En réponse à la décision DCC 24-001 du 04 janvier 2024, l’Assemblée Nationale a procédé à l’amendement du Code Électoral dans la nuit du 05 au 06 mars. Seulement, la majorité parlementaire est allée au-delà des exigences de la Cour, donnant l’impression à beaucoup de gens qu’elle s’inscrit dans une démarche vindicative après le rejet de la proposition de loi sur la révision de la constitution intervenue dans la nuit du 1er au 2 mars dernier.
A peine voté, le nouveau Code Électoral suscite remous et contestations. Les pourfendeurs de la nouvelle loi électorale dénoncent l’introduction de dispositions qui obstruent dangereusement la voie au pluralisme politique et dénaturent profondément les élections désormais soumises au désidérata de grands électeurs. Le même jour où il a été voté, la Plateforme Electorale des OSC du Bénin a demandé expressément au Président de la République de ne pas promulguer cette loi pour respecter son serment de garant de l’intérêt général et de promoteur du bien commun, de la paix et de l’unité nationale. Elle va plus non loin en demandant au peuple béninois d’ «opposer à la violence, le dialogue, l’écoute, la tolérance dans la différence pour que triomphe l’héritage chèrement acquis à l’issue de la conférence nationale des forces vives de la nation ».
Les nouvelles dispositions durcissent les conditions pour les candidats aux élections législatives et présidentielle. Mais dans cette volonté de durcir les conditions, les législateurs sont largement allés au-delà des dispositions de la Cour Constitutionnelle elle-même en touchant à d’autres dispositions qui n’ont aucun lien avec le sujet sur lequel elle a rendu sa décision et qui est la rupture de l’égalité entre les parrains. Les dispositions violent tantôt la constitution, tantôt une décision de la Cour constitutionnelle.
Loi illisible
Les derniers amendements apportés par l’Assemblée Nationale au Code Électoral s’inscrivent dans la droite ligne de la dynamique législative actuelle qui veut que les lois soient suffisamment ambiguës, floues, des lois dont la compréhension n’est pas aisée afin que cette ambigüité soit utilisée pour des interprétations intéressées. Cette attitude, très répandue actuellement, a pourtant été dénoncée par la Cour Constitutionnelle. Dans sa décision DCC 24-001 du 04 janvier 2024, se prononçant sur l’articulation des articles 109 et 142 du Code électoral avec l’article 49 de la constitution, la Cour avait affirmé : « Or, il incombe au législateur d’exercer pleinement sa compétence en adoptant des lois claires, intelligibles et accessibles afin de prémunir, conformément au préambule de la constitution, les sujets de droit contre une interprétation contraire à la constitution ou le risque d’injustice ou d’arbitraire ». Les députés sont restés dans leur logique et ont produit une fois encore des lois floues. Dans la plupart des amendements transparaît une volonté de rendre la loi plus illisible et difficile à comprendre. L’alinéa 2 de l’article 146 nouveau en est une illustration. « Toutefois, les partis politiques ayant conclu et déposé à la CENA préalablement à la tenue du scrutin un accord de coalition parlementaire, il sera procédé, pour calcul du seuil prévu à l’alinéa précédent, à la somme des suffrages de ceux ayant au moins des suffrages exprimés au plan national ». Qui peut comprendre cela dans un pays où on a interdit naguère des alliances de parti ? Quel est le support juridique de cette coalition parlementaire ? Comment faire échouer un parti qui compétit seul pour n’avoir pas eu 20% de suffrage au niveau d’une circonscription électorale et accepter qu’un autre, ait droit à des députés avec 10% des suffrages juste parce qu’il est en coalition avec un autre parti ? Quelle logique, quel principe gouverne cela ? On y voit une chose et son contraire, le oui et non, la justice et l’injustice. Et cette disposition devrait donc être rejetée par la Cour Constitutionnelle.
Abus de pouvoir législatif
Le premier alinéa du même article 146 nouveau devrait recevoir aussi le carton rouge de la haute juridiction. Elle dispose que : « Seules seront éligibles à l’attribution des sièges, les listes ayant recueilli au moins 20% des suffrages valablement exprimés dans chacune des circonscriptions électorales législatives ». Il s’agit d’une violation pure et simple de l’article 81 de la constitution qui avait déjà réglé la question sur le minimum de suffrages à recueillir par une liste pour être éligible à l’attribution des sièges. Il stipule : « La loi fixe le nombre des membres de l’Assemblée nationale, les conditions d’éligibilité, le minimum de suffrages à recueillir par les listes de candidatures au plan national pour être éligibles à l’attribution des sièges ; le régime des incompatibilités et les conditions dans lesquels il est pourvu au sièges vacants. La Cour Constitutionnelle statue souverainement sur la validité de l’élection des députés ». Ce minimum de suffrages à obtenir pour être éligibles est fixé au plan national et non au niveau des circonscriptions électorales. Le juriste Franck Oké a dénoncé cette disposition de l’article 146 nouveau en affirmant qu’il s’agit d’un « abus du pouvoir législatif ».
« L’autorité de la chose jugée »
L’autre disposition qui suscite beaucoup de critiques c’est l’alinéa 2 de l’article 132 nouveau. Il stipule que : « Un député ou un maire ne peut parrainer qu’un seul candidat membre ou désigné du parti l’ayant présenté pour son élection ». Ainsi glissée dans la constitution, cette disposition apparaît comme une camisole de force pour les députés et maires contraints de ne parrainer que les seuls candidats issus de leurs partis. Or, le parrainage est vu juste comme une caution morale. Dans tous les pays où il existe( France, Sénégal…etc), il est ouvert et permet aux parrains qui sont libres de parrainer le candidat de leur choix. La première fois où le Bénin a fait cette expérience c’est lors de l’élection présidentielle de 2021. Et déjà, son embrigadement par les partis politiques avait suscité une vive polémique à l’époque. On se rappelle des déclarations du député Mohamed Affo Obo qui avait affirmé qu’il voulait parrainer Reckya Madougou mais que son parrainage a été saisi par le parti après qu’il l’ait signé. Il avait formulé un recours devant la Cour Constitutionnelle. Cette dernière a rendu la décision EP 21-012 DU 17 février 2024 dans laquelle elle affirme que « l’acte de parrainage est un engagement unilatéral à présenter un candidat à l’élection du président de la République ». Quelques mois plus tard, saisie d’une autre plainte sur le même sujet, la Cour avait rendu la décision DCC 21-232 du 16 septembre 2021 dans laquelle il rappelle le principe de l’autorité de la chose jugée et complète sa définition du parrainage. « L’acte de parrainage est un engagement unilatéral à présenter un candidat à l’élection du Président de la République et les élus ont la liberté leur parrainage aux candidats de leurs choix ». La Cour se trouve à nouveau devant le même sujet et on se demande si elle va se dédire sur sa propre jurisprudence.