- L’heure de la vérité entre philosophie politique et économie politique
L’économie politique se voulant le champ de convergence entre la politique et l’économie pour éradiquer la misère des peuples, il y va de soi que le pouvoir du peuple, le pouvoir des forces politiques et le pouvoir technocratique s’invitent dans cet essai intitulé : « Le couple démocratie et bureaucratie en procès chez Lefort et WEBER, phylogénie conceptuelle et analyse de terrain » du Père Arnaud Éric AGUENOUNON.
J’ai lu avec un cœur apprenant pour devoir de témoignages, l’ouvrage du Père Arnaud Éric AGUENOUNON qui, à mon sens, est un chef-d’œuvre intellectuel tenant lieu d’un bréviaire pour les dirigeants politiques, les hauts cadres de l’administration, l’élite économique, l’élite intellectuelle en général et les organisations de la société civile. Parce que la misère est une maladie du corps social, elle est une menace pour la paix sociale. C’est au regard du danger systémique qu’elle représente, que faire semblant de la combattre résolument devient un péché collectif. Cet essai est une action de plaidoyer qui a deux dimensions fonctionnelles : la première est une critique de la modernité productrice de précarité ou d’exclus sociaux et la seconde est une profession de foi fondée sur la doctrine sociale de l’Église catholique. Les deux positions tiennent lieu d’un appel au secours au profit des pauvres à l’image du message sur l’urgence de détruire la misère que Victor Hugo adressait aux parlementaires français le lundi 09 juillet 1849. En effet, la démocratie est inconcevable sans la bureaucratie mais que faire pour une interpénétration harmonieuse des deux pouvoirs au service de l’éradication de la précarité pour plus de dignité humaine pour tous ?
En clair, c’est de l’éthique du développement qu’il s’agit et elle commence par la capacité à dire la vérité à son peuple et au peuple de dire aussi ses vérités à ses dirigeants. On ne saurait diriger son peuple sans lui aménager des espaces de dialogue aux niveaux sectoriel et territorial car toute politique publique doit apporter une réponse claire au mieux-être des populations dans chaque bassin de vie. Dès lors, la gouvernance publique doit s’entendre un contrat d’objectifs de changement social et une relation de confiance entre peuple et dirigeants.
Dans sa réflexion sur les espaces de coproduction ou d’exclusion de la décision publique, le prêtre Arnaud Éric Aguénounon, se fondant sur la doctrine sociale de l’Église catholique, s’interroge sur le degré de prise en compte de la réalité du terrain par les pouvoirs politiques et l’administration publique. S’y invite subséquemment le conflit entre la parole du peuple, la parole du représentant du peuple et la parole de l’administration. Ce livre de philosophie politique et d’économie politique lève plusieurs coins de voile sur le fonctionnement administratif, en particulier au Bénin. En vérité, cet ouvrage traite au plan philosophique de la pertinence et de la cohérence des politiques publiques ainsi que de la manière dont celles-ci apportent méthodiquement des réponses judicieuses pour le traitement de la précarité d’un peuple par la transformation de la misère en urgences nationales lisibles dans chaque exercice budgétaire pour impacter les conditions de vie des populations affectées par l’indigence chronique. Cet ouvrage se positionne comme un tribunal spécial où se confrontent dans un procès de responsabilité sociétale trois pouvoirs : le pouvoir politique, le pouvoir administratif et le pouvoir du peuple. Les trois pouvoirs, en plus de leurs contradictions internes et interactives, sont traversés par des trafics d’influences, la corruption et l’impunité des forts. La page de garde en est une parfaite illustration à cet égard. Se jouent dès lors la bataille entre la vérité populaire à travers le vécu et les ressentis des populations dans leurs bassins de vie et la vérité bureaucratique qui peut traiter des modes de vie des populations sans toujours aller voir et juger la réalité avant d’agir. Alors que la vérité du peuple est crue et nue, celle de la bureaucratie est opportuniste, déformante, banalisante parfois, et à force d’explications technocratiques, elle perd sa place dans les urgences nationales pendant que la précarité s’intensifie et s’élargie à une vitesse exponentielle en fonction de la nature du régime politique.
Dans cette bataille des vérités, des données bureaucratiques vraies et fausses ou manipulées à dessin serviront au pouvoir législatif, au pouvoir judiciaire et au pouvoir exécutif pour décider en dernier ressort avec des marges d’erreurs substantielles. C’est aussi un visage terne du mode de fonctionnement de l’État de droit qu’il faut souvent rappeler pour une prise de conscience.
A cet égard, cet ouvrage a su convenablement poser le diagnostic social et l’approche thérapeutique de ce livre d’un critique du développement va au-delà de la critique de la gouvernance publique. Il y expose la place et la responsabilité du peuple dans un processus de développement durable d’un pays. Soyons clair, aucun développement n’est durable sans appropriation par le peuple du pays des choix opérés par les décideurs et des investissements réalisés au nom du peuple. Ceci dit, la nature du régime politique d’un pays détermine le degré d’ouverture et de fermeture au dialogue sur les politiques publiques et l’intensité d’interopérabilité entre le pouvoir politique, le pouvoir bureaucratique et le pouvoir du peuple. En clair, un pouvoir d’État peut enfermer sa chaîne décisionnelle et sa chaîne de contrôle dans une enclosure institutionnelle dans laquelle au nom du tout secret d’État, le peuple subit la volonté, les visions et les choix d’investissement des dirigeants politiques. Il peut également par logique d’efficacité impacte se traduire par des élus du peuple plus ouverts qui exercent le pouvoir d’État au moyen de mécanisme de participation et de redevabilité mutuelle dans différents secteurs de la vie économique et sociale ainsi qu’à différents échelons territoriaux.
Au demeurant, aucun développement humain n’est inducteur de mieux-être d’un peuple sans sa participation, sans l’expression de ses besoinscomme le déterminant des politiques publiques, sans le contrôle citoyen et sans le droit pour ce peuple de dire clairement sa satisfaction ou insatisfaction sans craindre des représailles de la part des gens qu’il a élus pour le diriger.
- La corporéité fonctionnelle : toute personne est un être de sens
Cet ouvrage propose un cheminement intellectuel et une sagesse spirituelle assortis d’un effort de culture éthique. La corporéité apparaît comme le moyen d’utiliser à bon ou mauvais escient les cinq organes de sens du corps humain : l’odorat, l’ouïe, le toucher, le goût et la vue. Autrement dit, créatrice de sensibilité au bonheur et au malheur, la corporéité renseigne sur l’état de satisfaction et d’épanouissement ou l’état de ras-le-bol, de frustration et de révolte d’un peuple. En définitive, Le procès du couple démocratie et bureaucratie est un procès des méthodes de développement en fonction de la nature des régimes politiques selon qu’ils accordent assez, peu ou pas d’importance aux droits de l’homme et de façon intégrale à la sécurité humaine.
Si on s’entend que la meilleure définition du développement est l’aspiration au mieux-être d’un peuple, le développement est souvent la principale source de conflits dans les modalités concrètes de sa conquête. Se pose ainsi une question cruciale. Quelle est la meilleure manière de s’inscrire durablement dans un processus de développement et à quelles conditions peut-il être véritablement durable? C’est là que la corporéité fait le procès du couple “démocratie et bureaucratie” dans une confrontation entre deux acteurs, Claude Lefort et Max Weber dont les idées ont servi à l’auteur Arnaud Éric Aguénounon pour une mise en contexte en questionnant les réalités du mode de gouvernance et du développement humain au Bénin. Pour qui fait-on le développement ? Quelle est la place du peuple dans la décision publique ? Les représentants du peuple sont-ils plus serviteurs que profiteurs?
- Le points de vue de Claude Lefort sur démocratie et la responsabilité du peuple
En démocratie, le pouvoir du peuple s’exerce beaucoup plus par délégation avec un risque élevé de substitution de pouvoirs à tel point que la consultation du peuple est banalisée. Si ce peuple n’est pas vigilant, son pouvoir est absorbé par un pouvoir personnel qui s’instaure comme un pouvoir persécuteur. L’autoritarisme est ce qu’il y a le plus à craindre et le peuple finit par subir la dictature technocratique des personnes nommées dans les administrations et la dictature politique au niveau des dirigeants élus. De ce point de vue, le livre expose à la page 43 la position de Claude Lefort qui considère qu’il ne saurait y avoir de démocratie sans pouvoir impersonnel donc la soumission au primat de l’intérêt général. La bureaucratie démocratique se transforme vite en comportement de soumission dans la mesure où le pouvoir de nomination aux hautes fonctions de l’administration est exercé par ceux qui occupent les hautes fonctions politiques déléguées par le peuple souverain. Ce qui pose un conflit de légitimité et la question se pose de savoir au nom de l’intérêt général et du bien commun, envers qui le haut fonctionnaire nommé est-il redevable ? La redevabilité envers le peuple est ce qui est dit mais la redevabilité envers le chef politique est ce qui est pensé au nom de la sécurité de la carrière du fonctionnaire. Il y a un conflit entre l’intérêt personnel et l’intérêt général tant concernant les dirigeants politiques élus que les dirigeants politico-administratifs nommés.
C’est dire que tout pouvoir rendu personnel est forcément antidémocratique. Il est contre les intérêts du peuple par nature, par finalité, par action et par impact d’un point de vue du Nexus Paix – Sécurité – Développement. Sans État démocratique, il n’y a qu’un désert démocratique, est-on tenté d’affirmer à la suite des analyses de la validation de la thèse sur le vide démocratique de Lefort car la tendance est forte que la gouvernance publique favorise une sorte de recentralisation de la démocratie populaire dans les sphères de la bureaucratie démocratique appelée la comitologie. L’approche comitologique consiste en l’examen approfondi de la structure et du fonctionnement des comités (ou instances) de décision au sein d’une administration, d’une organisation, d’une entreprise agissant pour le compte d’une population ou de ses membres. En somme, ce n’est pas le fait de s’enfermer dans un local comme une enclosure qui fait la bureaucratie mais le fait de ne pas consulter directement les populations et privilégier le travail technique en comité, en commission ou en conseil et tenant lieu d’équipe pluridisciplinaire de techniciens. La comitologie est un mode de représentation basé sur les cercles concentriques de consultation-décision qui peut être professionnel, politique ou populaire ou encore relevant d’un profil multi-acteurs de co-construction.
La fonction démocratique du peuple souverain se limite aux élections quand celles-ci ne sont pas corrompues et manipulées empêchant la liberté pour les citoyens de choisir librement leurs élus. Il n’y a point d’État démocratique, sans espace démocratique fonctionnel considérant le peuple comme la première institution comme c’est clairement spécifié à la page 49 de l’ouvrage. Il faut reconnaître que la démocratie en politique ne se limite pas droit de vote, elle porte également sur la définition des politiques publiques et le contrôle citoyen pour légitimer l’action des acteurs politiques. En matière économique, la contribution des populations aux activités productives par la liberté de choix des productions ainsi que la contribution à la fiscalité pour le financement des politiques publiques atténuent toutefois le vide démocratique tel que l’expose Lefort en raison des différentes plateformes de dialogue et de négociation qui structurent les chaînes de valeurs ajoutées. La faiblesse du fonctionnement de la démocratie participative surtout dans le contexte qui est le nôtre au Bénin donne en partie raison à Lefort dans la mesure où prévaut une conception féodale du pouvoir d’État où tout se décide par des rapports de force et laissant peu de place aux compromis.
L’ouvrage a parfaitement raison de pointer, par ailleurs, la sensibilité quelque peu idéaliste de Lefort puisqu’il met en exergue que le peuple est un “pôle de non-pouvoirs” et appelle à un rééquilibrage des pouvoirs. Lorsqu’un peuple n’est pas suffisamment éduqué à l’exercice de son pouvoir à travers l’éducation à la citoyenneté, sa conscience est fragile sur ses droits, devoirs et responsabilités. Et ce faisant, les pouvoirs d’État et le pouvoir technocratique s’en accaparent pour élargir leurs champs d’influences sur le peuple. S’il y a une critique à formuler à l’endroit de Lefort sur le peuple comme un “pôle de non-pouvoirs” c’est celle de n’avoir pas relier le peuple au cycle de gestion de projet de changement social pour évaluer sa part de pouvoir dans les différentes chaînes du pouvoir d’État dont (i) la chaine de préparation et de prise de décision, (ii) la chaîne de contrôle de la qualité de la gouvernance, (iii) la chaîne des opérations de développement, (iv) la chaîne de répartition territoriale et équitable des retombées des actions de développement sur les différentes catégories sociales et (v) la chaîne de moralisation de la vie publique et des sanctions. Le peuple a un rôle à jouer dans ces cinq chaînes pour construire l’opinion publique. C’est à ce niveau que certains mécanismes de rééquilibrage des pouvoirs doivent être éprouvés à condition que le pouvoir politique et le pouvoir administratif jouent le jeu démocratique au moyen des mécanismes et outils suivants : analyse d’impact de la réglementation (AIR), missions de redevabilité, les élections politiques, le professionnalisme des services de renseignement humain font partie intégrante de la stratégie de rééquilibrage pour opérer la migration de pôle de non-pouvoirs vers le pôle de pouvoirs.
Dès lors, le rééquilibrage des pouvoirs doit s’inscrire dans un processus apprenant de conquête et d’exercice du pouvoir du peuple dans la mesure où les taux d’analphabétisme et de pauvreté sont très élevés, et en plus, dans la culture africaine, l’obéissance au chef relève du fatalisme institutionnel jusqu’au moment où la précarité devient oppressive et pousse à la colère collective. Le rééquilibrage des pouvoirs n’est pas possible sans un investissement durable des partis politiques dans l’éducation à la citoyenneté du peuple, malheureusement c’est leurs points faibles. Enfin, il faut distinguer dans la démocratie deux types de peuples : (i) le peuple global avec la démocratie directe qui vote pour élire les dirigeants politiques et consulté lors d’un référendum sur la constitution ou toute autre mesure relative au vivre-ensemble et (ii) le micro-peuple avec la démocratie représentative qui relève de la comitologie et traduisant toute dynamique d’un groupe à tâches incluant les comités, les conseils, commissions y compris les parlements, l’équipe gouvernementale, les assemblées générales d’une organisation, d’une administration et d’une entreprise, etc.
- Le point de vue de Max Weber sur la bureaucratie et la qualité des élites
Weber reconnaît les deux fondements de l’État moderne à savoir la bureaucratie qui est le cœur de métier de la comitologie dans la mesure où le peuple ne peut pas interagir directement dans la gestion des différentes chaînes de gouvernance publique de façon permanente et il faut passer par des modes de représentation afin que la voix du peuple soit entendue néanmoins. S’agissant de la contrainte organiséeau nom de la souveraineté du peuple, il s’agit de la règle du jeu social et institutionnel opposable à tous les pouvoirs et à chaque citoyen à travers la soumission principalement aux lois, aux valeurs, aux procédures et aux serments pour rendre le vivre-ensemble possible, la valorisation des talents incontournable et la solidarité réalisable.
Avec Max Weber, on retrouvera la logique systémique des chaînes à la page 114 de l’ouvrage lorsque la sphère politique selon lui est comme tout milieu de vie et tout milieu professionnel dominés par la conquête du pouvoir, le contrôle du pouvoir, la gestion du personnel politique et la gestion de l’État. Le vrai problème qui se pose avec la bureaucratie moderne est celui de la bataille de l’alourdissement des procédures des cinq chaînes pour affaiblir le pouvoir du peuple et multiplier les obstacles aux dialogues sur les politiques publiques d’où l’indispensable bataille de la simplification des procédures pour accroître la participation du peuple au moyen de réformes publiques qui améliorent le dialogue entre les pouvoirs publics et les usagers/citoyens/clients en vue de l’accès aux services publics. L’ouvrage a souligné à juste titre l’importance des TIC, de la digitalisation et des Think tankks qui facilitent la fertilisation croisée par la coproduction de connaissances et de positions comme Michel Crozier en fait cas dans son ouvrage ‘État modeste, État moderne”. En effet, les TIC permettent une démocratisation des connaissances et des pouvoirs, ce qui intègre par ailleurs (i) la création de nouveaux espaces de co-construction de connaissances, de mobilisation citoyenne pour peser sur les décisions politiques et les offres de services de la bureaucratie traditionnelle et (ii) le décloisonnement institutionnel entre le pouvoir d’État, l’expertocratie ou le pouvoir des experts et le pouvoir du peuple par un effort de débureaucratisation du développement qui est la nouvelle forme de liberté de résolution des problèmes des citoyens et d’efficacité du développement. Cette débureaucratisation passe par la modernisation des chaînes alors que la bureaucratisation entretient un lien de subordination à l’administration des usagers.
Lorsqu’une élite technocratique impose le savoir bureaucratique sans une triangulation de l’information avec la réalité de terrain, elle s’écarte de la vérité. Elle produira des mensonges maquillés en vérités pour manipuler la chaîne décisionnelle. De nombreuses lois sont ainsi produites tout comme des politiques publiques insatisfaisantes et à faible appropriation par les populations. Un leader politique déconnecté de la réalité du terrain qui s’appuie abondamment sur des rapports des administrations, des propagandes politiciennes et des approximations des services de renseignements ne peut que se tromper de bonne ou de mauvaise foi car survoler le terrain ce n’est pas faire le terrain.
Si la loi garantit à priori l’intérêt général dans un pays où le souci des droits humains est le moteur des délibérations et de l’action des pouvoirs politiques, le bien commun s’apprécie comme la condition d’existence humaine par une vie harmonieuse et pacifique dans la cité. Et le Père AGUENOUNON a raison de considérer à la page 108 que le bien commun doit découler du Nexus Paix – Sécurité – Développement comme l’état de dignité de l’individu et de sa communauté. Le bien commun devient alors le creuset intégrateur par lequel un peuple peut être fier des politiques publiques mises en œuvre pour une réussite sociale collective. Pour y arriver les deux leviers sur lesquels il faut agir c’est la vérité (conformité à la loi et aux valeurs) et l’amour (l’amour de la patrie, l’amour du prochain, l’amour de servir loyalement). A cet égard, il y a un lien étroit entre le bien commun et la justice sociale comme relevant du même principe moral et éthique. Toute violation du bien commun devient alors un péché collectif.
- Conclusion et perspectives
Le pouvoir du peuple est crucialement d’évaluer les lois, les politiques publiques, les partis politiques, les politiciens et les dirigeants d’un pays au nom de la justice sociale puisque c’est à lui que s’appliquent tous ces instruments de la contrainte organisée. La méthode puissante pour faire cette évaluation ce sont les élections libres et transparentes, et l’électeur qui doit faire gagner son candidat sans corruption et sans tricherie doit faire en sorte que la machine votante ne se substitue pas au peuple votant pour proclamer comme vainqueur le perdant. Une élection par fraude engendre la haine, détruit les fondements de la devise nationale et aggrave les frustrations des populations. Le contexte sous-régional avec une géopolitique très conflictuelle n’autorise pas à proclamer de faux vainqueurs. En situation de vulnérabilité politique et sécuritaire, il faut que l’État de droit se démarque de l’État de non-droit. C’est le moins qu’on puisse souhaiter.
Cela étant, le lieu vide de démocratie dans la philosophie politique selon Claude Lefort ne doit pas être appréhendé comme des espaces privés de paroles, ignorés par les décideurs politiques et les bureaucrates. Ce lieu peut être rechargé de démocratie à condition d’éduquer à la citoyenneté responsable le peuple pour qu’il défende ses droits en recourant à la corporéité pour investir tous les espaces sociaux où il peut faire valoir l’opinion publique. A cet égard, une bureaucratie reposant sur la comitologie peut autant relever d’un groupe d’experts scientifiques qu’un groupe de sachants endogènes ou de manageurs d’une organisation. L’un des grands défis à relever concernant la démocratie dans sa forme globale et de comitologie reste la production et l’acceptation de la vérité et le besoin de moralisation de la vie publique.
La conclusion de cet ouvrage révèle des résultats d’un diagnostic du système Bénin assez préoccupants en quatre points d’attention :
- Concernant l’élite politique et l’élite administrative : (i) la cohérence politique a laissé place à l’hypocrisie et à la myopie systématique, (ii) la majorité des hommes politiques s’accrochent sans scrupules au pouvoir et se repositionnent très vite pour continuer à bénéficier des avantages habituels, (iii) les exclusions politiques de tout genre participent de la résignation et de la marginalisation du peuple en n’aidant pas au renforcement de la démocratie ;
- S’agissant du peuple, (iv) la misère ambiante, l’analphabétisme, la faiblesse cognitive, la paresse, l’argent facile.
La thérapie proposée comprend sept recommandations :
- la maîtrise du train de vie l’État par la réduction des investissements luxueux dans la réhabilitation et la construction au nom de la modernisation ostentatoire des représentations des institutions et l’administration publiques ;
- la gestion des carrières administratives basée sur la méritocratie par la dépolitisation des hautes fonctions de l’administration avec le respect de la séparation des fonctions politico-administratives des fonctions administratives et techniques ;
- la modernisation de la fonction publique par un plan ambitieux de création et de renforcement des compétences.
- le recadrage des partis politiques sur leurs missions d’éducation des populations, de production d’électeurs et d’élus dignes attachés aux aspirations du peuple et de la société civile ;
- l’investissement dans la moralisation de la vie publique pour rendre l’impunité indésirable tant par le peuple que par le pouvoir judiciaire ;
- le renforcement des capacités des élus du peuple pour les mettre en état d’esprit de loyauté à la République ;
- la promotion de la démocratie participative par tous les moyens qu’offrent les TIC à travers les cercles de réflexion numérique et la simplification administrative constituant la bureaucratie démocratique qui place le peuple au centre de la décision et de l’action publiques.
En provoquant ce dialogue entre Lefort sur la démocratie et Weber sur la bureaucratie, le Père Arnaud Éric Aguénounon nous invite à une approche holistique du développement humain débureaucratisé et basée sur toutes les dimensions de la sécurité humaine avec des va-et-vient incessants entre le bureau et le terrain assortis d’une attention soutenue pour la vérité des aspirations du peuple. Il ne fait aucun doute que la paix passe par l’éradication de la précarité. Ce faisant, aucune réforme publique n’exige de compromettre la paix et il faut plutôt se servir de la paix pour l’inclusion sociale dans le but d’une coproduction des dynamiques de changement social. C’est ce leadership politique et bureaucratique qui permet de coproduire les innovations pour aller vers le progrès de chaque Béninois en respect de la devise nationale : Fraternité, Justice, Travail.
Simon-Narcisse TOMETY
Institutionnaliste et Territorialiste

