On le croyait totalement enterré depuis la réforme constitutionnelle de 2019 – avec le renforcement de l’article 42- mais pour autant le projet de 3è mandat de Patrice Talon a bien l’air d’une affaire « non réglée ». Au fur et à mesure qu’on se rapproche de 2026, les velléités, les manœuvres sous-marines et les actes confortent la thèse d’un plausible schéma de confiscation du pouvoir en 2026. Et comment …
Un 3è mandat pour Patrice Talon, l’idée peut paraître bien saugrenue à première vue. Dans un pays qui a fait l’option du pluralisme politique, où le commerce de la démocratie marche vaille que vaille et où chaque dix ans, des alternances régulières se sont opérées, comment peut-on imaginer une telle option ? Surtout qu’en 2019, le même qu’on soupçonne d’être l’auteur du manège, a renforcé le principe de l’alternance et du « mandat unique renouvelable une seule fois » par celui de « deux mandats de sa vie ». Ce dernier règle définitivement le cas moins évident de celui qui, ayant pris le pouvoir et fait deux mandats, reste quelques années à la touche et tente de revenir une seconde fois. Belle anticipation sur le cas « Yayi » accusé, à tort peut être, par des politiques de n’avoir jamais renoncé à un retour ponctuel au pouvoir. Il n’y a pas matière à s’inquiéter. « Circulez ! », dira-t-on en mentionnant qu’il s’agit d’une spéculation de journaliste en quête de buzz ou carrément manipulé par des officines politiques. Le même journaliste qui avait pourtant, à la surprise de tous, annoncé le premier, fin 2014 dans les colonnes de la Nouvelle Tribune, la candidature de Patrice Talon- alors en exil- à un moment où la plupart des hommes politiques débarquaient à Paris pour quémander son soutien pour être candidat. Loin donc des spéculations et même des assurances répétitives du porte-parole du gouvernement, il existe aujourd’hui un faisceau d’indices avec des faits concordants que les spécialistes et les exégètes de la science politique peuvent rassembler, analyser sereinement et aboutir à la conclusion d’un tel projet.
Dissuasion. Le premier indice concerne un plan de dissuasion de toute candidature à l’élection présidentielle de 2026. Ceux qui ont été attentifs aux derniers actes politiques du chef de l’Etat ces derniers jours-ci doivent apercevoir le jeu. Patrice Talon fait une épuration de son entourage qu’il débarrasse de ses proches collaborateurs qui affichent le moindre intérêt pour 2026 et la quête du pouvoir. D’Oswald Homéky à Johannès Dagnon en passant par Aurelien Agbénonci et Séverin Quenum, tous ont en commun le fait qu’ils ont eu soit des ambitions présidentielles ou vouloir soutenir un candidat pour la présidentielle. Oswald Homeky et Sévérin Quenum avaient été, eux, les victimes collatérales de la vendetta lancée contre Olivier Boko, ami personnel et conseiller officieux du chef de l’Etat. Il est peu exagéré de dire que les conditions draconiennes de candidatures à l’élection présidentielle ont été introduites dans le Code Electoral beaucoup plus pour régler l’équation « OB »- acronyme popularisé d’Olivier Boko- que pour acter une éventuelle exclusion de l’opposition. Cette velléité de dissuader toute candidature a été, selon plusieurs médias, la pomme de discorde, entre Patrice Talon et son cousin Johannès Dagnon. Ce dernier aurait, selon des confidences, déploré le fait que le président de la République perd facilement sa quiétude légendaire lorsqu’il s’agit de la question de sa succession en 2026. On peut donc se poser la question de savoir comment on prétend quitter le pouvoir en 2026 et s’opposer en même temps à toute candidature provenant de son entourage ?
Réclusion. Ce premier indice de dissuasion des candidatures proches à lui est renforcé par un autre, celui de l’isolement du prétendu dauphin. En effet, pour atténuer un peu les craintes et les soupçons de ceux qui, très vite, pressentent une stratégie d’embargo sur les velléités de candidature dans la majorité présidentielle, le Chef de l’Etat fait distiller dans l’opinion le nom d’un dauphin. Une bien maligne stratégie qui vise à apaiser les remue-ménages au sein de cette majorité. De quoi rassurer les réactionnaires et les excités de son camp, « qu’il y a au moins parmi eux, un qui retient l’attention du chef et qu’il n’est forcément pas engagé dans un débile projet de s’éterniser au pouvoir. Mais très vite, on se rend à l’évidence que le nom de Romuald Wadagni comme dauphin de Patrice Talon ressemble plus à de la stratégie que de la réalité, d’enfumage politique que d’une véritable candidature. Il se développe autour du Ministre des finances une double-tromperie. Elle consiste à l’exposer comme candidat, dauphin de Patrice Talon et en même temps à l’isoler davantage. Son profil de ministre casanier le prédestine à cela. Il a très peu d’accointances dans les milieux politiques de l’Union Progressiste le Renouveau(UP-R) et du Bloc Républicain(BR). Il a d’ailleurs, lui même, étouffé la petite dynamique politique naissante qui a pris corps l’année dernière autour de sa personne en interdisant par un communiqué toutes les suscitations de sa candidature qu’il trouvait indécentes et prématurées. Présenter celui qui se prépare le moins à cette candidature comme dauphin du chef de l’Etat apparaît comme un jeu politique dangereux aussi bien qu’il aggrave les méfiances envers lui qui, depuis toujours, vivait presque en réclusion, étouffé par ses nombreuses charges au sein du gouvernement. S’il a eu les coudées franches pour nommer quelques proches dans certaines structures du gouvernement, il n’en demeure pas moins qu’il ne pourra guère bénéficier de la galaxie-Talon que ce dernier prend le soin de démanteler pour que nul n’en bénéficie. Le dauphin annoncé semble n’en être pas un. Sauf qu’avec les modifications fréquentes de lois électorales, il est possible d’arriver au scénario où le pouvoir sera transmis par un contrat de succession signé à la Marina que par une élection démocratique proprement dite.
Atterrissage. Tous ceux qui ont pris l’avion une fois connaissent les signes de l’atterrissage. Le commandant de bord annonce 45mn à l’avance, parfois une heure qu’il va amorcer la descente. Il demande aux passagers de regagner leurs places et de mettre leurs ceintures, il allume les signaux lumineux et commence à faire ses manœuvres d’atterrissage. Il en est de même pour un chef d’Etat. A la fin de son mandat, il affiche quelques signes de souplesse. Il se montre plus généreux, fait des concessions et multiplie les mesures sociales envers les plus vulnérables pour soigner son image. Il pense à sa vie après le pouvoir, aux représailles des victimes de ses actions au pouvoir, à sa sécurité et à celle des siens. Il est inquiet sur sa nouvelle vie une fois qu’il sera dépossédé des prestiges et avantages du pouvoir et qu’il sera vulnérable. Les derniers exemples des présidents Kérékou et Boni Yayi le prouvent si bien. Patrice Talon quant à lui, garde toujours son avion à la même altitude, roule à vitesse constante et ne fait aucune manœuvre pour atterrir. C’est ce qui explique le maintien et même le renforcement de sa politique néolibérale et prédatrice des acquis sociaux. Arrestations de webactivistes et de syndicalistes, persécution policière des populations, interdiction et répression sauvage de marches pacifiques contre la cherté de la vie, démolitions des biens immeubles des populations sont autant d’actions qui accroissent l’impopularité de ce régime. Le ras-le-bol est ambiant et les couches sociales grognent. Tout semble amener à la conclusion que Patrice Talon n’a pas 2026 comme année d’atterrissage dans sa tête.
Contexte. Le contexte joue en faveur de Patrice Talon. Dans un environnement ouest-africain où prolifèrent des régimes militaires et autoritaires qui tournent de plus en plus dos aux puissances occidentales et se retournent vers les puissances du BRICS(Brésil-Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud) et la Turquie, Patrice Talon apparaît comme un des pions sûrs sur lequel ils comptent pour perpétuer leurs influences dans cette zone en proie de sérieuses instabilités sécuritaires et en pleine mutation géostratégique. Face à des contestations que peut engendrer un tel projet, ces puissances étrangères peuvent faire l’option de la neutralité « hypocrite » sous le vocable diplomatique de « non ingérence dans les affaires intérieures d’un pays étranger » en laissant les populations seules contester le maintien au pouvoir et faire face à la soldatesque de Patrice Talon suffisamment équipée et aguerrie ces dernières années pour un tel job.
Mais après avoir exposé l’éventualité d’un tel projet, il revient alors de trouver la réponse à une seule question. Comment un tel projet peut prospérer alors que la constitution ne permet pas un 3è mandat ? Réponse d’un proche du système : « Il n’y a pas de sortilège sans antidote ». Une manière de dire que le pouvoir trouvera le remède pour contourner les dispositions légales actuelles. Nous reviendrons dans nos prochaines parutions sur les scénarii possibles de mise en œuvre.