Le vendredi 20 juin 1975, Cotonou a été ébranlé par une mauvaise nouvelle. Le capitaine Michel Aïkpé, alors Ministre de l’Intérieur du Gouvernement Militaire Révolutionnaire ( GMR) sera tué froidement. Le lendemain, la triste nouvelle sera annoncée sur les antennes de la radio nationale. Raison officielle du crime: il aurait eu des relations adultérines avec l’épouse du chef de l’Etat Mathieu Kérékou. L’opinion nationale et internationale en sera peu convaincue puisque plusieurs autres sources agitent la liquidation politique. Cinquante ans après cet assassinat, le mystère entretenu autour renforce cette hypothèse.
Jamais un crime politique n’aura suscité autant d’émotions et n’aura été entouré d’autant de mystères et de versions. Ce vendredi 20 juin 1975, le corps du capitaine Michel Aïkpé, sera découvert presque nu, caleçon rouge légèrement descendu sur le pubis, devant sa résidence de fonction sise dans les encablures de l’ancien cabinet militaire. Les déclarations officielles justifiant le crime ne viendront que le lendemain et plus tard dans Daho Express N°1689 du lundi 23 juin 1975. On peut y lire : « Du récit des faits, il ressort qu’alerté par les militants venus signaler la présence insolite de son épouse au domicile de fonction du capitaine Aïkpé, le chef de l’Etat s’est rendu sur les lieux avec sa garde et a eu à y constater la présence de la voiture qui aurait transporté sa femme jusqu’au logement. Sommés d’ouvrir, les occupants de l’immeuble n’ayant pas voulu obtempérer, la garde présidentielle défonça la porte. C’est alors que le chef de l’Etat a eu à se rendre compte de la présence de son épouse en compagnie du capitaine Aïkpé tout nu.
Ainsi, surpris en flagrant délit d’adultère et alors qu’il tentait de s’enfuir, le capitaine Aïkpé fut incidemment abattu par la garde présidentielle…». Et le communiqué de continuer : « Camarades militantes et militants de la Révolution, bien que cette affaire relève de la vie strictement privée des intéressés, le Bureau Politique National ému et indigné déplore cette trahison entre camarades d’armes et de lutte…». Seule l’hypothétique » trahison » a été déplorée. Sa mort elle, ne méritait aucune compassion, même pas des présentations de condoléances. La thèse ne convainc personne si bien dans les jours suivants, les populations organisent des manifestations de protestation à Cotonou et à Abomey. Manifestations réprimées, dans le sang avec des morts qui auraient été enregistrés. A Saclo( commune de Bohicon) chez le capitaine Aïkpé c’est la consternation. Il était l’espoir de tous. C’était l’arbre dont tout le monde attendait les fruits. Le voir partir à 33 ans était donc une grosse tristesse. Les syndicalistes entrent aussi dans la danse et déclenchent une grève générale sous la direction de Timothée Adanlin et Florentin Mito Baba. Le pays devient presque ingouvernable et le régime militaire procèdent à des arrestations. Plusieurs civiles recherchés furent contraints à s’exiler. C’est le cas du journaliste Jérôme Carlos, d’Antoine Amègnissè, Rigobert Ladikpo…
La thèse de liquidation politique gagne le pays d’autant plus que quelques mois plus tôt, soit en janvier, le capitaine Janvier Assogba fut arrêté avec quelques autres de ses lieutenants pour avoir tenté un nouveau coup d’Etat. Il était celui qui avait dénoncé l’affaire Kovacs- du nom de cet homme d’affaires franco- roumain qui avait créance sur l’Etat- dans laquelle le président Kérékou aurait pieds et mains liés.
« Il s’agit donc d’un plan de liquidation de tout ceux qui ont amené Kékérou au pouvoir», murmure-t-on dans l’opinion. En effet, le coup d’État du 26 Octobre 1972 qui porta le président Kérékou fut l’œuvre du duo d’officiers de l’armée Janvier Assogba- Michel Aïkpé, partis du camp militaire de Ouidah. Ils bénéficieront plus tard de l’appui de Michel Alladayè. Une fois le coup d’Etat réussi, ils remettront le pouvoir à Mathieu Kérékou alors chef d’Etat major de l’armée de terre.
50 ans de mystères et d’opacité
Des années sont passées, l’eau a coulé sous le pont mais ce crime n’a guère été élucidé. Pour raison d’Etat, diront certains car plusieurs autres versions du crime ont subsisté. Janvier Assogba, lui même, a réfuté catégoriquement cette raison officielle de délit d’adultère, arguant qu’il ne pouvait jamais commettre un tel acte dans ce caleçon rouge qui fut l’une de ses blindages spirituels. Un autre militaire membre du GMR, confirmera bien plus tard avoir été appelé par Mathieu Kérékou qui l’informait au palais que le sort du capitaine Aïkpé sera le même qui sera reservé à tous les autres » réactionnaires « , thème souvent utilisé à l’époque pour qualifier tous ceux osaient défier ou contester les décisions prises au sommet de l’Etat.
On ne saura jamais non plus qui a tiré sur le capitaine Aïkpé. Kérékou lui même selon une certaine source? Bah Léman, un militaire de Djougou, membre de la garde présidentielle à l’époque? Ou Martin Dohou Azonhiho que la thèse officielle présentera comme le flingueur du capitaine ministre? On n’en saura pas trop non plus sur le rôle réel joué par la magistrate Béatrice Symphorose Lakoussan, ladite épouse du chef de l’Etat qu’on aurait surpris avec le capitaine Aïkpé. Radiée du corps des magistrats par le régime révolutionnaire, elle en sera réhabilitée des années après. Aujourd’hui d’un grand âge, bénéficiant d’une retraite paisible, elle portera sur sa conscience et peut être et jusqu’à la tombe le secret de cette affaire. Quant à Martin Dohou Azonhiho, flingueur ou non, il aura accepté de joueur le mauvais rôle pour quelques strapontins politiques d’abord puis après il sera nommé Ministre de l’Intérieur, de la Sécurité et de l’orientation Nationale ( MISON) quelques années après et restera l’un des meilleurs collaborateurs du président Kérékou jusqu’à l’extinction du régime en 1990. Aujourd’hui d’un grand âge, vieillard cacochyme, il n’aura assurément plus la chance de laver son honneur après tant d’années d’accusion du » frère traître » car de la même ethnie que le capitaine Aïkpé.
Le Président Kérékou, revenu au pouvoir en 1996 à la faveur de la démocratie, fera un effort pour se racheter. Il nommera Béatrice Lakoussan à la HAAC et prendra le décret N°99-034 du 26 janvier 1999 pour accorder le grade de colonel à titre posthume au capitaine Michel Aïkpé. Ce décret a-t-il été suivi d’effets? L’Etat a-t-il payé des dommages à ses ayant-droits? Difficile de le dire. Nos efforts pour joindre les enfants de ce dernier ont été vains. Mais quelque soit l’importance des compensations accordées, elles ne gommeront jamais la douleur des enfants et ne suffiront pas pour élucider ce crime commis, comme bien d’autres, au nom de la «raison d’Etat».