Peu de Béninois ont pu retenir leurs larmes face à l’image horrible du jour distillée sur les réseaux sociaux. Il présente un homme mourant, retenu au grabat par les menottes, un masque d’oxygène accroché au nez cachait à peine un visage pâle. Ses yeux bien fermés et ses paumes de main livides donnaient les signaux d’une évidente sentence fatale. Cette image fut prise par un proche du patient, visiblement écœuré par cette image funeste, et fut balancée sur les réseaux sociaux où elle est devenue virale. Ce patient mourant vêtu d’une chemise Lacoste avait à ses côtés son chasuble bleu foncé de prisonnier. D’ailleurs d’autres images de lui prises à diverses périodes de ses vicissitudes hospitalières le montrent avec le même par-dessus bleu avec le dossard indicatif de son lieu de provenance, la prison civile d’Akpro-Missrété. Sur chaque image, le patient était menotté aux chevilles ou au poignet. Ces images à peine insupportables témoignent de l’intransigeance des services pénitenciers à son égard. Plus que cela, elles révèlent le visage immonde d’un pays dont le maquillage presque parfait le présentait pour un exemple de réussite économique, de bonne gouvernance mais aussi de démocratie, autant qu’il illustre avec force stupeur, la cruauté qui a caractérisé son pouvoir devenu un monstre surpuissant qui bafoue la dignité humaine et méprise la valeur de l’homme. La preuve, alors affaibli par la maladie, ce prisonnier n’eut droit à aucune faveur, ni aucune indulgence particulière bien que l’on eusse compris qu’il était totalement condamné et n’avait plus la force de s’évader. A Akpro-Missrété et dans toutes les prisons du Bénin, les prisonniers en général et ceux politiques en particulier sont souvent maltraités. Lorsqu’ils tombent malades, les soins ne leurs sont administrés que lorsqu’ils sont presque dans des états critiques. Les gardes pénitenciers et les agents de l’Agence Pénitentiaire du Bénin(APB) sont frileux à l’idée de les laisser aller se soigner dans les hôpitaux. Ils craignent leurs évasions qui leurs coûtent souvent leurs postes et parfois leurs libertés. Le cas de l’ancien maire d’Abomey-Calavi Georges Bada- évadé mystérieusement du Centre National Hospitalier et Universitaire(CNHU) avec sa chasuble de prisonnier – était devenu pour certains un amer souvenir et une mauvaise référence qui consolidaient le traitement impitoyable qu’ils leur infligeaient.
Latifou Radji était du lot de la centaine de prisonniers politiques distillés dans nos prisons. Il fut arrêté en 2020 à Savè avec les sieurs Maxime Afouda et Edgard Oloni au cours des mouvements de contestation contre les élections communales du 17 mai 2020. A l’époque, les mouvements séditieux du « Général Faletti » avaient secoué la commune avant qu’il ne soit arrêté en janvier 2020. Inculpé sans preuves pour « association de malfaiteurs, acte de terrorisme consistant en une atteinte volontaire à la vie des personnes, à leur intégrité », Latifou Radji n’a jamais été jugé jusqu’à sa mort. En janvier 2022, il avait demandé une mise en liberté provisoire qui a été rejetée par la présidente de la Chambre des libertés et de la détention Edibayo Joanna Dassoundo. Contraint au bagne, il y vivait en homme pieux, jouant à l’imam de son palier. Il y a plusieurs semaines, plusieurs images avaient alerté sur l’état critique de sa santé. Les gardes pénitenciers ainsi que les autorités judiciaires l’ont laissé délibérément mourir comme un chien accusé de rage. Un de moins, murmureront-ils dans le silence de la cruauté dont ils sont les garants.