Il est l’un des rares hommes politiques à s’opposer à Talon de manière frontale. Depuis 2016 où Talon a pris le pouvoir, Ganiou Soglo n’a jamais manqué l’occasion de désapprouver sa politique. Dans une interview qu’il nous a accordée, l’ancien ministre revient sur les dossiers brûlants de l’heure. La tentative d’assassinat sur sa personne, le différend entre le Bénin et le Niger, la tournée gouvernementale, la cherté de la vie…rien n’échappe à sa verve et à son analyse.
Le Patriote : Bonsoir Monsieur le ministre, vous êtes revenu il y a quelques jours de voyage. Comment vous vous sentez ? Ya-t-il toujours des balles dans votre poitrine après votre tentative d’assassinat ?
Ganiou Soglo : Je me porte bien. C’est vrai que j’ai été un peu absent ces derniers mois. Mais tout est rentré dans l’ordre et je suis en pleine forme aujourd’hui. Je tiens encore à remercier les nombreuses personnes qui n’ont cessé de me témoigner leurs affections depuis l’année 2021, cette année un peu funeste pour moi parce qu’après avoir subi cette tentative d’assassinat, j’ai perdu aussi ma mère. C’était une année un peu difficile.
Votre livre « 17 minutes pour vivre » relate cette tentative d’assassinat, avez-vous passé l’éponge sur cette affaire ou avez-vous toujours des ressentiments ?
Je crois qu’il faut pardonner. Le pardon c’est la meilleure des choses. Quand vous gardez des choses en vous, elles vous détruisent à petit feu. Donc je pense pour ma part que je suis passé à autre chose. Comme vous l’avez dit, il était important que je puisse mentionner dans un opus, « 17 minutes pour vivre », ce qui s’est déroulé en ce moment-là. Mais pour moi aujourd’hui, c’est derrière nous. Il faut aller de l’avant. La vie vaut la peine d’être vécue. Nous sommes encore en vie et donc les mânes de nos ancêtres, n’ont pas voulu que je sois dans l’au-delà, je suis encore présent.
Depuis le 26 juillet, il a eu coup d’Etat au Niger, vous le savez très bien. Depuis ce jour, le Bénin est, disons-le, dans une série de crises. Crise diplomatique, économique, stratégique, alimentaire avec son voisin du Nord. Le dernier développement de l’actualité ici à Cotonou, c’est l’arrestation de cinq officiels nigériens. Quelle est la lecture globale que vous faites de cette crise qui dure depuis près d’un an et qui n’a pas l’air de finir ?
Je vous remercie Marcel. Je suis attristé comme bon nombre de nos concitoyens par cette situation que nous vivons avec un pays frère, le Niger. C’est à la fois déplorable, lamentable. Je pense qu’ on aurait pu faire économie de tout ça. Laisser de côté les égaux et mettre la balle à terre. C’est ce que je pense. Mais je dois aussi vous dire que je m’interroge sur cette crise. C’est à croire que quand on est prêt à la résoudre, on remet de l’huile sur le feu. Vous savez, je ne veux pas jouer à l’apprenti sorcier parce que ce n’est pas mon rôle. Mais rappelez-vous que dans mon livre 17 minutes pour vivre, j’avais indiqué en 2022 que le prochain président de la Cour constitutionnelle allait être Monsieur Dorothée Sossa. A l’époque, on m’avait pris un peu pour un fou. Aujourd’hui, on sait ce qu’il en est. Il y a quelques semaines de cela, j’ai eu à dire que je pensais en mon fort intérieur que le président Talon allait tout faire pour se représenter en 2026. Est-ce que c’est pour cela qu’on envenime une situation de crise avec notre pays frère le voisin du Niger, pour qu’on puisse nous emmener dans les prochaines semaines, ou mois à un état d’urgence voté par les députés et qui accorderait une prolongation des mandats au président Talon ? Je m’interroge sincèrement sur ce qui pousse notre gouvernement à adopter une telle prise de position. Rappelez-vous, le président Houngbédji nous avait rappelés il y a quelques années de cela que si le PRD n’était pas prêt à accompagner le candidat de l’époque, Patrice Talon, c’est parce qu’il ne voulait pas d’un commerçant à la tête de l’Etat. Si c’est le cas, il y a des millions de dollars qui devaient être engrangés par ce pipeline non pas les caisses de l’Etat mais dans les poches de ceux qui nous gouvernent. Alors si ceux-là qui ont mis notre pays en coupe réglée sont prêts à abandonner une partie de ces gains, il faut se poser la question de savoir quel est le motif ? Quelle est la motivation qui sous-tend tout ça. C’est pour ça que je m’interroge à haute voix devant vous sans en avoir la preuve. Mais, j’espère que je me trompe. Et que on ne nous sortira pas des fagots de bois cet état d’urgence. Mais il y a quelques semaines je disais que le président Talon se préparait à être de nouveau candidat en 2026. On connait comment ça se passe. On paye quelques personnes pour vous dire, « la voie n’est pas terminée, il faut que le président Talon continue pour un troisième mandat… ». Mais je trouve que pour nous béninois, on est affligés de voir ce qui se passe avec notre pays frère. On va stigmatiser maintenant les nigériens qui vivent en paix dans notre pays depuis maintenant des décennies ? … Je me pose des questions. Je pense qu’on aurait pu faire l’économie de cette arrestation de cinq responsables nigériens de la société WAPCO. Après quand j’entends le procureur de la Criet dire que dans ces cinq personnes, il y a deux personnes du CNSP ; le CNSP n’est-il pas au pouvoir aujourd’hui au Niger ? Ils font partie du gouvernement nigérien comme nous aussi nous avons un gouvernement avec des responsables politiques. Donc nous dire qu’il y a deux personnes qui sont du CNSP, pour moi, c’est un pléonasme. Puisqu’ils sont au pouvoir au Niger. Ils ont le droit de venir s’enquérir de comment se passe l’acheminement de leur pétrole sur notre sol.
Au fond, peut-on reprocher au président Talon de mettre en phase l’ouverture des frontières et la question du pétrole ?
Ecoutez, là encore, je ne veux pas être un apprenti sorcier. Mais mettez-vous à la place des responsables de la sous-région qui entendent et écoutent notre président, affirmer un jour qu’il est là pour un mandat, que nonobstant ce que les députés et la Cour constitutionnelle vont décider lui, il partira. Et qu’ils le voient encore en place. De la même façon, nous avons, une histoire commune avec le Niger, de par notre port mais aussi de par les liens qui unissent nos familles. Nous avons un président qui, au sortir de cette conférence des Chefs d’Etats à Abuja, a eu des mots va-t-en-guerre contre le Niger, le peuple nigérien. Quand lui-même, on peut aussi le dire, a fait un hold-up constitutionnel pour pouvoir se maintenir au pouvoir en 2021. Donc quand vous affirmez qu’il faut revenir à l’ordre constitutionnel, les gens vous regardent et se disent mais la personne qui nous dit ça, elle-même est-elle sans reproche ? Je crois que dès le moment où le président Talon a tenu de tels propos, ça a brisé la confiance entre nos deux Etats. Parce que dans le même temps, on a vu le président Gnassingbé du Togo qui n’a absolument rien dit au sortir de cette conférence des Chefs d’Etats et qui lui-même, s’est trouvé être l’un des médiateurs auprès de la junte. Donc comprenez. Mettez-vous à la place des responsables nigériens. Peuvent-ils encore croire en la parole du président Talon ? Quand la parole d’un Chef d’Etat, à la longue, ne vaut plus rien, parce qu’il dit quelque chose et son contraire, pourquoi voulez-vous que les gens lui croient encore ? Je préfère alors en ce moment-là le mutisme du président Gnassingbé qui ne disait rien…Et là avec cette arrestation des cinq responsables nigériens, on met encore de l’huile sur le feu. Je pense qu’il est temps qu’on puisse retrouver la voie de la raison. Je pense à ce propos au Président Soglo, ce n’est pas parce que c’est mon père, c’est parce que c’est un sage. Il a fait une déclaration où il se disait prêt, puisqu’il connait la plupart des autorités nigériennes. Il voulait faire économie à notre peuple de tous ces soubresauts, c’est parce que personne ne l’a écouté. Il était prêt à aller en tant que médiateur. J’espère que notre président va entendre son discours et peut-être l’appeler pour lui dire d’aller voir les responsables nigériens et voir comment on peut essayer de mettre la balle à terre par rapport à une situation qui peut s’envenimer.
M le Ministre, j’insiste encore sur ce volet. Le Bénin a des recettes fiscales. Le président Talon n’a-t-il pas quelques parts raison de mettre en lien les questions de la frontière et celle du pétrole ? Vous refusez que votre frontière soit ouverte donc ne comptez pas sur nous pour le pipeline. Sinon il y a une logique qui se dégage…
Je ne sais pas s’il y a une logique. Comme je le dis, mettez-vous à la place de la partie nigérienne. Elle peut se dire à tort ou à raison que si elle ouvre ses frontières, elle peut subir une déstabilisation en provenance de notre territoire. Après les propos belliqueux qu’a tenus le président Talon, mettez-vous à leur place. Maintenant, en ce qui concerne le pipeline, c’est une affaire privée. Et je ne suis pas à la place du président Talon. Mais si réellement les recettes fiscales du pétrole allaient réellement dans les caisses de l’Etat béninois, et donc touche à l’ensemble de nos compatriotes. Je pense qu’on pouvait attendre du président Talon une bien meilleure attitude. Il pouvait, eu égard à la situation économique défavorable que vit notre pays aujourd’hui, se dit que ces recettes vont aller au budget national. Est-ce que c’est le cas ? On verra dans la note de finance. Je ne sais pas si aujourd’hui les profits du coton rentrent dans les caisses de l’Etat comme c’était le cas à l’époque du président Soglo et des précédents gouvernements. Je n’en suis pas si sûr. Oui vous avez raison peut-être de signifier, la partie nigérienne ne veut pas ouvrir ses frontières donc moi je bloque l’acheminement du pétrole sur mon sol. Mais comme je le dis, il faut dissocier les deux.
M. le Ministre, avez-vous lu le protocole d’accord du 23 janvier 2019, qui stipulait les dispositions…
Non je ne l’ai pas lu. A chaque fois quand il y a un nœud gordien, eux ils viennent à la télévision et lisent. Et donc dans ces dispositions, on est un peu surpris. Dans ces dispositions, il est prévu que toutes les parties puissent contrôler le flux du pétrole qui sort du pipeline. Donc, ce qui manque, à ce moment-là, le porte-parole du gouvernement devrait apporter un éclairage substantiel sur cette question…
Etes-vous sceptique par rapport à l’issue de cette crise entre le Bénin et le Niger ?
J’espère que non. Mais comme je le dis, il faut pouvoir envoyer les bonnes personnes. Aujourd’hui, la confiance est rompue de part et d’autre. Comment pouvons-nous faire ? Qui a la stature suffisante pour pouvoir aller, en tant que sage, voir les autorités nigériennes et le président Talon ? Je n’en vois que deux au Bénin. Le président Soglo et le président Yayi Boni. Après, le président Talon peut envoyez ses émissaires mais je pense que là où on est là, il faut d’abord mettre la balle à terre et je pense que, que ce soit le président Soglo ou le président Boni Yayi qui sont allés voir les autorités nigériennes, elles les écouteraient avec respect, dus à l’âge et aux fonctions qu’ont occupées ces deux personnalités et trouveraient du crédit dans leur propos. Donc je pense que quelque part, il serait utile que cette disposition puisse être prise en compte par nos autorités.
Merci à vous. Nous allons changer de thématique et aborder la tournée gouvernementale. Depuis environ deux semaines, le gouvernement et les partis politiques de la majorité présidentielle, expliquent aux populations tout ce qu’ils ont fait depuis huit ans, à un moment ou les populations semblent avoir d’autres préoccupations. Est-ce que vous pensez d’abord que cette tournée, dans sa forme est opportune ?
(Sourire). Comme je l’ai dit il y a quelques semaines de cela, le président Talon, pour ma part, s’apprête à se représenter en 2026. Donc ceci explique peut-être cela. Mais j’aimerais quand même peut-être rappeler un certain nombre de chose parce que j’ai écouté beaucoup de choses. Nous avons un devoir de mémoire vis-à-vis de nos populations et surtout les plus jeunes. Ceux qui n’étaient pas nés ou venaient de naître quand nous avons connu la conférence nationale. Quand j’entends certains députés dont je ne mentionnerai pas le nom, ou de responsables politiques, tenir ce genre de propos, je me dis…
Vous parlez de quels propos, M le Ministre ? Du fait que le maïs soit devenu cher parce que les poulets…
(Rire) écoutez, quand vous voyez que ce soit de la part de Monsieur Djogbénou, ou Monsieur Aladatin, de notre Vice-présidente, vous vous dites… Moi je n’en reviens pas. Je ne vais peut-être pas être arrogant ; ni méprisant mais il faut savoir se respecter. Quand tant des nôtres, on fait en sorte que le chef aujourd’hui soit au pouvoir en 2016, qu’il vous souvienne que bon nombre de béninois sont morts dans les années 80 pour qu’on en arrive à la conférence nationale. Par hiérarchisation, il y a trois personnes qui symbolisent la conférence nationale : le président Mathieu Kérékou, parce qu’il a accepté les conclusions de la conférence nationale, alors que dans d’autres pays, ça s’est très mal passé ; Monseigneur De Souza qui représentait l’église catholique et Nicéphore Dieudonné Soglo, qui a été nommé premier ministre parce que acclamation parce que rappelez,… Quand aujourd’hui, on nous vante les louanges du gouvernement Talon, mais quand même… Je considère que le père du Bénin moderne, c’est Nicéphore Dieudonné Soglo. Nonobstant tout ce qu’on peut penser de lui… Vous vous rappelez dans quelle situation de quasi faillite était notre Etat ?… Il a failli remettre le pays au travail et Nicéphore Soglo l’a fait avec des compatriotes, avec des nationaux. On est passé de -3% à 6%. Quand aujourd’hui j’entends le gouvernement se gargariser en disant vous voyez ce qui a été fait, personne ne l’a fait au Bénin, c’est insulter le peu l’intelligence que nous avons. D’abord je tiens à rappeler à ceux qui disent ça que peut-être ils ne sont pas des économistes et donc, je les excuse. Mais vous ne pouvez pas comparer une situation qui prévalait il y a plus de 35 ans… C’est comme si vous comparez Pelé à Messi… Nicéphore Dieudonné Soglo, comme je le dis, c’est le père du Bénin moderne. C’est lui qui a, devant des recettes d’Etat insuffisantes, créé la TVA. C’est lui qui a supprimé le « Takouè », rappelez-vous, cet impôt agricole ou on pourchassait les paysans. C’est lui qui a enlevé la TVM, la taxe sur les véhicules motorisés. Ce que nous avons aujourd’hui, de nouveau, à payer. Et quand aujourd’hui on entend les gens nous parler de quoi ? « Ali »… Mais vous vous rappelez ? On appelait Cotonou, Cototrou… Mais quand on entend des responsables de ma génération raconter des incongruités, on ne doit pas se taire. Il faut rappeler à notre jeunesse, un devoir de mémoire. Non, le Bénin n’existe pas depuis l’arrivée du président Patrice Talon en 2016. Le Bénin existe depuis la nuit des temps. Chaque président a fait pour lui et a fait sa part.Vous allez nous dire que le CNHU, sous le président Maga n’a pas existé ? A l’époque, c’était l’un des fleurons de notre économie. Donc ce n’est pas parce que vous êtes au pouvoir et que vous allez y rester et que les délices du pouvoir vous font dire des choses inacceptables … Comme je l’ai dit avant, moi mon père a été Chef de l’Etat. J’ai su garder mon état d’esprit. Un peu de retenu. Mais il faut absolument rappeler aux uns et aux autres. Parce que justement, il y a les marchés financiers qui vous permettent d’emprunter… L’économie mondiale regorge de financement. Mais qu’il vous souvienne que les années 90, quelles étaient nos sources de financements ?
Donc j’aimerais rappeler aux uns et aux autres de savoir raison garder. De ne pas raconter tout et n’importe quoi. Vous voyez quand on se gargarise de taux de croissance de 6%, alors que dans le même temps, votre population crève la faim, ou vous avez une explosion des prix des denrées de premières nécessités, je me dis mais qu’auraient-ils fait s’ils avaient été à la place de Nicéphore Soglo, quand il y a eu de la dévaluation… En tout cas moi, on ne me la racontera pas et je suis prêt à un débat contradictoire avec n’importe qui de ceux qui aujourd’hui racontent n’importe quoi…
Mais je tiens à dire, surtout à notre jeunesse, c’est bien les réseaux sociaux. Mais lisez. Allez à la source des informations. Pour faire votre comparatif. Mais je rappelais à Maître Djogbénou, je pense qu’il devrait remercier le gouvernement Soglo car s’il a pu continuer ses études c’est grâce au gouvernement du président Soglo qui a payé les arriérés de salaires de plusieurs milliards, épongé pensions de retraite de nos parents. C’est comme si vous disiez aujourd’hui aux français que le général de Gaule n’est rien.
Réalisée par Marcel ZOUMENOU
Transcription : Ignace TOSSOU