Le patrimoine culturel est l’une des plus grandes richesses immatérielles du Bénin. Il regorge de fables, de contes et d’allégories époustouflants et instructifs. L’une de ces allégories racontées de génération en génération parle du ver de terre. C’était le plus fragile des animaux. Il pouvait être piétiné par tous les autres animaux de la forêt mais aussi des hommes. Les oiseaux et même les fourmis pouvaient le tuer très facilement. Sa fragilité était aggravée par sa lente locomotion. Il ne pouvait pas vite s’échapper quand il voit le danger venir. Il était donc doublement handicapé et était la proie la plus facile de tous. Exaspéré par cette vulnérabilité, il va se plaindre un jour à Dada Sègbo, le Dieu suprême. « Oh Dieu suprême, je suis le plus faible de tous les animaux de la jungle. Quand la saison est bonne et que je sors, tout le monde me piétine et je meurs. Même une petite tige peut m’écraser. Et quand vient encore la saison des grandes chaleurs je suis le premier à en mourir». Alors Dada Sègbo lui demande ce qu’il voulait qu’il lui donne. Et il répond : « je veux compter parmi les animaux forts de la jungle, je veux aussi qu’on me craint ». Le Dieu suprême lui répond : « Alors demain je vais te transformer en dragon ». Le ver de terre rentre chez lui tout content et attend le lendemain. Toute la nuit, il n’a pas fermé les yeux, attendant de devenir le dragon tout puissant. Au petit matin du lendemain, la mue se produit. Le ver de terre est devenu un grand dragon conformément à la promesse du grand Dieu. Mais ayant souffert pendant longtemps de la force des autres animaux, il devint un dragon redoutable et dangereux dans la jungle. Très agressif, le voilà griffer à droite, cracher du feu à gauche, étrangler parfois et avaler d’autres. Partout, il est menaçant. Presque tous les animaux en ont eu pour leurs comptes. Dada Sègbo reçoit les premières plaintes des autres animaux. Toujours le même dragon agressif devenu une menace pour les autres animaux et qui laisse les stigmates de sa méchanceté sur la peau des autres animaux. Le Dieu suprême convoque le dragon et lui fit annoncer la mauvaise nouvelle. « Demain, tu redeviendras ver de terre. J’ai voulu te tester pour voir comment tu vas te comporter avec le pouvoir et envers tes semblables mais hélas, tu as abusé de cela ». Le dragon s’est mis à demander pardon, à pleurer et à promettre qu’il changera. Ses jérémiades n’ont pu calmer la colère de Dada Sègbo. Il pleura toute la nuit et le lendemain il devint à nouveau ver de terre. Mais il n’eut pas assez de temps pour vivre. Une bergeronnette pose, gratte le sol et l’avale.
Cette trajectoire du ver de terre devenu dragon puis après ver de terre à nouveau avant de disparaître est celle de la majorité des hommes d’Etat. Lorsqu’ils arrivent au pouvoir, ils oublient souvent ce qu’ils ont été et ce qu’ils redeviendront : des citoyens ordinaires, justiciables, vulnérables. Au summum de leur pouvoir, ils abusent de leurs autorités, font assez de mal, détruisent des vies, briment leurs semblables. Et lorsqu’arrive l’heure de redevenir ce qu’ils étaient, ils sont inquiets, conscients que tout le monde les attend au carrefour pour leur rendre les monnaies de leurs pièces. Ils se demandent ce qu’ils deviendront sans le pouvoir. Si quitter le pouvoir est très douloureux, comparable à une petite mort et demande parfois des accompagnements psychologiques – et même psychiatriques pour certains – il l’est doublement pour ceux qui l’ont usé pour faire du mal. Penser à leurs vies après le pouvoir les ronge au point de les contraindre à s’y accrocher. Ces cas sont légion en Afrique où règnent des monarques sans partage. Le parcours tumultueux de Patrice Talon à la tête du Bénin depuis 8 ans, le caractère assez autoritaire du pouvoir qu’il a exercé et les perspectives d’un « après pouvoir » aussi tumultueux que son pouvoir lui-même ne plaide guère pour une fin de mandant apaisée. Il faudra, en plus des nervosités actuelles, des provocations à peine voilées de pays limitrophe, des interdictions ridicules de marches pacifiques de travailleurs rongés par la faim, des arrestations sordides d’activistes critiques, de la purge politique au sommet de l’Etat, s’attendre à des escalades plus inquiétantes. Car, le dragon qu’il est aujourd’hui craint d’être à nouveau ver de terre. Et à défaut de garanties solides, de promesses de quiétude pour les uns, les autres et leurs patrimoines, les portes d’élections démocratiques et transparentes et de l’alternance seront plus verrouillées. Contrairement hélas à ce que ventile le discours politique flatteur du moment.