Le 1er décembre 2022, la Cour Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples(CADHP) a rendu l’arrêt N° 028/2020 demandant à l’Etat béninois de « dépolitiser », entre autres, le Conseil Suprême de la Magistrature(CSM) dans un délai de six mois. Depuis, cette décision est restée lettre morte. L’Etat a décidé d’ignorer cette décision à l’instar de toutes les autres rendues à l’encontre du pays par les juridictions internationales.
Le procès Julien Kandé Kansou du nom de ce jeune militant du parti Les Démocrates, a une fois révélé les asthénies de l’appareil judiciaire béninois à assumer son impartialité et son indépendance. Tant d’atermoiements et d’incongruités qui ont écœuré maints praticiens du droit qui n’arrivent pas à s’expliquer comment dans un tel procès, on n’arrive même à connaître le plaignant.
On aurait pu éviter ce genre d’appréciations, parfois exagérées, de collusions entre pouvoir exécutif si depuis 2022, le gouvernement avait mis en application les dispositions de l’arrêt N°028/2020 rendu le 1er décembre de cette année par la Cour Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples(CADHP) dont le Bénin est partie depuis 1986. Mais depuis 2016, on assiste à une forte résistance à l’application de décisions rendues par des juridictions internationales condamnant le Bénin. Dès 2020, le gouvernement du Bénin a affiché son hostilité aux premières décisions rendues par cette juridiction suite à une série de plainte de l’opposant Sébastien Ajavon en se retirant du Protocole de la Cour, privant les citoyens béninois de cette possibilité de la saisir.
Mais avant cela, Eric Noudehouénou Hounguè, citoyen béninois, a eu lui la possibilité d’ester le gouvernement béninois devant cette juridiction pour violation de plusieurs droits humains. Il s’agit des droits à l’indépendance de la justice, du droit de grève des magistrats ; du droit aux recours ; du droit à la liberté d’expression ; du droit à la liberté de religion ; de l’obligation faite aux autorités de garantir la bonne suite donnée aux recours ; du droit à la garantie, à la protection et à la jouissance effective des droits fondamentaux ; de l’obligation de créer et de renforcer les organes électoraux nationaux, du droit de participer librement à la direction des affaires publiques de son pays ; du droit de voter et d’être élu, au cours d’élections périodiques honnêtes, au suffrage universel et égal et au scrutin secret, assurant l’expression libre de la volonté des électeurs ; du droit de la défense ; du droit de s’associer librement avec d’autres ; du droit à la non-discrimination ; de la violation de l’obligation de rejeter et de condamner les changements ; de l’obligation de sanctionner tout amendement ou toute révision des Constitutions ou des instruments juridiques qui porte atteinte aux principes de l’alternance démocratique ; du droit au respect de la vie privée ; de l’obligation de garantir l’effectivité des droits garantis par le Pacte. Au total, il a soulevé la violation de 17 droits et principes de droits contenus dans les différents instruments juridiques internationaux auxquels le Bénin a souscrit.
Dépolitisation du CSM
Après une procédure qui aura duré plus de deux ans, la CADHP a fini par donner raison au requérant sur certains points. Après avoir déclaré sans objet certains moyens soulevés par le requérant, la cour d’Arusha avait reconnu, entre autres violations, que « l’État défendeur a violé l’article 26 de la Charte du fait de la composition et du fonctionnement du CSM » et lui a demandé, entre autres, « de prendre toutes les mesures nécessaires afin de remédier à cette situation et de rendre l’organisation statutaire et fonctionnelle du CSM conforme à l’article 26 de la Charte, d’une part, en abrogeant les dispositions suivantes de la loi organique relative au CSM : celles en vertu desquelles le président de la République est membre du CSM et président du CSM, celles en vertu desquelles le président de la République nomme des membres du CSM et celles en vertu desquelles d’autres membres de l’exécutif sont membres du CSM, et d’autre part, en faisant en sorte que la présidence du CSM soit dévolue au président de la Cour suprême ». La Cour avait fait injonction également au gouvernement dans un délai de 6 mois à compter de la signification du présent arrêt de prendre « toutes les mesures afin de rendre l’organisation statutaire et fonctionnelle du CSM conforme à l’article 26 de la Charte, d’une part, en abrogeant les dispositions suivantes de la loi organique relative au CSM : celles en vertu desquelles le président de la République est membre du CSM et président du CSM, celles en vertu desquelles le président de la République nomme des membres du CSM et celles en vertu desquelles d’autres membres de l’exécutif sont membres du CSM, et d’autre part, en faisant en sorte que la présidence du CSM soit dévolue au Président de la Cour suprême ». Au total, le Président de la République ne doit donc plus siéger au CSM et ne doit plus en être le Président. Il ne doit plus en nommer des membres comme c’est le cas actuel avec le Garde des Sceaux et le Président de la Cour Suprême. De même, les Ministres de la Fonction Publique et celui des Finances ne doivent plus y siéger. Il en est de même pour les quatre autres « personnalités extérieures à la magistrature » qui y sont membres. Faut-il le rappeler, le Conseil Supérieur de la Magistrature fonctionne comme un organe disciplinaire des magistrats. Il met tout en œuvre pour que l’Administration de la Justice dispose des moyens adaptés à son bon fonctionnement. Ainsi, il est responsable de la gestion des ressources humaines, matérielles et financières de l’Administration de la Justice. Il est donc un organe clé pour garantir l’indépendance des magistrats. Malheureusement au Bénin, depuis les amendements de 2019, en l’occurrence N°2019-12 du 25 février 2019 portant modifiant et complétant la loi N°2001-35 du 21 février 2003 portant Statut de la magistrature en République du Bénin, il est dirigé et contrôlé presque entièrement par le chef de l’Etat. Alors que maints citoyens et même des magistrats se plaignent à voix basse de l’indépendance de la justice et de la qualité de ses services rendus, n’est-il pas urgent de mettre en application les dispositions de cet arrêt ? Même avec plus de 3 ans de retard, la justice béninoise trouvera enfin les moyens de jeter le froc aux orties et l’Etat, lui, de quoi prouver à l’international sa fierté d’ « Etat de droit » qu’il a perdue.
Marcel Zoumènou