Comment se portent les droits de l’homme au Bénin ? Quelle est la santé des droits humains ? L’un des plus grands défenseurs des droits de l’homme au Bénin en parle. Me Aboubacar Baparapé, fut ancien prisonnier politique sous la révolution, avocat chevronné et toujours prompt à défendre les opprimés, il est le Président de l’Organisation de Défense des Droits de l’Homme et des Peuples (ODHP). Dans cet entretien, il revient sur le recul des droits humains et affirme, surtout le droit à la vie et la liberté d’expression.
Quel bilan faites-vous des 8 ans de Talon au pouvoir sur le plan des droits de l’homme ?
Merci de m’inviter à se prononcer sur les 8 ans de Talon donc sur le plan des droits de l’Homme. Monsieur le journaliste, à commencer par vous-mêmes, vous savez que les 8 années de gestion de la démocratie, des libertés et en gros des droits de l’Homme ne sont pas favorables à vous. Je commence d’abord par vous où la plupart des médias qui ne sont pas d’obédience gouvernementale sont supprimés. Vous avez connu des tortures et vous êtes le successeur de l’éliminent journaliste, Vincent Foly, le Directeur de publication de la Nouvelle Tribune dont le journal a été fermé et lui-même persécuté jusqu’à la mort. Vous voyez les différents journaux aussi bien presse écrite, presse audiovisuelle, SIKKA TV, Soleil FM, et j’en passe qui ne sont pas aux ordres, ils ont été tous supprimés. Au-delà de ça sur un plan général, prenons plan par plan. D’abord au plan économique, en dehors des entreprises du président, quel autre opérateur économique opère au Bénin ici ? Donc l’économie est mise sous boisseau et vous voyez donc le droit à la vie consacré par notre Constitution est devenu un gros problème. Le problème de survie, le panier de la ménagère s’amenuise de jour en jour et il n’est plus secret pour personne que la vie est devenue très difficile pour les ménages. Celui qui mange deux fois par jour est béni de Dieu au niveau du bas peuple. Au niveau des fonctionnaires, tous les jours, les gens se plaignent de la diminution de leur salaire sans motif valable. Au plan social, c’est encore plus catastrophique, le droit de grève est supprimé. Les travailleurs n’ont plus le droit de revendiquer. Au plan politique, c’est catastrophique. On n’en parle plus. Les libertés fondamentales sont confisquées. Le chapelet de la violation des droits de l’homme n’est plus vraiment à démontrer. Ainsi par exemple, les élections aujourd’hui ne sont plus une fête. Les élections sont devenues exclusives. Toutes les élections qui sont organisées depuis l’arrivée du régime de la rupture finissent par un bain de sang, par l’exclusion des opposants. Au plan législatif, nous avons le code électoral et les lois scélérates qui sont votés pour exclure (le quitus fiscal, les récépissés). Donc aujourd’hui seuls les partis du pouvoir ont droit de citer. Vous avez vu après quelle bataille politico-juridique les Démocrates ont été autorisés à participer aux élections législatives de 2023. Donc tous ces éléments montrent qu’il y a un véritable recul de la démocratie. Bien entendu j’achève ce tableau là par les centaines de détenus politiques qui croupissent encore dans les geôles sans compter les exilés qui sont depuis plus de 3 ans hors de leur pays. Les détenus politiques parmi lesquels il y a des élèves, des étudiants dont les promesses de libération ont été faites tout récemment à la délégation des Démocrates dirigée par le président Boni Yayi et qui sont restées lettre morte. Les cas les plus célèbres sont ceux de Réckya Madougou et Joël Aivo qui sont condamnés à plusieurs années et embastillés. Donc Monsieur le journaliste, toutes les lois qui ont été votées depuis 2018 jusqu’à nos jours sont des lois liberticides, des lois scélérates qui consacrent le régime dictatorial du président Talon. Ce n’est plus un secret pour personne. Donc si on doit faire un point de toutes les violations des droits de l’homme, d’entorse, d’agression contre la démocratie et les libertés mais ça serait une encyclopédie. On n’en finira pas. Donc à vous de compléter le reste et le bilan est véritablement sombre mais l’espoir est permis. L’espoir est permis lorsque nous voyons à travers l’Afrique surtout l’Afrique de l’Ouest le Niger, le Sénégal, tout récemment le Mali, le Burkina Faso et les peuples africains sont en éveil contre la dictature, contre la Françafrique. Donc nous en tant que militant des Droits de l’Homme, notre combat est la restauration de la démocratie et des libertés. Donc en conclusion, notre pays connait un recul démocratique très dangereux pour lequel nous sommes battus et nous nous battons pour la restaurer. Vous êtes un citoyen Béninois, vous savez que nous avons été d’un grand apport dans les combats pour arracher cette liberté là au régime dictatorial de Mathieu Kérékou. Donc voilà en résumé le bilan des 8 années en matière des droits de l’homme.
Quels sont les principaux droits les plus violés ?
Les principaux droits, c’est d’abord le droit à l’expression, le droit de dénoncer, donc la liberté de parole, la liberté de manifestation. Aujourd’hui le Code pénal est clair sur la loi sur les attroupements, les lois sur l’exclusion politique. Il y a les lois scélérates votées par l’Assemblée pour empêcher les partis politiques de participer aux joutes électorales. Or notre Constitution dit que les partis politiques concourent à l’animation de la vie politique. Dites-moi quel parti politique concourt à l’animation de la vie ? Lorsqu’on parle de la liberté d’expression, mais aujourd’hui, il faut voir, c’est par milliers que les gens vont en prison. Le Code numérique est un véritable code de musellement, de bâillonnement des libertés d’expression. Combien de personnes se sont manifestés depuis près de 5 ans aujourd’hui ? A part les dernières manifestations liées aux élections ? Vous n’avez jamais vu un groupe politique se lever dit qu’il veut manifester sans encourir la terreur de la police républicaine ? Vous voyez les tracasseries qui sont imposées donc dans le port des casques tout ça là. Donc c’est visible. On n’a pas besoin d’être un spécialiste des droits de l’homme pour dénoncer ce qui se passe. Dès que quelqu’un parle même si c’est réel et bien la CRIET est là pour régler son compte. Les principaux droits de l’homme les violés naturellement c’est le droit à l’expression, le droit de manifestation et le droit de participation des partis politiques à la vie politique, les lois sur l’exclusion, le quitus fiscal, les récépissés. Tout cela fait partie des pires lois que notre pays n’a jamais connues. Il faut voir même déjà le tripatouillage de la Constitution. En 2019, on a révisé et en 2024, il y a eu tentative de révision qui a encore échoué mais c’est repasséé par autre canal pour voter des lois scélérates relatives aux élections présidentielles de 2026
Qu’est-ce qui explique ce recul connu par le Bénin ? Les mécanismes de protection des droits n’ont pas marché ?
Ce qui explique le recul connu par le Bénin c’est l’impunité monsieur le journaliste. Votre serviteur qui vous parle a été une victime de la dictature, des tortures, des geôles de Ségbana etc. Tous ceux qui ont été victimes de cet arbitraire, de cette violation de leurs droits pour des motifs purement politiques, embastillés aux PCO, PLM Alédjo, au camp Séro Kpéra, camp Guézo, tous les camps du Petit Palais jusqu’à Ségbana, dites -moi qui a été dédommagé ? Les tortionnaires ont -ils rendu compte ? L’Etat a-t-il poursuivi les tortionnaires un peu comme cela s’est fait dans les autres pays ? En Afrique du Sud, il y a eu » vérité et réconciliation » pour solder les dettes du passé. Mais au Bénin ici, c’est passé sous silence. C ‘est passé en perte et profit. Donc à partir de cet instant, les tortionnaires ont été réhabilités. Je ne citerai pas de nom ? Des gens sont devenus maires dans ce pays, des gens de service de renseignement. Des tortionnaires ont été réhabilités, nommés Généraux. Donc on a repris les mêmes et on a recommencé. Toutes les autorités qu’on a rencontrées disent qu’on a été sacrifiés sur l’hôtel de la réconciliation nationale, à l’hôtel du consensus. Donc il faut une volonté politique pour pouvoir réveiller ce dossier ? Certains sont allés jusqu’à dire que tant que Kérékou n’est pas mort, il ne faut jamais réveiller ce dossier ? Mais Kérékou est mort, qui a réveillé ça ? Au contraire, une amnistie personnelle a été donnée à Mathieu Kérékou. Donc l’impunité a été consacrée. Aujourd’hui, la conviction a disparue. Tu ne peux rien faire sans que les gens ne te demandent de l’argent. La démocratie a tout désorganisé. C’est le règne de l ‘argent, des clubs électoraux où on dépense des millions pour se faire élire. On a cru que la démocratie étant arrivée, c’est déjà un acquis définitif et hélas le peuple s’est réveillé en constatant que la démocratie conquise de hautes luttes, au prix de de lourds sacrifices que nous avons consentis n’étaient pas un acquis ? Aujourd’hui même pour organiser les gens, pour un petit soulèvement mais c’est affaire d’argent. Or ce sont ces soulèvements-là qui ont fait partir l’ancien régime dictatorial de Kérékou. Donc voilà les ingrédients qui ont concouru donc à faire le nid de nouvelle dictature que nous subissions aujourd’hui ? Donc selon moi, c’est ce qui n’a pas marché.
Et comment faire pour relever la tête ?
Mais pour relever la tête, il faut s’organiser. Il faut une organisation solide qui est de véritable leader, courageux et que le peuple soit réceptif au message qui est envoyé par les leaders. Mais aujourd’hui, l’électoralisme qui est prôné par certains partis d’opposition a eu ses limites. Sans une organisation structurée, solide donc qui indique la direction au peuple, qui sort des sentiers battus, mon cher ami il n’y a pas d’espoir. Le seul espoir, c’est l’organisation du peuple. Un peu comme ça s’est fait au Sénégal. Vous avez vu, là-bas c’est le peuple qui a imposé les élections. Ces genres d’élections oui. Mais élection où le peuple est pacifié et le contrôle des institutions est maitrisé par le pouvoir et la machine électorale dans ses mains, ce n’est pas la peine. Aux politiciens de donner les directives à leurs militants pour que la situation, le rapport de forces politiques puissent changer. Nous, nous sommes des militants des droits de l’Homme, nous, nous faisons un constat et nous émettons des espoirs.