Resté sourd aux nombreuses demandes et plaidoyers de libération de Reckya Madougou et Frédéric Joel Aïvo venant de partout dans le monde entier, le gouvernement Talon va devoir faire à un gros morceau. Les Etats Unis ont décidé d’entrer dans la danse après que le Secrétariat d’Etat a été saisi d’un courrier venant du Congrès et l’alertant sur les conditions carcérales de ces deux prisonniers politiques.
Alors que Cotonou est secouée par une sulfureuse et mystérieuse affaire de « tentative de coup d’Etat » impliquant le plus proche du chef de l’Etat, Washington sonne la charge. Les autorités du gouvernement fédéral se sont senties très préoccupées par la situation de l’ancienne ministre de la justice du Président Boni Yayi et du professeur de droit constitutionnel Frédéric Joél Aïvo condamnés respectivement à vingt et dix ans de prison ferme. Selon des sources concordantes, les conditions carcérales de ces deux opposants au président Patrice Talon ont fait l’objet ces derniers mois de plusieurs échanges de courriers entre le département d’État et le Congrès américain. Dans une lettre confidentielle en date du 20 août, Philip Laidlaw, l’un des assistants d’Antony Blinken, a affirmé que l’administration américaine suivait de près « le cas de Mme Madougou, figure de proue de l’opposition et ancienne ministre de la Justice [qui] a été arrêtée dans des circonstances qui ont soulevé de graves préoccupations en matière de droits de l’homme, ainsi que ceux d’autres détenus politiques, dont le professeur Joël Aïvo ».
Ledit courrier fait également état des tractations entre le département d’Etat et sommet de l’Etat béninois sans trop citer de noms. M. Laidlaw écrit également que : « Nous avons exprimé nos inquiétudes concernant ces détentions et plus largement les questions liées aux libertés politiques et à l’État de droit. Nous continuons d’exhorter le gouvernement du Bénin à respecter ses obligations internationales en matière de droits de l’homme et aux procédures judiciaires transparentes et justes pour tous les individus ». Ce haut responsable de l’administration Blinken a aussi partagé ses inquiétudes sur la santé de l’ex-garde des sceaux Reckya Madougou. Il s’est dit préoccupé par des informations selon lesquelles, « Mme Madougou se serait vu refuser l’accès à un avocat, des visites médicales régulières et celles de son fils, citoyen américain » avant d’indiquer « que de tels agissements sont incompatibles avec les obligations du Bénin en vertu du droit international des droits de l’homme ».
La partition du Congrès
Le cas de Reckya Madougou fait l’objet d’une attention particulière par les Etats Unis. En dehors du Groupe de Travail des Nations Unies qui a rendu un avis le 02 novembre 2022 dans lequel il dénonçait la détention « arbitraire » de l’ex-égérie du mouvement « Touche pas ma constitution » et demandait sa libération « immédiate », plusieurs députés membres du congrès ont pris à bras le corps la situation carcérale de M. Madougou. Le 12 juillet dernier, Sheila Cherfilus-McCormick, élue démocrate de la Chambre des représentants qui s’est émue de la mort en détention au Bénin de Latif Radji, un jeune étudiant interpellé en avril 2019 dans la foulée des violences électorales, réclamait du département d’État américain, dans une lettre à Antony Blinken, « un point détaillé des actions entreprises ou prévues en faveur de la libération de Reckya Madougou et d’autres prisonniers politiques ».« Le gouvernement américain fournit chaque année une aide financière substantielle au Bénin, dont près de 700 millions de dollars venant du Millenium Challenge Corporation (MCC) depuis 2006 et 200 millions de dollars en 2022, malgré des preuves évidentes de violation des droits de l’homme au Bénin », avait ajouté également l’élue de Floride. En dépit de ces différentes pressions, le gouvernement du Président Patrice Talon n’a pas trop bougé de sa ligne. Mais l’immixtion du département d’Etat dans cette affaire pourrait faire changer la donne au regard des intérêts pour le chef de l’Etat béninois de ne pas se mettre les Etats Unis à dos.