L’affaire « Hounvi », du nom de chroniqueur béninois arrêté nuitamment le 12 août dernier dans les rues de Lomé vient de connaître un nouveau rebondissement avec la réaction tant attendue de la partie togolaise. Il s’agit d’un communiqué du procureur de la République du Togo qui donne un cachet officiel à cette affaire et qui risque d’affecter gravement et durablement les relations diplomatiques bénino-togolaises séculaires et fraternelles.
Le 12 août dernier à Lomé, la police nationale, disait-on, avait réussi l’enlèvement spectaculaire du web-chroniqueur Hounvi dans les rues de Lomé. Ces dernières années, elle a développé une solide expertise dans le domaine des rapts de toutes sortes. L’exploit de Lomé venait simplement du fait qu’elle l’a réalisé en territoire étranger, au nez et à la barbe de l’armée et des renseignements togolais dont on disait autant de bien. Les thuriféraires du régime, les webactivistes prébendés et même des politiciens paltoquets avaient claironné sur l’efficacité des services de renseignement béninois en prenant Lomé comme Cotonou qu’ils connaissent comme leur poche. L’affaire était donc réglée et la peur proprement installée dans le camp des rares esprits audacieux qui oseraient mettre sur la place publique d’éventuels récits pamphlétaires contre le régime. Les défenseurs de la thèse du rapt « mérité » pour chercher un webchroniqueur qui emmerdait tout le régime avaient bien misé sur la complicité du silence du régime togolais et surtout de son numéro un Faure Gnassingbé. Et leur raisonnement ne manquait pas de logique : s’il n’a pas réagi à l’arrestation de sa conseillère spéciale et l’a laissée croupir en prison, ce n’est la cause d’un chroniqueur qu’il va défendre. Un de moins. Avançons. La justice avait commencé ses mics-macs habituels avec des présentations au procureur entourées de mystère et des renvois en détention préventive. Mais dès la présentation du chroniqueur au procureur spécial de la Criet, une énigme a laissé planer des doutes sur l’identité réelle de la personne arrêtée. Ce doute proviendrait des propos tenus par l’accusé qui aurait affirmé être Steve Amoussou et non Hounvi connu comme le chroniqueur. Steve Amoussou a levé un lièvre et maintes personnes ont commencé à douter de l’efficacité de l’opération « commando » du 12 août. On en était là quand ce soir, Lomé lance ses hostilités.
Affaire d’Etat
Le communiqué du procureur de la République Talaka Mawama a eu le mérite de confirmer ce que beaucoup pensaient être juste de folles rumeurs agitées par des opposants en quête de populisme. Le gouvernement, de même que la justice béninoises n’avaient pas jugé de donner la moindre information officielle sur le sujet. Tout était entouré, comme d’habitude, de mystères. La réaction de la justice togolaise vient donc donner le sceau de l’officiel à cet acte crapuleux digne d’organisations mafieuses. Elle s’est aussi donné le temps de faire sa d’enquête avant de réagir. Alors que maints Béninois l’appelaient à réagir pour fixer l’opinion internationale, le gouvernement a choisi de briller par son silence, attendant de collecter un minimum d’informations avant de réagir. Elle a, non seulement confirmé les faits mais donné des précisions sur l’identité des personnes impliquées. Ces dernières, au nombre de trois, auraient contribué à l’arrestation du web chroniqueur.La justice togolaise affirme avoir confié le dossier à Interpol, l’Organisation Internationale de la Police Criminelle. Deux grands enseignements sortent de cette déclaration du procureur de la république. Le premier c’est que cette affaire n’est plus un fait divers ordinaire comme le pensaient et le disaient certains mais une « affaire d’Etat ». Il l’est par le statut de l’accusé : un réfugié politique sous la protection du Haut Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés. Il l’est également par le statut d’une des personnes accusées par Lomé : un Directeur d’une agence nationale réputée « proche » du Président de la République. Lomé qui a décidé de réagir à la hauteur de l’offense n’a pas voulu utiliser la diplomatie pour régler ce problème. Bien au contraire, en lançant un mandat d’arrêt international contre ces trois présumés ravisseurs, Lomé monte le ton et met le gouvernement de Patrice Talon dans une situation inconfortable. En effet, Interpol est la plus grande organisation de police au monde, la Police Républicaine du Bénin est contraint de collaborer et de livrer ces personnes. A défaut, elle passera très vite dans le rang du « mauvais élève » et ne manquera d’en subir les représailles. Sur ce coup, Lomé a joué la carte de la réplique. Hounvi risque de venir un os dur la gorge du Président Talon. Peut être plus dur qu’Aïvo et Madougou. Faure Gnassingbé passe devant Talon dans cette guerre froide que se livrent les deux hommes depuis 2016.