Dans cette seconde partie de l’interview, Ganiou Soglo revient sur la cherté de la vie. Il analyse ses causes et trouve que les solutions prises par le gouvernement ne sont pas efficaces. Il fait ensuite des propositions pour le bonheur des populations.
M. le Ministre, au-delà de tout, il y a eu des efforts consentis en huit ans. Peut-on leur refuser d’aller sur le terrain et de faire valoriser ?
Même si je ne suis pas intelligent, on va me faire avaler cette pilule ? Non mais elle est difficile à avaler parce que même aujourd’hui quand on parle avec nos paysans, ils vous disent mais nous on a rien gagné. Maintenant qui a gagné ? Donc il y a des intermédiaires qui ont gagné de l’explosion des prix de produits de première nécessité mais avec le labeur de qui ? Après quand on vous dit que c’est la production avicole qui a finalement récupéré le surplus du maïs, non mais c’est tirer par les cheveux. Si vous avez un gouvernement, il est là pour vous aider et à trouver des solutions.
Est-ce qu’on ne peut pas dire qu’en huit ans, il y a des aspects positifs dans le gouvernement de Patrice Talon ?
La digitalisation de l’administration, mais là ce n’est pas une trouvaille einh. Il y a trente ans de cela, on n’avait pas internet. Maintenant, en ce qui concerne les voies, moi je veux bien. Mais je suis un citoyen qui paie des impôts. Combien coûte le kilomètre de voie que nous voyons aujourd’hui ?…
Avez-vous des données précises par rapport à d’autres pays ?
Vous savez, d’après nos investigations, il semblerait que le kilomètre au Bénin est deux fois plus cher qu’au Togo ou en Côte-d’Ivoire. Maintenant, j’attends à ce que le ministère des transports vienne démentir ou confirmer. Mais toujours est-il que nous, nous ne savons pas combien ça coûte, comme nous ne savons pas quels sont les salaires des ministres ou du Président de la République. Vous voyez, il y a une certaine opacité que nous regrettons dans notre pays. Mais c’est normal. C’est un plan savamment mis sur pied d’ailleurs…
De tout ce que nous avons entendu, nous n’avons pas senti jusque-là, une volonté de faire parler la population. On ne sent pas une volonté de recueillir quelque chose au sein de la population. Est-ce qu’on n’a pas l’impression que ceux qui nous dirigent aujourd’hui sont dans des bulles et qu’ils viennent nous dire ce qu’ils entendent sans une volonté d’écouter les gens ? Complètement. Je ne veux pas dire beaucoup de gens qui nous gouvernent et qui sont dans le Bénin profond, mais c’est vrai que quand vous écoutez aujourd’hui nos populations, elles sont malheureuses, elles souffrent, elles se plaignent. Ce genre de tournée gouvernementale, pour moi, c’est un aveu d’échec. On n’est pas en période électorale. Si on fait ce genre d’exercice, c’est parce qu’on se rend compte qu’on est dans le mur. Donc on vient réaffirmer ce que les gens savent déjà. Mais nous n’avons pas la même notion de paradigme économique. Pour moi, qui suis issu d’une génération d’économistes qui considèrent que le développement commence par un développement du capital humain (l’homme, la femme, les enfants). Qu’est-ce qu’ils mangent ? Est-ce qu’ils mangent à leur faim ? Est-ce qu’ils sont biens vêtus. Est-ce qu’ils sont bien soignés ? Avant de penser aux infrastructures. Pour certains financiers, investir dans le capital humain, ce n’est pas rentable…Je tiens à rappeler l’un des décisions majeurs de la Cour africaine des droits de l’homme : le consensus national. Le consensus national, c’est ce qui fait que vous et moi, à l’époque on pouvait être RB, PRD, PSD, FCBE… On faisait nos élections, on se chahutait et le génie béninois nous remettait en place. Aujourd’hui, on vous fait croire que soi-disant qu’on fait des réformes et des réformes pour qui ? Les gens ploient, sous le coup des impôts, des taxes. Allez demander à nos petits PME, PMI ce qu’elles vivent au quotidien et dans le même temps, les grandes entreprises, elles ne payent pas de l’impôt au Bénin, elles font pour la plupart de l’optimisation…
Nous allons aborder la cherté de la vie. Depuis des mois, des gens ont vu que le prix des denrées alimentaires sont en hausse. Selon vous, comment on peut l’expliquer ?
Quand on vous dit qu’il y a surproduction, d’après vous, qu’est-ce qui amène à la surproduction d’un produit ? Normalement si on a surproduction, ça doit faire baisser le prix. La loi de l’offre et la demande. Donc la loi de l’offre et de la demande devait faire que quand notre produit de première nécessité augmente, le prix baisse. Donc le ministère de l’agriculture dit que tous nos produits de première nécessité ont pratiquement doublé. Mais étonnement, on voit les prix doubler.
Comment l’expliquez-vous ?
Vous voyez quand on a parlé de subvention des intrants, moi j’ai rigolé. On dit on va subventionner les intrants mais qui subventionne les intrants ? C’est d’abord un individu qui se subventionne lui-même. Mais pis, admettons que vous subventionner les intrants et que vous voulez que ça ait un impact sur le prix des produits de premières nécessité. Mais ça va mettre un an. C’est-à-dire que si on prend ces intrants pour le maïs etc., le temps que ça sorte de terre, ça mettra trois mois et douze mois suivant les cultures. Et donc après vous allez voir un impact sur le prix final aux consommateurs. Mais c’est le cas ? Donc si ce n’est pas le cas, vous êtes un prestidigitateur… Qui a le monopole des intrants ? Il subventionne qui ? Lui-même ou les paysans ?…
Oui M. le Ministre, vous ne devez pas occulter l’impact géopolitique après la guerre…
Non non. Vous savez, il y a trois, quatre grands producteurs du maïs dans le monde. Il y a les Etats-Unis, le Brésil et l’Ukraine. Mais le premier producteur mondial, les Etats-Unis ont vu leur production exploser. Le prix du maïs a chuté à tel enseigne que les silos de stockage de maïs sont en surabondance aux Etats-Unis. La même chose avec le Brésil… Le seul bémol avec l’Ukraine c’est que les prix n’ont pas explosé mais du fait de la guerre, les canaux de distributions se sont trouvés être détournés. Donc ça a eu un impact sur le prix du maïs en Europe mais pas tant que ça. Le prix du maïs au niveau mondial a chuté. Donc c’est pour ça qu’on ne comprend pas que la spéculation qui est faite sur le maïs béninois. En tant qu’économiste, moi je dis qu’il y a la spéculation sur ce produit…
Au profit de qui ?
On s’accorde tous à dire et à reconnaitre que rien ne se fait sans l’accord du Président de la République. A moins que je me trompe .Même un papier toilette qu’un Ministre peut commander, il ne le fait pas parce que, il semblerait que ça doit venir à la présidence…Ce que moi je ne crois pas, je ne crois pas en cette thèse de la production avicole comme cause…
Souvent, beaucoup de gens disent que ces propositions, subventions de tel ou tel chose, en période de crise, ne sont que des mesures conjoncturelles alors que nous devons avoir des mesures structurelles. Selon vous, qu’est-ce qu’on doit faire ?
Je pense que c’est une question qui est d’importance. Je ne vais pas inventer le fil à couper le beurre. Mais quand Nicéphore Soglo, avec nos compatriotes ont pris les rênes de notre pays, ils avaient une vision bien claire. Ils l’ont appliquée. Quand vous avez une vision claire, mais vision claire, pour votre peuple, et non pas pour vous-même. Quand vous avez un président qui, en mai
2016, se targue devant des journalistes du journal Le Monde de dire … « je ne pense qu’à moi tout le temps… ». La situation dans laquelle nous sommes aujourd’hui s’appuie sur les propos du Chef de l’Etat. Moi je ne pense pas tout le temps qu’à moi einh. Je pense aussi à mes concitoyens, ceux qui m’entourent. Mais tu ne peux pas être heureux seul. D’abord ton rôle en tant que Chef de l’Etat, c’est d’abord de voir ton peuple heureux. Ce que vous me demandez là, je ne vais rien inventer. On n’a qu’à prendre le bréviaire du livre de Nicéphore Soglo… Nourrir son peuple, éduquer son peuple. Les infrastructures viennent beaucoup plus tard.
Moi j’ai une cousine germaine qui est morte parce qu’elle est allée accoucher à l’hôpital. Et on nous parle de l’hôpital de référence. Ce qu’on ne dit pas aux populations, c’est que cet hôpital de référence a été financé par la France, en majeure partie. Vous savez pourquoi ? Pour éviter que des tas d’africains aillent se faire soigner en France et ne reviennent pas chez eux. Pour éviter l’immigration clandestine, ils se sont dits, on a qu’à fixer les gens avec un hôpital de référence où viendront tous les gens de la sous-région. Mais cet hôpital-là, il ne sera pas ouvert à nos populations les plus défavorisées. A moins que notre gouvernement subventionne… Donc sur cette question de cherté de la vie, Je pense qu’on ment à notre peuple.
Ici dans notre pays, les autorités ont anticipé la cherté de la vie, les salaires ont été augmentés. Dans une certaines mesure, des efforts ont été faits. On ne peut pas balayer ça du revers de la main, quand même.
On n’a jamais dit ça. Mais comme je vous rappelle, dès le moment où il y a restriction des libertés pour moi, tout ça, on les met au panier. Quand vous tuez des gens, quand vous mettez des gens en prison, vous ne pouvez pas vous targuer de dire qu’on a augmenté les salaires… Les deux avocats du président actuel, quand il était candidat, je veux parler de Me Djogbénou et Me Quenum, criaient dans ce pays, que la nation était en danger… En ce qui moi me concerne, tous les bienfaits dont vous parlez sont balayés par les meurtres qui ont été occasionnés dans notre pays par les gens qui sont prison, en exil. On doit commencer à libérer les gens. On doit commencer à faire en sorte que nos compatriotes qui sont à l’étranger reviennent au pays. On doit cesser l’arbitraire. Mais un jour ça s’arrêtera. J’en fais le pari…
Je mourrai au Bénin. Je n’irai nulle part. Ça je vous le garantis. Ganiou Soglo ne partira nulle part. Je ferai la lutte pour retrouver mon Bénin d’autrefois. Je ne suis pas en train de dire que Ganiou Soglo doit être président de la République. Ganiou Soglo veut revenir au Bénin d’autrefois où mes amis pouvaient venir me voir avec leurs voitures à l’effigie du PRD. Moi je vais vous dire ceci, pas parce que je suis quelqu’un. Je ne suis personne mais je n’ai plus peur de personne. Pourquoi ? Ceux qui nous dirigent sont plus courageux que moi ? Je ne le crois pas.