Il a fallu compter avec le perfide titre d’un article de presse balancé par un confrère du septentrion pour que le porte-parole du gouvernement nous permette d’entendre son nouveau narratif sur la « succession ». Pour montrer la bonne foi de leur patron et calmer les ardeurs, les lampistes de la communication présidentielle ont tôt fait d’inonder la toile d’un extrait de sa déclaration afin de rectifier ce qui est apparu très vite comme une grosse bourde communicationnelle : l’annonce du 3è mandat de Patrice Talon. Ça donne ceci : « S’il(réf au Chef de l’Etat) continuera pas, il faut qu’il nous aide alors à trouver un successeur qui maintient ce rythme…. ». L’argumentaire est plus pointu ici : « je dis à cette personne et pour rassurer toutes les autres, il est candidat à la préservation des acquis de sa gouvernance, donc il va nous aider tous au moment venu pour que la succession se passe bien… ». L’association du nom du chef de l’Etat à une prétendue candidature ici au Bénin, quel qu’en soit la raison et l’argument, est une bien sibylline communication qui ne rassure personne. De même, beaucoup de Béninois qui ont le sens de l’Etat, ont été sûrement heurté par l’usage du mot « succession ». Il ne s’est d’ailleurs pas introduit par inadvertance dans le vocabulaire du porte-parole puisque qu’en deux phrases, il l’a usité deux fois des mots de même famille. Dans une première phrase, il a dit « successeur » puis après « succession ». On comprend donc qu’en 2026, la majorité présidentielle au pouvoir est bien à la recherche d’un successeur au président Talon comme exactement dans une royauté ou un régime monarchique où le souverain choisit à l’avance son prince héritier ou qu’un carteron de dignitaires se réunit pour le faire dans certains cas juste après sa mort. Pris dans l’ivresse de sa communication et de son éloquence, le porte-parole a donné bien l’impression de trahir un petit « secret de couvent » qui donne sens et signification à la fameuse boutade présidentielle « je serai actif » et qui confirme les velléités cachées derrière les multiples verrous introduits dans la loi électorale pour barrer la voie à toutes les candidatures et favoriser le prince héritier. Mais ça, les Béninois commencent à comprendre.
La ritournelle de « bilan à préserver », « d’acquis de gouvernance à conserver » ou de « réalisations à maintenir » très répandue dans les régimes totalitaires d’Afrique, de l’Europe de l’Est et d’Asie est quant à elle bien connue des Béninois. Elle revient d’ailleurs de façon cyclique à chaque fin de quinquennat. En 1996, l’adolescent que j’étais avais assisté au premier épisode de la série. Lors de la campagne présidentielle, tout l’appareil d’Etat mobilisé derrière le président Soglo avait agité l’opinion avec cette idée d’arrêt du processus de développement qui avait pris l’envol dans notre pays avec l’avènement au pouvoir du banquier. Cela avait même pris l’allure de menace sur les électeurs. L’une de ses ministres en campagne à Porto Novo avait affirmé que s’il perdait le pouvoir, il allait arrêter « tous ses projets » de développement, « mettre fin au paiement du salaire des fonctionnaires » et au « bitumage et pavage des voies » car « ses blancs allaient arrêter de nous financer ou de nous prêter de l’argent ». Elle avait même brandi le spectre du retour des années blanches pour fouetter la conscience des jeunes élèves que nous étions. En mars 1996, Soglo perdit tranquillement les élections, Mathieu Kérékou revint au pouvoir. Mais pour autant le pays ne s’est pas arrêté. Les pavages et bitumages de route ont continué, les fonctionnaires ont perçu leurs salaires pendant les dix ans. La démocratie s’est plus enracinée, certes avec des dérives, mais elle a permis au pays d’avoir plus de financements et de prêts et de gagner pour la première fois l’exigent programme américain du Millenium Challenge Account(MCC). A la fin de son 2è quinquennat, certains faucons de son régime reviennent avec le même discours « d’acquis à préserver ». On nous vendait sa carrure de « personnalité politique hors-classe », « garant de paix, de stabilité politique et d’unité nationale et tutti quanti ». S’il part du pouvoir tout suite, le pays peut tomber dans les incertitudes du lendemain, de l’instabilité et des conflits politiques. On nous rappelle le danger des années 60 et 70 avec sa frénésie de coups d’Etats. En mars 2006, Kérékou part du pouvoir sans pouvoir fait le rajout des deux ans et Boni Yayi s’est installé. Les routes se sont multipliées, les financements et les projets aussi. Tourné à gauche, il avait mené beaucoup d’actions sur le plan social qui ont touché les plus pauvres et les plus vulnérables. A la fin de son dernier quinquennat, les caciques de son régime agitent la continuité avec le slogan « après nous c’est nous ». A son départ du pouvoir, Patrice Talon s’installe après avoir battu au second tour Lionel Zinsou pour qui Boni Yayi a battu officiellement campagne.
On est donc habitué à cette psychose. A la fin d’un pouvoir, ça joue à nous faire peur, à nous faire gober l’idée que ce chef d’Etat est le meilleur de tous, qu’avant lui il n’y a rien eu et qu’après lui, ce sera le déluge. Mais ce Bénin dont on parle ne tombe jamais. Il est éternel et à chaque alternance au sommet de l’Etat, le nouveau Président fait toujours des progrès dans un domaine donné. Ce Bénin est éternel et transcende les désidérata de chefs assoiffés de pouvoir. Ce naïf discours trouve échos auprès de quelques esprits faibles qui croient toujours au chef d’Etat « sauveur » qui est au dessus du pays qu’il illumine avec son génie. Il a les meilleures idées du développement et le seul capable de mobiliser les fonds pour son développement. Pourtant le développement n’est pas synonyme d’un mandat présidentiel. En dix ans, un chef d’Etat fait un petit pas de ce long parcours qu’est le développement. Il le fait selon son humeur, ses priorités et ses options de développement. Patrice Talon a misé sur les infrastructures et la modernisation du pays. Il a préféré aussi l’embellissement des rues au détriment de la prise en charge des insuffisants rénaux qui meurent comme des poulets. Il a aussi choisi faire confiance aux expatriés pour gérer les sociétés d’Etat que les nationaux. D’autres avant lui avaient mis l’accent sur le bien être des populations et celui qui viendra après lui choisira également ses priorités. Depuis 1991, les Béninois se sont habitués aux intrigues de la gouvernance politique. Ils connaissent les enjeux de l’alternance. A chaque fin de pouvoir, ils choisissent toujours celui qui est le plus opposé au Président en place pour le remplacer. Bien que cela puisse paraître un peu cynique, c’est une manière à eux d’assurer la vérification de la gestion du partant qui, malheureusement ne revient jamais devant eux pour une reddition de comptes. Ainsi donc, en 2026 il s’agira d’une alternance et non d’une succession. Les Béninois n’ont pas eu besoin de l’avis de Boni Yayi pour choisir son successeur en 2016. Ils n’auront nullement besoin de l’avis de Talon pour choisir celui qui va le remplacer en 2026. Qu’ils le tiennent pour dit.