« Notre pays, le Bénin, vient de très loin. En 1990, nous avons opté pour le multipartisme et pour la démocratie. Depuis 2016, le tournant qu’a pris notre pays est assez particulier.
Nous sommes partis de la suppression du droit de grève, à la pénalisation, voire criminalisation de l’expression politique, à travers les lois comme le code pénal, le code de procédure pénal, la loi sur le numérique. L’espace d’expression est de plus en plus réduit. Le dernier tournant que nous sommes en train de prendre avec l’introduction de cette proposition de loi portant modification de la Constitution, introduite le 31 octobre 2025, à quelques mois de la prochaine présidentielle, interpelle au point où il nous faut interpeller certaines personnes ressources et certaines personnes qu’on pourrait qualifier de repères et de baromètres de la santé, de notre démocratie et de notre vivre ensemble.
Cette loi qui institue un Sénat, en dehors d’autres dispositions dont je vais parler tout à l’heure, change complètement la forme républicaine de notre pays. Nous ne serons plus dans une république où nous serons tout au moins dans un nouveau type de contrôle de la république. À mon sens, ma conviction est que nous ne sommes plus dans la même république.
La forme républicaine est totalement changée parce qu’au-dessus d’autorités régulièrement élues, constitutionnelles régulièrement élues que sont l’Assemblée nationale et le président de la République, il existera désormais, si cette loi était adoptée, et je ne compte pas sur les députés ou l’Assemblée nationale que nous avons aujourd’hui pour la rejeter, sinon ce serait un miracle, si cette loi est adoptée, des autorités qui ne sont pas élues, qui sont seulement auto désignées, je dirais, auraient un droit de contrôle et de réformes et de reformulations même des décisions et des lois dans notre république. Ce qui me fait dire aujourd’hui que nous ne sommes plus dans la même forme républicaine, nous ne sommes plus dans une république. Avec une institution qui se mettrait au-dessus des autorités élues, nous ne serons plus dans une République.
Je veux interpeller principalement maître Adrien Houngbédji. Vous avez toujours été élu président de l’Assemblée nationale, non pas par la mouvance, mais plutôt par des dynamiques d’opposition. Vous êtes donc le fruit de la contradiction, vous êtes le fruit de l’équilibre des pouvoirs et de la libre expression.
Je veux interpeller les anciens présidents de la Cour constitutionnelle, maître Robert Dossou, le professeur Théodore Holo et madame Pognon pour ce qui nous reste d’après ce que moi je considère comme étant les baromètres de notre démocratie. Avec vous, nous avons vécu les heures glorieuses de la Cour constitutionnelle et de la jurisprudence constitutionnelle. Depuis peu, la Cour constitutionnelle n’est plus le garant de nos libertés fondamentales et de nos droits constitutionnels.
Je veux interpeller aussi l’ancien président de la République, le docteur Thomas Yayi Boni. Vous êtes le président d’un parti d’opposition, vous êtes le président de mon parti Les Démocrates, parti d’opposition régulièrement représenté à l’Assemblée nationale. Les lois nous ont doté d’élus que nous n’avons pas choisis.
Les lois nous enlèvent aujourd’hui le libre choix de nos dirigeants. Les lois nous imposent aujourd’hui des candidats. Je me refuse de croire que vous avez été
sollicité en amont et que vous avez donné votre aval dans le cadre de la mouture de cette révision de la Constitution, cette loi modifiant la Constitution.
Je me refuse de le croire parce que je doute que vous puissiez vous associer à toute aventure qui pourrait museler et réduire le champ de l’expression publique dans notre République. Je me refuse de croire que vous avez été associé pour proposer une disposition qui dit nommément que dès l’élection d’un nouveau président de la République, il n’y a plus d’autorisation à la contradiction. Il n’y a plus d’espace pour la libre expression critique.
Parce que si vous avez été associé à cela, je veux vous poser une question. Comment est-ce qu’un parti politique peut battre campagne au nom de l’opposition, en tant que parti d’opposition, et une fois ses députés élus, qu’ils se retrouvent à l’Assemblée nationale à applaudir les décisions de la majorité ? J’ai la ferme conviction que cette disposition, l’article 5.1 nouveau de la Constitution, qui méconnaît totalement, puisque c’est une loi constitutionnelle, qui méconnaît totalement la loi sur le statut de l’opposition et qui, dans son esprit, essaie d’installer dans notre subconscient que la majorité sera toujours du côté du pouvoir. Que la majorité sera toujours du côté du pouvoir et que peut-être il n’y aura peut-être jamais d’opposition en République du Bénin.
Je me refuse de croire que vous vous êtes fait complice de ce type de proposition. Je me refuse de croire que vous souhaitez accompagner ce type de proposition. Alors, pour tout ce que j’ai cité, ceux sur lesquels moi je veux pouvoir compter.
Parce que je peux comprendre la posture de l’actuel chef de l’État, le président Patrice Talon, et surtout de l’actuelle gouvernance militaire, parce que nous nous retrouverons dans une institution qui regroupe et qui ramène les militaires au centre de l’actualité politique, au centre de l’activité politique et au centre de la décision politique. Par ce pouvoir de reformation, de reformulation et peut-être même de contrôle des institutions régulièrement élues de la République. Donc je veux pouvoir compter sur les personnes que j’ai citées, dont je veux encore croire en la bonne foi.
Je veux plutôt observer, parce que je ne doute pas que cette loi sera adoptée, sauf miracle, je veux pouvoir observer quel sera votre comportement. Allez-vous accompagner le musellement de la libre expression ? Allez-vous continuer à consacrer la criminalisation et la pénalisation de l’expression contraire, de l’expression libre et contraire ? Allez-vous accompagner ce qui se passe ? C’est la question que je voudrais vous poser. Sachant que tout n’est pas bon à accompagner et surtout que tout n’est pas bon à essayer.
C’était Nouroudine Saka Saley , nous sommes le lundi 3 novembre 2025 et je crois qu’en ce moment, le devenir de notre nation est en train de se jouer à l’Assemblée Nationale. Nous sommes en train de changer de forme républicaine et nous sommes peut-être en train de glisser, lentement mais sûrement, vers un nouveau type de contrôle des autorités élues en République du Bénin. Merci.»