« Si vous pensez que l’éducation coûte cher, essayez l’ignorance », écrivait Derek Curtis Bok Nous pensons qu’il faut changer complètement notre système éducatif, ainsi que les paradigmes qui ont toujours été à la base de sa fondation. Il faut désormais œuvrer à instaurer un nouveau système éducatif béninois, et à lui donner tous les moyens nécessaires afin qu’il assure une éducation inclusive, démocratique au sein de laquelle les valeurs humaines et essentielles seraient des piliers afin de former un Béninois nouveau. Nous savons tous le rôle que les valeurs occupent dans les relations intra et interpersonnelles. Dans l’avant-propos du dernier livre de l’universitaire Amadou Bâ, un Sénégalo-Canadien : Quelles valeurs transmettre aux jeunes du XXIe siècle ? Il affirme : « L’histoire ancienne et récente nous ont appris que les grandes violences ayant engendré des pertes considérables en vies humaines et occasionné des souffrances insoutenables sont avant tout, des excès dus à des carences de valeurs. L’esclavage et la traite des Noirs, les exterminations et génocides, les servitudes de toutes formes, les colonisations, les guerres mondiales, etc., s’expliquent en bonne partie par un piétinement des valeurs humaines et la négation de l’autre ». Il cite l’ethnologue, écrivain, et traditionaliste malien Amadou Hampaté Bâ. Celui-ci avait tiré la sonnette d’alarme lorsqu’il parlait de l’éducation à donner aux jeunes du XXIe siècle : « Jeunes gens, derniers-nés du vingtième siècle, vous vivez à une époque à la fois effrayante par les menaces qu’elle fait peser sur l’humanité et passionnante par les possibilités qu’elle ouvre dans le domaine des connaissances et de la communication entre les hommes. La génération du vingt et unième siècle connaîtra un fantastique rencontre de races et d’idées. Selon la façon dont elle assimilera ce phénomène, elle assurera sa survie ou provoquera sa destruction par des conflits meurtriers. Dans ce monde moderne, personne ne peut plus se réfugier dans sa tour d’ivoire. Tous les États, qu’ils soient forts ou faibles, riches ou pauvres, sont désormais interdépendants, ne serait-ce que sur le plan économique ou face aux dangers d’une guerre internationale. Qu’ils le veuillent ou non, les hommes sont embarqués sur un même radeau : qu’un ouragan se lève, et tout le monde sera menacé à la fois. Ne vaut-il pas mieux essayer de comprendre et de s’entraider mutuellement avant qu’il ne soit trop tard ? ». À travers ces affirmations, nous en arrivons à la conclusion qu’on ne peut pas échapper à cette thématique des valeurs dans l’éducation d’aujourd’hui et qu’il est crucial d’y réfléchir sérieusement dans le nouveau système éducatif béninois. De même, nous partageons l’analyse d’un autre grand penseur, Amin Maalouf, quand il énonce : « En ce siècle, nous aurons à choisir entre deux visions de l’avenir. La première est celle d’une humanité partagée entre tribus planétaires, qui se combattent, qui se haïssent, mais qui, sous l’effet de la globalisation, se nourrissent, chaque jour davantage, de la même bouillie culturelle indifférenciée. La seconde est celle d’une humanité consciente de son destin commun, et réunie de ce fait autour des mêmes valeurs essentielles, mais continuant à développer, plus que jamais, les expressions culturelles les plus diverses, les plus foisonnantes, préservant toutes ses langues, ses traditions artistiques, ses techniques, sa sensibilité, sa mémoire, son savoir. D’un côté, donc, plusieurs « Civilisations » qui s’affrontent, mais qui, culturellement, s’imitent et s’uniformisent ; de l’autre, une seule civilisation humaine, mais qui se déploie à travers une infinie diversité ». Nous savons bien que de nos jours, l’école partout dans le monde, se transforme petit à petit en une sorte d’entreprise dont le but n’est pas de former de futurs citoyens patriotes, honnêtes, engagés, respectueux des biens publics, dotés de valeurs communes fortes, mais plutôt de façonner des individus selon les besoins du marché et du nouvel ordre mondial, si injuste soit-il. L’école doit-elle seulement servir à façonner des hommes et des femmes à la consommation ? L’école adopte de plus en plus une approche productiviste qui se base fortement sur le principe de concurrence et de performance des élèves, dont la réussite est devenue une valeur de « méritocratie ». Réussir à l’école ne doit pas seulement être synonyme d’obtention de bonnes ou excellentes notes dans les sciences ou les langues. L’aboutissement scolaire doit plutôt nécessairement prendre en compte une réelle affirmation des valeurs à l’école et leur évaluation de la même façon que les autres disciplines. Alors que nos meilleurs élèves d’hier, cadres, intellectuels d’aujourd’hui, ne sont pas forcément les mieux outillés, fiables, pour la question du développement de notre pays. L’ancien Président Mathieu Kérékou n’a cessé de dénoncer ces « intellectuels tarés ». Une manière pour lui de montrer le manque de sérieux, d’intégrité, de patriotisme, et surtout la désinvolture de ces intellectuels. Devant cette situation, les enseignants et éducateurs ont un rôle à jouer. Ils doivent réfléchir davantage aux nouvelles démarches pédagogiques basées sur des valeurs humanistes (pensée critique, affirmation positive, respect de l’autre, tolérance aux différences, etc.), pour inspirer et aider les élèves, nos jeunes et futurs intellectuels, à devenir de bons citoyens pétris de valeurs riches et partagées. Nous devons développer, dès l’école primaire et à la maison, l’aptitude à l’effort, la ténacité, la gratitude, l’empathie, la maîtrise des émotions, le contact avec la nature, le leadership, et surtout l’esprit critique qui améliorent la capacité des élèves à bien fonctionner individuellement et en société. Ainsi, leurs résultats scolaires en bénéficient, et c’est prouvé dans les pays qui mettent ces valeurs et enjeux au premier plan de leur système scolaire. L’un des maux de notre pays est surtout lié à une crise des valeurs dans notre société. Et si rien n’est fait pour corriger cette réalité, les futures générations risquent de se retourner contre nous d’une manière ou d’une autre. L’école, comme la famille, a pour vocation ultime d’être un lieu de transmission de valeurs par excellence, et non un lieu de fabrication de têtes bien pleines, bien faites, et sans valeurs. Bien sûr, dans le monde de l’éducation, on s’efforce à ce que les élèves et étudiants développent des aptitudes, des connaissances, mais aussi des valeurs et des attitudes nécessaires pour travailler et devenir de bons citoyens épanouis, convaincus, sur lesquels on peut compter pour un Bénin nouveau et meilleur. C’est parce que ces enfants sont appelés à devenir des parents et des responsables plus tard qu’ils doivent nécessairement recevoir une éducation dont les valeurs occupent une position centrale. Ils pourront ainsi embrasser un métier, une profession, qu’ils aiment. Ils pourront également fonder une famille et s’occuper convenablement de leurs enfants, gagner honnêtement leur vie, et surtout penser positivement chaque fois qu’ils agiront ou prendront une décision. Pour cela, il faut changer de méthode dans notre système éducatif, en mettant plus de valeurs dans les actes, les gestes, les réflexions et les intentions. En travaillant sur cette culture du chef ou du supérieur qu’on pense, à tort ou à raison, qu’il ne se trompe pas, qu’il est infaillible. D’où une certaine peur de le contredire ou de porter des critiques sur ses actions. Nous héritons de cette culture depuis notre enfance, et cela se poursuit dans les écoles, centres de formation, et jusqu’à l’université. Et même professionnellement, nous osons rarement critiquer, opiner, aller contre les décisions de nos supérieurs. Pour une société comme la nôtre, l’éducation n’est pas qu’un enjeu économique. Elle a une portée existentielle. L’éducation entretient en principe un lien intime avec la démocratie. Et comme l’explique bien le collectif gauche du Québec dans son livre intitulé Ne renonçons à rien, à la page 62, « l’éducation est à la démocratie, ce que le sang est au corps humain ». Instaurer l’anglais comme deuxième langue obligatoire à partir de la maternelle, comme le français pour les pays anglophones est une nécessité absolue. Nous n’avons plus le choix : ces deux langues font partie de l’héritage de la colonisation que nous devons nous approprier et valoriser à notre avantage, pour mieux communiquer entre nous. Sans oublier aussi d’enseigner une de nos langues aux apprenants. Car aucun peuple ne s’est développé dans la langue d’autrui. Nous devons nous demander pourquoi l’Afrique est le seul continent qui continue d’enseigner et d’instruire ses enfants dans une langue étrangère. Le passé colonial seul ne suffit pas à l’expliquer. Dans quelles langues s’instruisent les petits Croates, Anglais, Français, Slovènes, Serbes, Chinois, Coréens, Lituaniens, Allemands, Vietnamiens ? Même s’il n’y a pas de règles sans exception, pourquoi l’Afrique peut-elle être le seul continent où les peuples doivent, pour leur instruction, faire usage des langues étrangères et se développer dans une autre langue ? La pensée profonde d’un individu ne s’exprime que dans sa langue maternelle. Pour cela, il faut que nos gouvernants réfléchissent et discutent avec la population pour retenir trois langues, par exemple le fon au sud, le yoruba au centre ( notre voisin de l’Est le Nigéria) et le dendi au nord, afin de commencer par enseigner ces trois langues obligatoires dans nos écoles et centres de formation. C’est urgent pour la survie de notre patrie commune, le Bénin.
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