A neuf mois de la prochaine élection présidentielle, Patrice Talon enfile comme en 2021 sa livrée de Directeur de campagne politique. Armé d’un discours achalandé, le locataire du douillet palais de la Marina semble avoir jeté son dévolu sur une bien curieuse coqueluche : le parti LD et surtout son président Boni Yayi. Ruse ? Tactique ? Ou simple distraction politique de l’opinion en attendant « la guerre des choses dans l’ombre » ?
Un jour à la Marina en opération de charme avec les jeunes, ripailles à l’appui ; le suivant à Nikki, dans le palais impérial, symbole prestigieux de la noblesse baatonou. Deux lieux distants et divers, deux publics cibles mais un seul objectif. Patrice Talon qui a ouvertement proclamé son hyper activisme pour sa succession a semblé joindre l’acte à la parole. Il est en toute évidence en campagne. Futé et rusé politicien, surpris par le temps, il a compris qu’il faut se lever tôt et ne compter que sur lui-même. L’ami « Olivier » devenu « un monstre » et reclus au bagne n’est plus là pour jouer les premiers rôles. De même que la galaxie florissante de 2015, totalement démantelée. Les Agbenonci, Quenum et même le cousin sont presque « hors système ». L’éminence-grise Djogbénou, bien que présent, a perdu de son prestige d’antan. Président du plus grand parti du pays, il attend son « soleil » à l’ombre d’un baobab qui lance ses racines dans une terre de plus en plus aride. Le stratège Azannaî, lui, est bien loin, pourfendeur depuis huit ans du système après une retentissante démission de son poste de ministre délégué à la défense. Face à ce vide qui est créé autour de lui, il doit prendre son destin en main pour ne pas perdre le contrôle de la situation.
Mais à priori, la mission ne devrait être laborieuse pour l’homme qui règne en maître sur le Bénin. Il contrôle toutes les institutions impliquées dans l’organisation des élections. La Commission Electorale Nationale Autonome(CENA) est totalement aux couleurs de la mouvance. Idem pour la Cour Constitutionnelle dont on ne se rappelle pas de la moindre décision prise et qui soit défavorable au pouvoir. Et ce n’est pas tout. Talon peut frotter les mains pour avoir fait tailler sur mesure, grâce à sa majorité parlementaire bien enrobée par les boubous du président Vlavonou, des lois électorales fortement décriées par l’opposition. Et quoi encore ? Une armée bien plus que disciplinée dirigée par des généraux affublés d’étoilés aussi brillantes que récentes. Le tableau est tout bon. On dira à Talon comme on professe au seigneur à l’église : « Dis un seul mot et je serai guéri ». Disons exactement : « Dis un seul nom et il sera président ». Mais, pourtant, la chose ne s’annonce pas si simple.
Bon Yayi comme paravent
Alors qu’on s’attend donc à le voir vendre bien son camp et ses poulains de la majorité présidentielle, Patrice Talon devient plutôt fasciné par Boni Yayi et son parti. Dans une interview à Jeune Afrique en mars dernier, il disait que « Boni Yayi et lui pouvaient avoir le même candidat ». Puis face aux jeunes qu’il a invités à la présidence, il rejoue le même refrain. « Le candidat que je vais promouvoir peut être des Démocrates(LD), du Bloc Républicain(BR) ou de l’Union Progressiste le Renouveau(UPR). Il peut être rien de tout ça ». La première préférence est donc le parti Les Démocrates. On découvre en même temps, une fascination du chef de l’Etat pour le président de ce parti Boni Yayi dont il brandit le rapprochement comme une fierté et un exploit. « M. Guy Mitokpè, vous pouvez demander au Président Boni Yayi. On s’écrit, on s’appelle et on se voit souvent », dira-t-il au secrétaire à la communication Guy D. Mitokpè. Curieux volte-face. En décembre dernier, le chef de l’Etat, à la fin de son discours sur l’état de la nation à l’hémicycle, parlait de « passé honteux totalement révolu », allusion aux dix ans de Yayi au pouvoir. L’ennemi d’hier, enfermé pendant cinquante deux jours, prétendu parrain des soulèvements de 2019, 2020 et 2021 dans les Collines et le nord devient subitement l’homme le plus adulé du moment. Il s’agit d’une stratégie de légitimation d’un pouvoir impopulaire par l’image de Boni Yayi. Ce dernier qui n’est pas aussi né de la dernière pluie a, habilement, rectifié les propos en disant n’avoir contacté le chef de l’Etat que pour lui demander la libération de Julien Kandé Kansou et d’autres jeunes arrêtés. Boni Yayi reste un personnage politique le plus populaire du Bénin encore en vie. Et ça, Talon le sait bien et veut bien en profiter.
Excellent joueur de jeu de société, le président de la République joue sur un damier où il semble coincé. Il sait qu’il joue gros en s’arrogant la charge de choisir le candidat de la mouvance. S’il choisit mal, sa majorité va s’imploser. Et quelque soit son choix, il ne sera pas suivi par tout le monde. Cela ne relève pas de son manque de clairvoyance particulier dans le choix mais plutôt d’une donne immuable : on ne choisit pas son successeur. Quelque soit le choix, sa mouvance va imploser. Ceci est inévitable au regard des ambitions des uns et des autres mais aussi des frustrations et crispations internes à sa famille politique. La difficulté à porter son choix sur un candidat de la mouvance est aussi symptomatique d’un bilan peu vendable. Talon est bien conscient que les infrastructures et le chic ne vont pas suffire pour emballer la foule et séduire tous les Béninois dont une bonne frange est mécontente de son régime.
Dans l’un des cas, Talon se voit contraint de battre campagne pour l’opposition. C’est une parade et une échappatoire pour contourner les nombreux check points qu’il a posés lui-même. C’est peut être aussi un retour de la manivelle ou un karma. En 2015, Yayi, à travers ses erreurs de communication, avait favorisé l’arrivée de Patrice Talon au pouvoir. Dix ans après, Talon coincé, semble bien condamné à une option similaire.