Depuis son arrivée à la tête du pays, Talon multiplie la création d’institutions fantoches sans obtenir un grand succès dans la lutte contre la corruption. La nomination mercredi 12 juin dernier du Haut Commissaire pour la Prévention de la Corruption faite au mépris des recommandations du Fonds Monétaire International(FMI) – que lui-même a sollicité- et des accords internationaux auxquels le Bénin est partie prenante.
« Je ferai de la lutte contre la corruption un combat de tous les instants et de tous les jours et qui n’épuiseront pas les efforts inlassables de la justice et de la société civile destinés à mettre un terme à l’impunité. A cet égard, et pour en donner le gage nécessaire, je déclare du haut de cette tribune que non seulement je m’y suis préparé, mais j’affirme que je suis déjà prêt maintenant et tout de suite ». Tel est l’engagement pris par Patrice Talon le 6 avril 2016 lors de sa prise de pouvoir. Mais dans l’exercice du pouvoir, les choses se sont passées autrement donnant l’impression d’une mauvaise volonté du chef de l’Etat. En effet, pour joindre l’acte à la parole, Patrice Talon a créé en 2018 la Cour de Répression des Infractions Economiques et le Terrorisme(CRIET) pour punir les auteurs des crimes économiques. Mais contre toute attente, il dissout l’Autorité Nationale de Lutte contre la Corruption(ANLC) qui faisait jusque là la fierté du pays dans la lutte contre la corruption et la fait remplacer par le Haut Commissariat de Prévention de la Corruption(HCPC) régie par la loi N° 2020-09 du 23 avril 2020. Bien que cette institution n’est que la copie édulcorée de l’ANLC puisqu’elle est réduite uniquement à la prévention de la corruption. Mais en dépit de cela, elle n’a jamais été rendue fonctionnelle. Il a fallu attendre le 12 juin passé, soit plus de quatre ans après pour que le gouvernement se souvienne d’elle en nommant le Haut Commissaire chargé de le diriger. Seulement, cette nomination a révélé la mauvaise volonté du gouvernement et de son chef dans la lutte contre la corruption. En effet, sur demande du Ministre de l’Economie et des Finances, une mission du Fonds Monétaire International s’est rendue au Bénin du 12 au 27 septembre 2022. Dans un rapport technique de mission rendu public en février 2023, les inspecteurs affirment que l’abrogation de la loi N° 2011-20 du 12 octobre 2011 portant lutte contre la corruption et autres infractions connexes en République du Bénin et la disparition de l’ANLC remplacées partiellement par des dispositions introduites dans le Code Pénal et par la loi sur le HCPC « laissent subsister des lacunes par rapport aux bonnes pratiques et aux engagements internationaux souscrits par le Bénin : absence de protections suffisantes pour les lanceurs d’alerte, pas de régime juridique des conflits d’intérêt, un cadre très insuffisant pour les déclarations de patrimoine, qui ne prévoit notamment pas leur publication pour les personnalités de haut rang ». Aussi ont-ils formulé, dans le domaine de la lutte contre la corruption, trois recommandations importantes qui sont : Réviser le Code Pénal en introduisant ou en complétant les dispositions relatives à l’incrimination et à la répression des actes de corruption conformément à la Convention des Nations Unies Contre la Corruption(CNUCC) ; Réviser le cadre juridique relatif aux conflits d’intérêts et celui relatif aux déclarations de patrimoine conformément à la CNUCC et enfin Rendre le HCPC opérationnel tout en œuvrant en parallèle à renforcer son cadre juridique pour assurer son indépendance et envisager de lui transférer la compétence de police judiciaire pour les actes de corruption entre autres.
Autre chose demandée, autre chose faite
Le rapport soulève des inquiétudes sur l’indépendance de l’institution et surtout de son premier responsable qu’est le Haut Commissaire. « Le HCPC est selon la loi rattaché à la Présidence de la République (article 3 de la loi 2020–09), le Haut-Commissaire lui-même étant nommé par le Président (article 4 de la loi 2020–09). Le Haut-Commissaire ne dispose pas de pouvoirs d’enquête s’agissant des faits de corruption, mais est censé suivre l’application des mesures préventives dans les institutions et administrations d’Etat, et peut initier des activités visant à lutter contre la corruption tant dans le secteur privé que dans le secteur public », évoque le même rapport qui préconise qu’ « En vue d’assurer la pleine efficacité du HCPC, son cadre juridique devrait garantir l’absence de toute interférence politique. Au-delà de l’article 7 de la loi HCPC qui affirme l’indépendance du Haut-Commissaire, cela passe par une procédure appropriée pour sa nomination et la fin de son mandat, et par la garantie d’une indépendance vis-à-vis de la Présidence de la République. La question de doter l’agence anti-corruption de pouvoirs de police judiciaire peut également se poser. A cet égard, il est important de rappeler qu’une agence de lutte contre la corruption peut être conduite à demander des comptes à des individus ou institutions puissantes ».
Sur toute la ligne, le gouvernement n’a rien respecté. Ni en matière de garantie de l’absence d’interférence politique, de procédure appropriée de nomination du Haut-Commissaire, son indépendance vis-à-vis de la Présidence de la République. Ces exigences font parties des normes internationales contenues dans les recommandations du sommet de Djakarta en Indonésie qui s’est tenu du 26 au 27 novembre 2012. La recommandation sur le mandat des institutions de lutte contre la corruption(ILC) stipule clairement que : « les ILC doivent avoir des mandats clairs pour lutter contre la corruption à travers la prévention, l’éducation, la sensibilisation, des enquêtes et des poursuites, soit par l’intermédiaire d’un seul organe ou de plusieurs organes coordonnés ». Le gouvernement a décidé lui de circonscrire les prérogatives du HCPC à la prévention uniquement. Et sur la nomination des dirigeants des ILC, elle recommande que « Les dirigeants des ILC sont désignés à l’issue d’un processus qui garantit leur apolitisme, impartialité, neutralité, intégrité et leur compétence ». Au Bénin, la nomination de Jacques Migan ne respecte rien de ces exigences. Non seulement, il est nommé par le chef de l’Etat selon les exigences de la loi sur le HCPC mais le plus grave, il est connu comme un homme politique, membre fondateur du Bloc Républicain et défenseur infatigable du chef de l’Etat. On ne peut donc pas espérer qu’il fasse des miracles car déjà limité à la seule prévention des actes de corruption, il est obligé de ménager la chèvre et le chou, lui qui n’a jamais eu la moindre réserve dans son soutien au régime de Patrice Talon. Tout ça pour ça ? Dirait l’autre.