Le Bénin et le Togo vivent depuis 2016 des relations diplomatiques très ambiguës. Au cœur de cette crise qui ne dit pas son nom, deux chefs de l’Etat aux tempéraments identiques qui soufflent pourtant le chaud et le froid et qui se combattent à fleurets mouchetés. Le rapt inattendu et inexplicable du web-chroniqueur Frère Hounvi à Lomé a été le dernier épisode de cette guerre froide qui réserve sûrement d’autres rebondissements.
Bonnes, mauvaises, florissantes, tendues…il est difficile, même aux meilleurs spécialistes des relations internationales de qualifier les relations diplomatiques entre le Bénin et le Togo. Ces deux pays du Golf de Guinée liés à la fois par la culture, l’histoire et la politique(ancienne Daho-Togo ) qui n’ affichent pas pourtant aucune animosité apparente ne sont guère si complices. Les deux chefs d’Etats Patrice Talon et Faure Gnassingbé semblent bien se marquer à la culotte dans une sorte de « rivalité de coépouse » où chacune cherche à plaire à l’époux et à être la meilleure en surfant sur les erreurs de l’autre. On l’a vu dans la crise du Sahel où, prenant le contre-pied de Patrice Talon qui jouait au « bon élève » de la CEDEAO et des institutions internationales, Faure Gnassingbé a opté pour l’équilibrisme diplomatique, ménageant la chèvre et le chou. Une posture plus réaliste qui l’a propulsé comme un interlocuteur incontournable dans la résolution de cette crise et son pays en a bénéficié des dividendes. Patrice Talon et Faure Gnassingbé n’avaient pourtant aucun différend perceptible jusqu’à l’arrivée de Patrice Talon au pouvoir en avril 2016. Bien au contraire, le premier a joué de tout son poids pour aider le second à faire la paix avec son successeur Boni Yayi alors inquiet après les relations tumultueuses entre les deux pendant la période 2012-2016. On se rappelle bien de cette réunion d’Abidjan où les présidents Ouattarra et Gnassingbé, jouant aux médiateurs dans la crise opposant ces deux hommes d’Etat béninois. Les indiscrétions racontent même que Faure Gnassingbé en intelligence avec sa conseillère spéciale Reckya Madougou ont dû intervenir auprès du Président Boni Yayi pour qu’il laisse Patrice Talon, alors en exil, rentrer au pays. Alors qu’est ce qui a pu donc brouiller les relations entre les deux hommes d’Etat. Selon des confidences échappées de Lomé 2, le président togolais aurait été ulcéré au prime abord par le non respect des engagements pris par Patrice Talon devant lui et le président ivoirien Alassane Ouattara de protéger et de ne rien faire de mal à son prédécesseur Boni Yayi. Mais Patrice Talon n’a pas eu froid aux yeux en mettant en résidence surveillée Boni Yayi pendant cinquante deux jours. Ce dernier n’a pu s’en sortir qu’après les lobbyings de plusieurs anciens présidents et présidents en exercice sur le continent. Depuis ce temps, le président togolais aurait pris ses distances avec son homologue béninois en résumant leurs relations aux stricts miniums nécessaires pour les relations de voisinage, aux accolades et sourires narquois lors des différents sommets et réunions internationales où ils se rencontrent.
Ruse et froideur
L’arrestation du chroniqueur Hounvi à Lomé ouvre un autre épisode de cette relation. Patrice Talon qui joue sur la corde sensible du « il ne peut pas me donner de leçon de démocratie » a réussi l’exploit d’aller arracher au nez et à la barbe de Ganssingbé une porte voix de l’opposition béninoise trop menaçante pour son régime et caché sous le mystère du pseudonyme Hounvi. Comment le Togo, un si vieux régime autoritaire, connu pour la solidité de ses institutions militaires et l’efficacité de ses services de renseignements a pu laisser des barbouzes entrer sur son territoire, traverser des kilomètres et venir hameçonner dans ce quartier populeux d’Adidogomè un activiste sous protection du Haut Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés(HCR) ? Comment cela a pu être réalisé sans que la police togolaise n’ait pu réagir et arrêter les ravisseurs avant qu’ils ne quittent le territoire togolais ? Ce rapt soulève des inquiétudes sur les faiblesses du système sécuritaire togolais et jette un discrédit sur les efforts du gouvernement à faire du Togo un pays de transit et un hub pour les multinationales et les magnats de l’industrie. Soit dit en passant, Talon réussit ainsi son deuxième tour de ruse sur la froideur de Faure Gnassingbé. Il avait déjà réussi en 2021 à pêcher dans le marigot personnel du président togolais en arrêtant, toujours par un rapt, sur le pont de Porto Novo Reckya Madougou, sa conseillère spéciale revenue battre campagne au pays dans le cadre de l’élection présidentielle. Lomé n’avait toujours eu aucune réaction officielle mais on savait que cette arrestation a été mal prise par l’homme fort de Lomé. Deux victoires importantes qui montrent à l’homme fort de Cotonou que Lomé est bien prenable et qu’il peut continuer. Le Togo peut lui se targuer d’avoir réussi à profiter au maximum du désamour des pays du Sahel pour le Bénin et son chef d’Etat dont l’image la côte de popularité ont totalement dégringolées dans ces pays où se développe une sorte de politique souverainiste anti-occidentale. Le Togo en a tiré pour capter d’importantes rentes économiques avec le port de Lomé et en a profité pour soigner son image plongée jadis dans les dédales de l’obscurantisme. Deux un donc en faveur du Bénin en attendant le prochain round. .