Le pêche illicite, non déclarée et non règlementée (INN) contribue depuis des décennies à l’épuisement des stocks de poissons et à la dégradation des écosystèmes marins au niveau mondial. Alors que les alertes pour inverser la tendance se multiplient, la Chine ne semble pas encore avoir pris la mesure du péril.
A travers le monde, les implications des opérateurs chinois dans la pêche INN sont largement documentées. La dernière étude publiée en 2022 par l’organisme Financial Transparency Coalition baptisé « Fishy networks : uncovering the companies and individuals behind illegal fishing globally » révèle que sur les 10 principales entreprises impliquées dans ce phénomène à l’échelle mondiale, 8 provenaient de la Chine, une de la Colombie et une autre d’Espagne.
Pour échapper aux autorités de régulation et déjouer les réglementations en vigueur dans les eaux territoriales à travers le monde, ceux-ci désactivent principalement leur système d’identification automatique (AIS/Automatic identification system), un dispositif qui informe habituellement sur le statut, identité, position et trajet.
Selon un rapport publié fin 2022 intitulé « Hot spots of unseen fishing vessels », les navires battant pavillon chinois sont ceux qui dissimulent le plus leur système de localisation de manière intentionnelle pour pratiquer la pêche illégale devant les bateaux en provenance d’Espagne, des États-Unis et de Taïwan.
« La Chine est un exemple clair d’un pays avec un problème considérable concernant la pêche illicite, non déclarée et non réglementée (INN), notamment en ce qui concerne sa flotte hauturière qui opère dans l’océan à l’échelle mondiale », avait dénoncé Vanya Vulperhorst, Directrice de campagne sur la pêche illicite et sur la transparence de l’ONG Oceana.
L’Afrique, victime principale de la pêche INN
Si les navires chinois écument les mers du monde, le continent africain est leur principal terrain de jeu. L’Afrique concentre en effet, près de la moitié des navires industriels et semi-industriels impliqués dans la pêche INN selon la Financial Transparency Coalition.
Sur les côtes ouest-africaines, les bateaux de l’empire du Milieu opèrent dans les eaux territoriales de plusieurs pays avec des cas avérés de pratiques de pêche illégale. Au Ghana par exemple, une note du think-tank Policy Center for the New rapporte la pratique du “saiko”
« Cette forme de pêche illégale qui consiste pour des chalutiers industriels à transborder leurs prises sous forme de blocs surgelés en pleine mer sur des « pirogues saiko » spécialement conçues pour les ramener au port. Elles peuvent transporter jusqu’à 450 fois plus de poissons que les pirogues traditionnelles. Là où la pêche artisanale par pirogue emploie environ 60 pêcheurs pour 100 tonnes de poisson, le saiko requiert seulement 1,5 pêcheur pour le même poids, soit 40 fois moins », rapporte l’institut.
Au-delà du saiko au Ghana, les pratiques illégales des navires chinois sur le continent comprennent également la pêche avec des lampes artificielles, les opérations dans les zones réservées aux pêcheurs artisanaux qui entraînent des incidents et des dommages matériels, le ciblage d’espèces dont les stocks sont déjà surexploités comme la sardinelle. Un rapport de Green Peace publié en 2020 (« Mal de mer : pendant que l’Afrique de l’Ouest est verrouillée par le Covid-19, ses eaux restent ouvertes au pillage » dénonce ainsi la surpêche industrielle et illégale pratiquée par les chinois au Sénégal. Dans le pays, la pêche INN fait perdre chaque année 150 milliards Fcfa (238 millions $) selon les estimations du Département américain de l’agriculture (USDA). Il ne s’agit pas d’un cas isolé puisqu’au Bénin, les pratiques chinoises coûtent deux milliards FCFA au pays et contribuent à la précarisation des populations actives dans un secteur qui représente 3% du PIB du pays.
Mettre Pékin face à ses responsabilités
A l’échelle mondiale, de nombreuses solutions sont envisagées pour parvenir à enrayer la pêche INN et ses conséquences sur les stocks halieutiques. Si celles-ci vont de l’exploitation et du partage de technologies les plus récentes de surveillance et de suivi pour sanctionner les navires qui pratiquent les activités illégales, l’une des mesures les plus efficaces serait d’abord de mettre à contribution les Etats auxquels appartiennent les navires qui se livrent à une pêche INN. En d’autres termes, la Chine doit montrer plus de volonté dans la lutte contre les pratiques illégales de ses ressortissants dans les mers du monde et plus précisément en Afrique. Il y a près de 10 ans, 24 pays africains se sont réunis à Yaoundé pour appeler la Chine à peser de tout son poids pour lever les obstacles à une pêche durable. Sans succès.
Plus récemment le 27 juin 2023, l’empire du Milieu a fait un pas en avant en acceptant formellement l’Accord de l’OMC sur les subventions à la pêche. Cet instrument international vise à mettre fin aux subventions préjudiciables pour les stocks de poissons et à interdire le soutien à la pêche INN. Cette décision marquera-t-elle une nouvelle ère dans la lutte mondiale contre la pêche illégale dans le monde après plusieurs années d’inaction ? Les pays africains ne demandent que ça…