Le Père Raymond Bernard Goudjo, théologien béninois, spécialiste de la doctrine sociale de l’Eglise, Directeur fondateur de l’Institut des artisans de justice et de paix (IAJP) et actuel Directeur national de la Caritas au Bénin, s’est entretenu avec les professionnels des médias, le vendredi 8 mars 2024 au Chant d’Oiseau de Cotonou, sur son nouveau livre intitulé « La Démocratie en Afrique : Le Réveil prévisible des vieux démons » sous-titré « Essai de relecture de l’encyclique sociale Centesius annus ». Dans ses explications, le Directeur Fondateur de l’IAJP a d’abord donné les raisons qui l’ont poussé à écrire ce nouvel ouvrage.
« Ces derniers temps, si je me suis décidé à prendre ma plume, j’ai pris le temps d’observer le processus démocratique dans mon pays depuis 2016. J’ai vu qu’il y a un changement. Ce que j’appelais un hiatus. Comme c’est un gouvernement de la rupture donc j’ai senti qu’il y a quelque chose de nouveau qui va se passer » a-t-il laissé entendre. Aussi, il a fait savoir qu’après le coup d’Etat du juillet 2023 au Niger, la réaction des présidents de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) l’a surpris. Ces chefs d’Etat de l’organisation sous régionale, selon lui, « admettent les coups d’Etat constitutionnels, un tripatouillage de tous nos codes juridiques mais ils n’admettent pas qu’il y ait un haro d’une autre frange de la population qui se disent militaire et pensent vouloir régler les problèmes de société avec le bâton, le marteau et les fusils ».
Le Père Raymond Bernard Goudjo a déclaré que « la démocratie n’est pas que le gouvernement du peuple par le peuple et pour le peuple ». Mais pour lui, « la démocratie, c’est l’expression de la liberté profonde d’un peuple qui s’exprime en conscience en vertu du bien commun ». Le bien commun peut être compris comme valeur ou la référence la plus élevée en société après Dieu. Il a signifié que la démocratie repose sur la liberté personnelle et non pas sur l’individualisme. Pour lui, « la démocratie veut que le peuple puisse s’exprimer avec sa liberté de conscience et suppose que ceux qui veulent gouverner le peuple aient de hautes qualités morales ». Il a indiqué que « la démocratie a été prise en otage par le monde économique ».
Séparation des pouvoirs au Bénin
Se prononçant sur l’effectivité ou non de la séparation des pouvoirs au Bénin, le spécialiste de la doctrine sociale de l’Eglise a précisé que « pour trouver l’effectivité d’une chose, il faut bien définir le bien commun ». Selon lui, dans le bien commun, il y a 3 niveaux. Il a expliqué qu’« il faut prendre d’abord le bien de la communauté ». Ce bien de la communauté, dit-il, que « tout le monde reconnait que ce sont les routes, les champs, en somme les infrastructures, qu’on doit transformer en communauté de bien, autrement dit les structurer juridiquement ». « Dans cette communauté de bien dépend de la façon dont le législateur et celui qui a demandé à être le grand législateur émet les lois et les structurent pour le bien de tous » a affirmé le théologien béninois avant d’ajouter : « Est-ce que depuis 2016, nous avons pu nous exprimer de façon absolument libre sans craindre de se voir faire rapidement un redressement fiscal pour ceux qui ont des affaires, voire craindre de se voir devant la CRIET pour des propos dit déplacés, tel que subis par certains journalistes. Ce sont quelque peu les questions, selon le Père Raymond Goudjo, qu’il faut se poser.
L’actuel Directeur national de la Caritas au Bénin s’est demandé « quelle est l’expression de la liberté qui devient une faute commise, sinon pour coller les lèvres de la liberté ». Donc pour le théologien béninois, « il faut qu’on se pose les questions de fond non pas parce qu’on est contre quelqu’un mais parce qu’on veut le bien de son pays et le bien même de la personne ». C’est pour cela que le Père Goudjo a souligné qu’« il faudrait qu’au niveau du peuple béninois, on ne s’exprime pas dans la violence, mais avec la conscience du devoir ». « C’est ça que j’appelais le droit des consciences humaines à s’exprimer » a-t-il lâché.
Fin de cycle de la démocratie
Le Père Raymond Goudjo a déclaré que la démocratie n’est pas en fin de cycle malgré la recrudescence des coups d’Etat dans la sous-région. Pour lui, « la liberté humaine ne peut pas être en fin de cycle ». Car selon le spécialiste de la doctrine sociale de l’Eglise, « c’est l’expression et la traduction de la liberté humaine dans le mot ‘’démocratie’’ qui peut être en fin de cycle parce que si l’on transforme la démocratie en lieu où tout a une valeur, où le permissif doit prévaloir sur la société, nous ne sommes plus en démocratie. Mais sommes-nous dans le tout permis dans un espace dit démocratique ? ». Il a fait comprendre que tout ce qui se fait aujourd’hui, « tout prend une valeur, tout s’égale ». Pour le théologien béninois, « à partir du moment où tout s’égale, il n’y a plus de valeur » et cette valeur, selon lui, a « un sens marchand ». « Aujourd’hui ceci a pour moi une valeur. Demain ceci n’a plus pour moi une valeur. L’autre dira voici c’est ma valeur, tes valeurs ne sont pas mes valeurs » a-t-il souligné.
Le Père Raymond Goudjo finit par conclure qu’« il n’y a plus un point de repère ». Il a par ailleurs indiqué que « la démocratie est prisonnière d’un système oligarchique et d’enrichissement mondial ». Pour lui, le capitalisme, c’est du passé. « Il s’agit simplement d’un système. Et ce système, c’est un système d’investisseurs ou système oligarchique. Et un investisseur est malheureusement une pieuvre. On ne voit pas ses tentacules. On ne voit pas d’où il vient. A partir de ce moment, les gros investisseurs jouent sur beaucoup de corde que nous ne voyons pas. Et tant que ça les arrange surtout en Afrique, ils ne voudront pas une démocratie de la liberté, liberté comprise comme devoir de bien » a-t-il relevé avant d’ajouter : « Nous devrons prendre conscience et faire un travail de fond sur nous-mêmes et sur nos consciences. ».