissance mondiale, la Chine, qui aura forcément son mot à dire, la Chinese National Petroleum Corporation (CNPC).
Première raison :
En effet, l’idée du Projet de Pipeline est apparue lors de mon séjour en Turquie en tant qu’Ambassadeur. Il ne date pas d’aujourd’hui, ni de 2021 comme beaucoup pourraient le penser à la date de démarrage des travaux du pipeline, encore moins de 2019, date de la signature de l’Accord entre l’État du Niger et la CNPC, mais depuis 2015 lorsqu’un après-midi, au cours d’une réception offerte par l’Ambassade des Pays-Bas en Turquie à laquelle j’ai naturellement pris part, j’ai intercepté une vive discussion entre mes collègues du Niger et du Nigeria. La discussion tournait autour de l’exportation du surplus du brut nigérien via le réseau d’oléoduc du Nigeria.
Pour mémoire, c’est depuis 1969 que le pétrole a été découvert à Agadem par la société américaine Texaco. En 2008, l’État du Niger a signé une Convention de Partage de Production (CPP) pour ce champ pétrolier avec la CNPC, une entreprise pétrolière appartenant à l’État chinois ; convention qui a conduit à la création de la Société de Raffinage de Zinder (SORAZ), bien connue. Petrochina, qui est plus connue dans les affaires internationales, n’est que la filiale cotée en bourse de la CNPC. Pourquoi le pétrole nigérien est resté longtemps inexploité et pourquoi la CNPC, et non Texaco qui a découvert le pétrole, a été choisie, on peut se poser ces questions ! C’est juste parce que le Niger demandait que son exploitation soit couplée à la construction d’une raffinerie. Les compagnies pétrolières ont refusé, arguant que la raffinerie serait non rentable, jusqu’à ce que la CNPC accepte cette condition en 2008. Dès lors, tout s’est accéléré. L’année 2011 a marqué le début de la production de pétrole dans le champ d’Agadem ainsi que l’inauguration de la raffinerie de Zinder située à moins de 500 km du puit d’Agadem. Seulement 20 000 barils/jour étaient raffinés en Super, Gasoil, GPL et essentiellement destinés à la consommation nationale. Et ce n’est pas tout, la CNPC a consacré d’importants investissements de l’ordre de plus de six milliards de dollars pour d’une part développer d’autres champs pétroliers dans l’Agadem. Ces investissements ont permis de porter la production pétrolière du Niger à 110.000 barils par jour, sur lesquels 90.000 barils doivent être exportés. C’est la raison pour laquelle il fallait construire un oléoduc (pipeline) pour l’exportation. Le Niger étant un pays enclavé ; un investissement supplémentaire d’un milliard de dollars a été engagé pour le transport du Pétrole brut vers un port pétrolier d’exportation, celui du Bénin.
Aujourd’hui, les réserves de pétrole du Niger sont estimées à deux milliards de barils. Et selon les projections officielles, le pays produira 200.000 barils/jour en 2026. À partir de cette année 2024, le Niger s’attend à un taux de croissance à deux chiffres. Ceci n’était qu’une digression.
Ayant donc eu l’information à chaud ce jour-là, que le Niger cherchait un débouché pour son surplus de brut, je n’ai pas pu fermer l’œil cette nuit-là. Comment le Bénin pouvait-il capter les fruits de cette importante manne pétrolière du Niger ! Ayant bénéficié d’une solide formation de trois mois dans le domaine avec la National Oil Corporation (NOC) en Libye en 2003, j’ai rapidement entrevu l’opportunité économique (investissements directs et droit de passage) et sociale (emplois directs et indirects) à saisir par mon pays. Il y’avait aussi longtemps qu’on parlait aussi du Port minéralier de Sèmè sans jamais pouvoir le réaliser, peut-être que l’heure a enfin sonné. C’était donc une aubaine.
Le lendemain, je n’ai pas attendu l’ouverture des chancelleries à 9h pour appeler mon collègue et frère l’Ambassadeur Dan-Maradi du Niger avec lequel j’entretenais des relations des plus cordiales, nos épouses se fréquentaient régulièrement aussi, pour lui rendre une visite de courtoisie. À 10h, j’étais déjà pointé devant la Chancellerie du Niger, à quelques encablures de celle du Bénin. J’ai été chaleureusement accueilli comme d’habitude. Après quelques compliments d’usage propres au métier de diplomate, je suis allé directement au sujet de préoccupation sans tergiverser. J’ai pu tirer de mon collègue que le gouvernement nigérien d’alors avait un gros souci pour écouler son surplus de production compte tenu de la situation géographique du pays. Deux solutions s’offraient au Niger. Soit se connecter au réseau existant d’oléoduc du Tchad-Cameroun, solution la moins coûteuse, soit se connecter au vaste réseau du Nigeria. Les négociations étaient engagées mais aucune solution ne pointait à l’horizon. Alors que le Tchad était favorable, le Cameroun faisait monter les enchères en doublant la moyenne du droit de passage, c’était à prendre ou à laisser selon Yaoundé. Quant au Nigeria disposant d’un vaste réseau de pipelines, il se posait un problème de sécurité, avec Boko Haram qui sévissait au nord, les sabotages des oléoducs existants et l’instabilité dans la région du Delta du Niger. Niamey ne pouvait pas se permettre de passer son pétrole par le port de Port Harcourt ; le risque encouru était énorme. Après ce développement, j’ai tout de suite rassuré mon collègue qu’il existait une autre solution qui prendra certes du temps, mais c’est quand même une solution. Je lui ai d’abord fait un petit exposé de comment ça fonctionne dans le secteur et je n’ai pas manqué de lui donner quelques exemples pour le rassurer que c’est bel et bien faisable ; c’était juste une question de financement. Je me rappelle comme si c’était hier avoir même donné l’exemple des infrastructures dont le long pipeline que Kaddafi a fait construire en plein désert pour désaliniser et transporter l’eau de mer dans le fond du pays, en plein désert. Nous avions tous deux regretté ce jour là l’assassinat crapuleux de ce grand homme qui aurait pu d’un claquement de doigts régler notre problème de débouché pour le Niger via le Bénin.
Bref, nous avions décidé de nous mettre à la tâche et d’en parler à nos gouvernements respectifs de cette possibilité. La question de financement devant se poser d’une manière ou d’une autre, nous avons aussi notre petite idée : un financement Turquie Eximbank. Et voilà le problème était réglé !
À l’époque, je sais le Président Yayi Boni très préoccupé du maintien du niveau de croissance nationale. Je dirais même qu’il en était très soucieux, voyant le taux d’accroissement de la population supérieur à celui de la croissance économique. Il disait toujours que si on ne découvrait pas du pétrole ou un minerai à exploiter au plus tôt, on ne pourrait pas maintenir notre niveau de croissance pendant longtemps. En plus de ma fonction hautement politique, j’avais aussi pour mission de saisir toutes les opportunités d’affaires et économiques que pouvait offrir la Turquie. J’étais dans mon bain et totalement à l’aise grâce à ma double formation en sciences de gestion et en science politique. C’était donc avec beaucoup d’excitation et d’empressement que dès mon retour à la Chancellerie du Bénin, j’ai envoyé un câble diplomatique directement à la Haute Autorité et estampillé « confidentiel ». Il ne s’est pas écoulé plus d’une heure pour que mon téléphone sonne. À son habitude, pour certains sujets spéciaux, le President Yayi Boni me demande si la ligne est sécurisée. J’ai répondu : affirmatif Excellence. Ensuite, il dit, j’ai ton papier sous les yeux, quelle est la source de ton information, ce que j’ai eu du plaisir à lui dire tout en remontant aux échanges captés la veille…
Depuis ce jour, je n’ai plus suivi ce dossier. Je ne sais non plus le traitement qui en a été fait par la Haute Autorité. J’ai seulement suivi sur les ondes de la télévision nationale, qui transmettait fraîchement par satellite, le lendemain, dans le JT de 20h de l’ORTB, l’audience que le Président de la République a accordée à l’Ambassadeur de Chine près le Bénin. La semaine qui a suivi, le Président a aussi effectué un aller-retour au Niger pour une visite de travail selon le Communiqué du Ministère des Affaires Étrangères. À l’époque, les rapports entre les deux Hommes d’Etat, le Président Yayi Boni et le Président Mahamadou Issoufou du Niger étaient fraternels et les relations au beau fixe, au point où le Président Yayi l’appelait par son prénom « Issifou », j’en fus (je fus) témoin lors du Sommet Turquie-Afrique à Malabo en Guinée Equatoriale.
Suite à ces deux développements, j’ai pensé à notre dossier et ma joie était immense. Mais de courte durée puisque le retour de mon collègue n’allait pas dans le même sens, Niamey estimait l’investissement très lourd, le Bénin n’était pas dans l’agenda et ne constituait pas une option sur la table. Entre temps, le dossier a évolué. Le Cameroun n’ayant pas montré de signe d’ouverture et avec la pression du Nigeria qui tenait coûte que coûte à capter cette manne financière, c’était l’option du passage par le Nigeria qui était en train d’être retenue par Niamey. Abuja a donné toutes les garanties possibles de sécurité et s’est même engagé pour compenser chaque baril de pétrole perdu par le Niger. Mais, le connaissant, c’était sans compter sur la détermination du Président Yayi qui, lors de sa visite officielle en Turquie, la dernière je pense en 2015, m’a rassuré qu’il n’a pas désarmé et qu’il était sur le dossier. J’ai aussi compris qu’avec son homologue du Niger des démarches ont été menées envers les bailleurs de fonds, notamment la Chine, pour le financement de la construction de l’oléoduc. J’ai été rappelé de mon poste fin 2016 et je ne sais plus ce que ce dossier est devenu. L’État étant une continuité, je suppose que les négociations ont continué avec l’avènement du nouveau régime en 2016, le Président Mahamadou Issifou étant resté au pouvoir jusqu’en 2021, ce qui a abouti à la signature de l’accord de construction en 2019 et au démarrage des travaux deux ans plus tard en raison du Covid-19, en 2021.
J’ai été quand même très heureux et satisfait d’apprendre d’un officiel nigérien plus tard en 2020 que les négociations ont été ardues entre le Niger et la Chine, et que le processus a duré banalement cinq ans, ce qui nous ramène à 2015. Toute chose qui corrobore mes propos.
À suivre…