Alors qu’une modification de la Constitution du Bénin a été introduite à l’Assemblée nationale par deux députés de la mouvance pour vote et adoption, le nouvel article 5-1 suscite une vive inquiétude dans le rang des défenseurs des libertés publiques et des observateurs avertis de la vie politique nationale. Loin d’instaurer un climat de stabilité, cette disposition de la loi est un recul de la vie démocratique avec la suspension de l’animation du débat politique à finalité compétitive, une manière de bannir la liberté d’expression.
L’article 5-1 de la nouvelle Constitution qui est actuellement à l’ordre du jour pour la deuxième session ordinaire de l’Assemblée nationale est une véritable atteinte à la vie politique et au pluralisme qui ont fait la fierté du Bénin depuis la Conférence nationale de 1990. Selon la proposition de loi introduite par les présidents des groupes parlementaires de la mouvance, il est stipulé qu’« à l’élection du Président de la République, les activités politiques des partis politiques et des corps de la Nation doivent converger au renforcement de l’action politique du Gouvernement jusqu’à l’année précédant la prochaine année électorale. Au cours de cette période de trêve des activités de compétition politique, l’activité des partis politiques ne doit pas compromettre l’action politique du président de la République et du Pouvoir exécutif. L’animation du débat politique à finalité compétitive est suspendue. L’activité politique doit être contributive et concourir au succès de l’action politique mise en œuvre par la majorité en charge de la direction de l’État ». En d’autres termes, il deviendrait désormais interdit, pour les partis, mouvements, associations ou même les citoyens, d’exprimer publiquement des positions politiques susceptibles d’alimenter la compétition électorale en dehors des périodes officiellement fixées. Pour les avertis, cet article a uniquement pour objectif de restreindre le droit d’association politique et museler la liberté d’expression pourtant garantis par les articles 23 et 25 de la Constitution actuelle, qui reconnaissent à tout citoyen le droit d’exprimer librement son opinion et de s’organiser pour défendre ses idées. C’est une véritable arme juridique pour réduire au mutisme les voix opposées, un outil qui permettrait d’étouffer le débat public et le pluralisme médiatique au nom d’une prétendue pacification de la vie politique. Désormais, tout discours critique, toute prise de position, toute activité d’un parti d’opposition à l’approche de l’élection présidentielle pourrait être interprétée comme une violation de la Constitution.
La fin du pluralisme politique et médiatique
Le pluralisme politique, fondement essentiel de toute démocratie, est directement menacé. En interdisant aux partis d’animer la vie politique en dehors des échéances électorales, on réduit la démocratie à un simple exercice d’élection sans débat politique, vidé de toute substance citoyenne. De leurs côtés, les quelques médias qui animaient toujours la vie politique du Bénin se retrouveront eux aussi dans une situation délicate, comment informer, débattre, ou donner la parole aux acteurs politiques sans risquer d’être accusés de favoriser un débat compétitif ? Pour dire plus simple, le pluralisme médiatique sera lui aussi supprimé, car toute émission politique ou toute production médiatique libre pourrait tomber sous le coup de la nouvelle constitution. A cette allure, le Bénin fait des pas en arrière en ce qui concerne la vie démocratique à travers laquelle le pays servait d’exemple pour beaucoup d’autres nations. En adoptant l’article 5-1, le Bénin tournerait le dos à plus de trois décennies de démocratie participative et de liberté politique. En somme, cette révision constitutionnelle entre en contradiction directe avec l’esprit de la Constitution du 11 décembre 1990, qui faisait du Bénin un exemple de démocratie en Afrique de l’Ouest. En effet, en son article 2, la Constitution actuelle affirme que la République du Bénin est un État de droit, démocratique et pluraliste. La vraie question reste alors de savoir comment un État peut rester démocratique et pluraliste si ses citoyens, ses partis et ses médias ne peuvent plus débattre librement des orientations politiques du pays. Cette incohérence ne fait que confirmer ce que les Béninois traversaient depuis près de dix ans sous les deux quinquennats de Patrice Talon avec la privation de la liberté d’expression ou de contradiction. A cette allure, le pays risque de glisser vers un monolithisme politique, où l’unanimisme hypocrite et couvert remplacera le débat d’idées, et où le mutisme sera érigé en acquis au mépris des principes démocratiques bafoués et sacrifiés à l’autel de la superpuissance d’un monarque.
Alassane Touré