De mémoires de Béninois, ce discours sur l’Etat de la nation prononcé par Patrice Talon le vendredi dernier à l’Assemblée Nationale laissera pour toujours de très mauvais souvenirs. Et pour cause, il aura éprouvé à la fois la fierté républicaine, le morale et l’état d’âme de millions de compatriotes. Ç’aurait été moins douloureuse pour beaucoup si cette scène d’indignité n’avait pas été diffusée en direct sur le petit écran, révélant à la face du monde ce qu’est devenu le Bénin aujourd’hui : un tiers-pays où la terreur, la méchanceté et la haine sont les denrées les plus vendues. Cette scène de vaudeville à laquelle l’acteur principal n’est que le premier des Béninois a eu juste une petite situation atténuante, les enfants, majoritairement en classe à l’heure là. Pour le reste, ce fut une vingtaine de minutes de frayeur et d’incertitude pour l’avenir. A la place d’un discours sur l’état de la nation, le chef de l’Etat est venu exposer ses grandes réalisations qui feraient desormais du Bénin le pays le plus envié en Afrique. Eau potable, Infrastructures routières, centre hospitalier de référence, tourisme, propreté, transparence budgétaire…on est dans les meilleurs du continent. Le seul endroit où Patrice Talon reconnaît que le Bénin n’a pas réalisé de grandes performances c’est dans la lutte contre le terrorisme. Et là, c’est parce que « les terroristes circulent dans les pays voisins ». Patrice Talon a tellement parlé de « ses » réussites, de « ses » exploits qu’il a oublié les Béninois. Car en effet, la seule chose qu’ils peuvent se mettre sous la dent comme une décision qui les concerne et la gratuité des consultations prénatales pour les femmes enceintes.
A dire vrai, ce discours pose le problème du déphasage criant entre le discours et la réalité de terrain. Un proverbe Fon résume cela : « Lorsqu’on veut parler, il faut se regarder et regarder là où on a quitté ». Si Patrice Talon avait ce proverbe dans sa pensée, il aurait évité de dire les propos belliqueux qui ont noirci son discours. En effet, sa propre histoire dément ses propos sur le fameux « passé honteux ». Les Béninois se souviennent, dans leur grande majorité, qu’il y a dix ans en arrière, il était en exil en France, d’où il a lancé sa candidature. Il se rappelle que c’est le meilleur adversaire politique de Talon qui lui a permis de rentrer dans son pays, faire campagne et battre le candidat de celui là pour devenir Président. Ils se rappellent qu’il avait bénéficié des dividendes de la démocratie et son élection avait surpris plus d’un sur le continent. Il n’y a que le Sénégal qui ait fait mieux que le Bénin en élisant à la tête du pays un jeune sans expérience et qui sortait à peine de prison.
Le « passé honteux » n’aura pas été possible sans le chef de l’Etat lui-même qui a reconnu, dans une déclaration officielle à l’Elysée en compagnie du président français de l’époque François Hollande qu’il reconnaît avoir sa part de responsabilité dans les difficultés actuelles du pays. Mieux que ça, cette caricature de « passé honteux », même si elle a existé et pourrait, selon plusieurs personnes, être assimilé à la gouvernance Yayi n’a été possible qu’avec le concours de l’homme d’affaires Patrice Talon qui passait pour le numéro 2 du régime pendant au moins sept ans sur les dix que le régime a duré. Il est ironique et injurieux pour l’intelligence du peuple de voir autour de Talon ces hommes du « passé honteux » comme les Barthelemy Kassa, Aké Natondé, Rachidi Gbadamassi, Claudine Prudencio, Samou Adambi, Adidjatou Mathys et bien d’autres être ministres ou députés sous Talon alors qu’ils ont occupé presque les mêmes postes sous Yayi. Le passé honteux n’est donc que le présent honteux.
Au demeurant, Patrice Talon n’aura donc pas changé grand- chose dans la gouvernance politique du pays. Il a bâti son système avec les hommes de ce passé honteux dont lui-même fait membre. D’où le retour au proverbe initial : « quand on veut parler, on se regarde et on regarde là où on a quitté ».
Ceci dit, la trame du discours confirme une gouvernance tournée vers l’extérieur, une gouvernance faite pour l’extérieur et qui se nourrit des chiffres et des palmes des institutions étrangères que des appréciations des Béninois. On n’a pas vu un président qui présente l’état du pays à ses mandants mais plutôt un émissaire de la « communauté internationale » faisant un point à ceux qui l’ont envoyé en mission. Les différentes contradictions, les revirements de position sur plusieurs sujets et les nombreuses informations en contradiction avec les réalités de terrain ont fini par révéler un Président en conflit avec ses propres convictions et en déphasage avec les réalités sociales, économiques et politiques de son pays.
Il faut réinventer la fonction présidentielle et revoir les garde-fous. Ceci nous évitera dans le futur l’avènement d’aventuriers afin que la dignité de la fonction et la paix républicaine soient préservées.