Dans les années 70, l’icône et fondateur de l’afrobeat Fela Anikulapo Kuti avait créé une drôle de république : la « Kalakuta Republic » au Nigéria. Cette république n’en est une que de nom. Il s’agit d’une simple dénomination que l’artiste, connu d’ailleurs pour ses excentricités et son souci permanent de provocation de l’appareil gouvernemental, a donnée à sa résidence situé à Mushin dans la banlieue de Lagos. Ses relents frondeurs l’avaient amené à déclarer une indépendance vis-à-vis du gouvernement fédéral du Nigéria et à vivre en réclusion. Il était donc dans sa « république » dans la république. Bien que subversive, sa conception de la république dans la république avait son bien-fondé puisqu’il est le résultat de ses frustrations de citoyen en quête de justice. Quid de celui qui n’a connu la moindre frustration et qui en génère pour autrui ? Chose curieuse, c’est pourtant celui là qui crée une république dans la république.
Depuis 2016, la construction des infrastructures a été empreinte d’une maligne intention. Elle a été dans un esprit de partition républicaine inquiétante. Les infrastructures ont été construites pour se distinguer de celles qui existaient. C’est ainsi que vous pouvez voir une nouvelle route flambant neuve se déterminer par une vieille dans un état de délabrement avancé. Les voitures et les motos sont habituées à subir les dénivellements brusques de niveau d’asphalte passant ainsi des chaussées « made by Talon » sur les chaussées « made by Yayi ». Les usagers ont fini, avec le temps, par s’habituer aussi à des variations de lumière lorsqu’ils passent de ces routes fortement électrifiées à celles qui manquent du moindre éclairage. Ils voient, médusés, l’extrême exubérance à côté de l’extrême austérité. Dans un premier cas, on voit des lampes alignées au décamètre et les unes en face des autres dans une sorte d’abondance qui frise à la fois l’abus et le gaspillage et dans le second, il n’y a rien, rien d’autre que les lampadaires gâtés. Dans Cotonou et les grandes villes, on voit les brouillaminis entre rue bitumée et non bitumée, entre vieux pavé et nouveau pavé. On voit en un mot, l’ancien et le nouveau. L’ancien abandonné clairement au profit du nouveau. Lorsqu’on en vient à toucher à l’ancien c’est pour le transformer totalement et de s’en approprier la nouveauté.
Tout ceci est fait à dessein pour que les usagers notent la différence entre ce qui est fait hier et ce qui est fait aujourd’hui. C’est à peine si l’idée n’avait pas traversé les esprits des responsables d’aujourd’hui de mettre des murs pour séparer ce qu’ils ont construit à prix d’or de ce qui existait. S’ils ne l’ont pas fait c’est parce que cela était impossible. Les intentions malignes dénoncées ici ne sont pas si secrètes que ça puisque, me dira-t-on, le concepteur de la rupture aurait dit qu’il réalisera ses œuvres à part pour que demain, les citoyens puissent bien comparer et faire la différence.
Ce genre de fonctionnement qui dessert sérieusement le pays révèle la petitesse d’esprit de ceux qui en sont les concepteurs. Il prouve à suffisance qu’ils ont été façonnés dans des moules d’égotisme et du mercantilisme, loin des effluves de l’esprit républicain. Car, la construction d’un pays n’est guère une affaire de « chacun fait pour lui » pour prouver sa bravoure demain. Si le pays était un bâtiment, sa beauté viendra de l’harmonie avec laquelle les maçons, bien qu’ils soient nombreux et divers, arrivent à agencer les briques. Sa beauté viendra du maillage réussi afin que l’on ne remarque pas les contrastes sur les murs. De même, et c’est là l’erreur, ce qui est beau et solide aujourd’hui veut devenir laid et peut se détériorer demain. Ce qui est vieux aujourd’hui était neuf et attrayant hier. La République est si grande et si transcendante qu’elle ne peut être l’otage de ces petites intrigues présidentielles. Kérékou a forcément continuer et améliorer les œuvres de Soglo. Yayi a également poursuivi et rendu perfectible des chantiers laissés par Kérékou. La République se développe dans la continuité et la complicité de ses dirigeants. Et les chefs d’Etat qui entrent dans l’histoire en sont pas forcément ceux qui érigent les plus belles infrastructures partout mais ceux qui construisent les nations et tirent leurs peuples des situations difficiles. Que cela soit pris pour dit.