Une psychose contagieuse s’est emparée du pays depuis plusieurs mois. Elle procède de rumeurs les plus folles rapportant que presque tous les citoyens Béninois sont mis sur écoute par les Renseignements généreux et les services sécuritaires sous ordre de la grande muette et même de la Présidence de la République. La cible généralement bien connue et composée des hommes politiques, de l’opposition mais aussi de plus en plus de la mouvance, des hommes d’affaires les plus prospères, semble élargie aux syndicalistes, aux journalistes et web-activistes peu « dociles » qui, de temps en temps, s’adonnent à des critiques contre les actions du gouvernement. Comble de démesure, des citoyens lambda seraient aussi la cible de ces surveillances communicationnelles particulières et les récits des arrestations tout azimut dans le pays corroborent donc ces rumeurs. Au Bénin donc, le téléphone est de moins en moins un objet personnel avec un contenu confidentiel et digne de confiance. Le commun des Béninois croit qu’aujourd’hui lorsqu’on parle avec son correspondant, il y a forcément une troisième oreille qui écoute tout ce que vous dites. Aucune des communications ou échanges sur les téléphones portables ne serait plus sûre. Même les applications comme whatsapp et autres seraient « sous surveillance » grâce, dit-on, à Pegasus, un logiciel espion destiné à attaquer les smartphones sous iOS et Android. Ces derniers jours-ci, deux échanges téléphones m’ont permis de mesurer l’ampleur de cette crainte au sein des populations. Le premier c’était avec un ami dont un parent a été très malade. Lorsque je lui demande comment va ce parent, il me répond qu’il ne pourra me le dire ici. « Mon cher, je ne peux rien te dire ici. Tu veux que je te parle et que nos amis entendent et profitent pour finir avec lui ? », m’a-t-il répondu, faisant ainsi allusion aux difficultés que son grand frère a eu avec le régime dès le début. Dans un second échange, mon interlocuteur en pleine discussion lâche : « mon frère, tu n’as pas entendu un bruit bizarre tout de suite ? Ils nous ont mis sur écoute. On se reparle plus tard ». Et sans plus tarder, il met fin à la conversation. Très peu de Béninois croient au secret de leurs échanges tant téléphoniques que sur les applications de discussion. La phobie des écoutes téléphoniques est si prégnante dans la cité que presque tous évitent les discussions sensibles au téléphone. Selon des confidences, plusieurs personnalités politiques, députés et même ministres, auraient créé des comptes sur des réseaux sociaux comme telegram, signal ou Olvid. Beaucoup ont acquis des cartes sim des pays comme le Togo, le Nigéria, la Côte d’Ivoire, la France, les Etats-Unis ou le Canada qu’ils utilisent même pour échanger avec les membres de leurs familles
Face à l’ampleur de cette situation, le silence des organisations de la société civile, surtout celles de défense des consommateurs, est contrastant. Par le passé, l’opposition avait dénoncé mollement cette situation sans grand résultat et après elle s’est muée comme tout le monde dans le grand silence, laissant la pratique continuer de plus bel. En absence donc de dénonciation et de déclaration sur le sujet, les auteurs sembleraient s’y adonner à cœur joie, profitant allègrement de la conjoncture sécuritaire viciée par le terrorisme pour accentuer la filature et l’espionnage. Le vote de la loi N° 2017-44 du 05 Février 2018 portant recueil du renseignement en République du Bénin aurait favorisé ces dérives. Selon l’Article 26 de cette loi :«Pour les finalités énumérées à I’article 3, la Commission nationale de contrôle des renseignements peut autoriser par écrit, le recueil, auprès des opérateurs de communication, des informations ou documents traités ou conservés par leurs réseaux ou service de communication ». L’indépendance nationale, I’intégrité et la sécurité du territoire ainsi que la défense nationale et la prévention du terrorisme font partie des raisons pour lesquelles la commission peut autoriser le recueil des informations et documents conservés par les opérateurs GSM. Tout aurait été permis à ce prix ? Jusqu’à ce jour, ni le gouvernement, ni encore moins la Brigade criminelle, ni le Centre National des Investigations Numériques(CNIN) n’ont pipé mot sur cette inquiétude qui hante tous les Béninois. Aucun mot pour infirmer ou confirmer cette dérive attentatoire à la vie privée des populations . Ils semblent bien profiter du silence hypocrite de ceux qui doivent le dénoncer, faisant ainsi des Béninois des citoyens qui ne font guère confiance à la protection de leurs échanges téléphoniques.