Depuis le 12 juin 2024, le Haut Commissariat pour la Prévention contre la Corruption (HCPC) est l’institution faitière de lutte contre la corruption au Bénin. Créé sur les cendres de l’ancienne Autorité Nationale de Lutte contre la Corruption, le HCPC a abattu en un an un travail titanesque : fruit de l’abnégation et de la détermination de son patron Jacques Migan et de son équipe mais aussi de l’arsenal juridique mis en place par le président Patrice Talon. Dans cette interview exclusive, il revient sur le bilan de cette institution qui a tout l’air de porter l’espoir d’éradication de ce mal pernicieux.
Monsieur Jacques MIGAN, aujourd’hui Haut-Commissaire à la prévention de la corruption ? Parlez-nous un peu de vous. Qui êtes-vous ?
Je suis de nationalité Béninoise, avocat de profession, titulaire de doctorat du 3ème cycle en Droit Privé à l’Université de Paris X – Nanterre (France).
Professeur assistant (à la retraite) à l’Ecole Nationale d’Administration et de Magistrature à l’Université d’Abomey Calavi (Bénin), Ancien Bâtonnier de l’Ordre des Avocats du Bénin, Ancien Conseiller Technique Juridique à la Présidence de la République, je suis à l’origine de la création en l’an 2000 d’une Organisation non Gouvernementale (ONG) dénommé‘’Centre International de Formation des Avocats Francophones (CIFAF)’’. Ledit centre est spécialisé dans les formations initiale et continue des Avocats et de tous les acteurs du monde juridique et judiciaire au niveau national et des pays francophones.
J’ai reçu la distinction de Commandeur de l’Ordre nationalle 15 septembre 2016 et nommé Haut-Commissaire à la Prévention de la Corruption par décret pris en Conseil des Ministres le 12 juin 2024.
Conformément aux dispositions de l’article 5 de la loi n° 2020-09 du 23 avril 2020 portant création, mission, organisation et fonctionnement du Haut-Commissariat à la Prévention de la corruption (HCPC), j’ai prêté serment devant le Président de la République le 22 juillet 2024 et suis entré pleinement dans mes fonctions.
Conformément à l’article 8 de la loi ci-dessus citée qui dispose que « la fonction de Haut-Commissaire à la prévention de la corruption est incompatible avec l’exercice de tout emploi public ou privé, de toute fonction politique ou de tout mandat électif », j’ai demandé mon omission du Barreau et la suspension de mon activité professionnelle par courrier adressé au Bâtonnier de l’Ordre des Avocats du Bénin le 25 juillet 2024
Pour ces mêmes raisons d’incompatibilité, j’ai démissionné du Bloc Républicain, parti dont j’étais membre, par courrier en date du 08 août 2024 adressé à son Président.
En toute transparence, j’ai procédé à la déclaration de mon patrimoine à l’entrée en fonction, ainsi que l’atteste le récépissé de dépôt n°005/CC/G-2024-DP en date du 02 août 2024 délivré par la Cour des Comptes.
Pourquoi un Haut Commissariat à la Prévention de la Corruption alors qu’il y a la Police judiciaire et la CRIET qui font un travail remarquable de répression sans oublier la cellule de dénonciation des actes de corruption à la présidence et l’arsenal juridique assez fourni sur la question. Qu’apportera le HCPC de plus ?
Le Bénin a signé le 10 décembre 2003 et ratifié le 14 octobre 2004 la Convention des Nations Unies contre la Corruption.
Aux termes des dispositions de l’article 6 de ladite Convention « Chaque État Partie fait en sorte, conformément aux principes fondamentaux de son système juridique, qu’existent un ou plusieurs organes, selon qu’il convient, chargés de prévenir la corruption …… »
C’est sur ce fondement que l’Observatoire de Lutte contre la Corruption (OLC) et l’Autorité Nationale de Lutte contre la Corruption (ANLC) avaient été mis en place respectivement en 2004 et en 2011.
Le Haut commissariat a été créé par la loi n° 2020-09 du 23 avril 2020 pour remplacer l’Autorité nationale de lutte contre la corruption qui a définitivement cessé ses activités le 31 décembre 2021.
Le nouvel organe (HCPC) a pour mission de suivre la mise en œuvre, au sein des institutions et administrations de l’Etat, des mesures de lutte contre la corruption, d’initier et de mettre en œuvre des actions de prévention de la corruption dans le secteur public comme privé. Il est donc concentré sur des missions de prévention et de dénonciation.
Quel est le mode opératoire de l’institution pour la prévention de la corruption au Bénin ?
Dans le cadre de l’accomplissement de sa mission, le HCPC s’est fixé trois (03) objectifs stratégiques déclinés ainsi qu’il suit :
- DÉTECTER – SIGNALER
- ÉDUQUER – SENSIBILISER
- DISSUADER – SANCTIONNER
Sur la base de ces trois objectifs stratégiques, des axes ont été déclinés et traduits en activités concrètes insérées dans le Plan de Travail Annuel du Haut-Commissariat à la Prévention de la Corruption. L’institution projette d’élaborer, avec le soutien de la Coopération Suisse, le plan stratégique national de prévention de la corruption qui sera la boussole de toutes les interventions du HCPC et de tous les autres acteurs de la lutte contre la corruption sur une période donnée.
Vous aviez été nommé Haut Commissaire à la prévention de la corruption par décret N°2024-938 le 12 Juin 2024. Il y a donc un an que vous êtes chargé de travailler à la prévention de ce fléau qui freine dangereusement le développement du pays. Quel bilan faites-vous de vos 12 premiers mois à la tête de cette institution ?
La première année de notre mandat a permis d’opérationnaliser l’institution à travers la mise en place des différentes structures et du personnel d’appui et de réaliser certaines activités pertinentes qu’il m’échoit de rappeler ici :
- La célébration des journées nationales et internationale de lutte contre la corruption les 08 et 09 décembre 2024, avec comme point d’orgue, l’animation de séances de sensibilisation sur les méfaits de la corruption à l’endroit des apprenants du Lycée Technique Coulibaly, de l’Ecole Nationale d’Administration et de l’Ecole primaire publiqueOKÉ AGBÈDÈ/B de Ouidah ;
- La réalisation d’une campagne de sensibilisation par affichage sur panneaux dynamiques et statiques du 30 décembre 2024 au mois de février 2025 ;
- La réalisation d’une campagne de sensibilisation de plusieurs cibles (écoliers, élèves, étudiants, élus communaux, leaders communautaires, responsables d’organisations de la société civile, d’associations de jeunes, de groupements de femmes, d’artisans, etc..) dans les départements du Plateau, de l’Ouémé, des Collines et du Borgou du 14 avril au 28 mai 2025 ;
- Le traitement de plusieurs dossiers de plaintes ou dénonciations
- L’auto-saisine dans plusieurs affaires présumées de corruption ;
- Le renforcement de la coopération avec plusieurs institutions nationales et étrangères à travers la signature de Protocoles de collaboration ;
- La participation à des rencontres internationales pour mettre en exergue les acquis du bénin en matière de lutte contre la corruption et capitaliser les expériences et bonnes pratiques venues d’ailleurs ;
Vous étiez connu comme militant et leader politique du parti Bloc Républicain (BR), un parti de la mouvance présidentielle. Avez-vous définitivement rompu les amarres avec ce parti ?Et comment arrivez- vous à concilier votre passé militant avec vos nouvelles responsabilités qui demandent une grande impartialité ?
Comme je l’indiquais tantôt, j’ai démissionné du Bloc Républicain pour me consacrer entièrement à la mission républicaine qui m’a été assignée.
En acceptant cette charge, j’ai prêté le serment suivant « Je jure de bien remplir fidèlement et loyalement en toute probité les fonctions dont je suis investi, de respecter en toutes circonstances les obligations qu’elles m’imposent et de garder le secret des informations confidentielles dont j’ai connaissance ».
Sur cette base, depuis mon entrée en fonction, j’accomplis ma mission en toute transparence, probité et impartialité.
Le HCPC a décidé de mener des investigations sur l’affaire AKPONA. Cette affaire va-t- aboutir ? Le ministre est de votre ancien parti je le rappelle.
Le Haut-Commissariat à la Prévention de la Corruption (HCPC) a mis en place une commission de vérification des projets d’investissements en eau et énergie dans la Commune de Parakou suite aux déclarations publiques de Monsieur Paulin AKPONNA, désormais ex Ministre de l’Énergie, de l’Eau et des Mines évoquant de graves irrégularités portant sur le détournement présumé de plusieurs dizaines de milliards de francs CFA destinés aux secteurs de l’eau et de l’électricité, sous la gestion antérieure du ministère.
Cette démarche vise à permettre au Haut-Commissariat d’apprécier, avec objectivité, les faits rapportés et, le cas échéant, d’évaluer les dispositifs institutionnels et administratifs de prévention de la corruption en vigueur dans le ministère concerné, en vue de formuler des recommandations pertinentes ou des solutions correctives appropriées.
Au terme de sa mission, cette Commission indépendante composée de sept (07) experts multidisciplinaires, déposera ses conclusions. Le HCPC agira sur la base du rapport produit par cette Commission. Mon ancienne appartenance au parti dont est issu l’ex Ministre AKPONNA n’aura aucune influence sur les travaux de la Commission qui est totalement indépendante.
Quelle est la situation réelle du Bénin aujourd’hui en matière de lutte contre la corruption ?
La lutte contre la corruption s’est significativement intensifiée ces dernières années à travers des réformes normatives, institutionnelles et administratives pour prévenir et sanctionner avec rigueur tout acte de corruption et autres infractions connexes. La tolérance zéro vis-à-vis des faits de corruption est devenue la norme systématiquement appliquée, ce qui justifie les bons scores engrangés par le Bénin dans les standards internationaux.
Selon l’Indice de Perception de la Corruption (IPC) 2024 de Transparency International, le Bénin est classé 69e sur 180 pays dans le monde. Le pays a gagné une place comparativement à 2023 où il était classé 70e. Le bond qualitatif le plus significatif est le gain de deux (02) points au titre du score obtenu. Le Bénin est passé de 43 points / 100 à 45 points/100.
Dans son Rapport IPC 2024, Transparency International classe le Bénin 1er dans l’espace UEMOA, 7e en Afrique, suivi de la Côte d’Ivoire (8ème place), Sénégal (10ème place), Burkina Faso (12ème place), Niger (23ème place), Togo (27ème place), Mali (35ème place). Il s’agit d’une avancée notable pour le Bénin, qui en 2020, totalisait 41 points /100 et occupait la 83e place /180 pays, soit un gain de 14 places en quatre (04) ans ! Cette avancée démontre l’engagement du pays à faire de la lutte contre la corruption une réalité concrète de tous les instants.
L’amélioration du score du Bénin peut être attribuée à un certain nombre de réformes gouvernementales, telles que la réforme visant à renforcer la prévention de la corruption en République du Bénin.
Par ailleurs, en tant qu’État partie à la Convention des Nations Unies contre la Corruption, le Bénin a été examiné, au titre du deuxième cycle, par la Suisse et la Gambie dans le cadre du Mécanisme d’examen de l’applicationde ladite Convention. Au terme de la visite-pays qui s’est déroulée à Cotonou du 06 au 08 mai 2025, les examinateurs du Bénin ont reconnu l’engagement ferme et résolu des autorités béninoises en faveur de la bonne gouvernance, de la transparence et de la coopération internationale dans la lutte contre la corruption.
Pour renforcer son engagement à une gouvernance plus transparente et plus responsable, le Bénin a adhéré à l’ OpenGovernment Partnership (OGP), un partenariat mondial regroupant 77 pays et plus de 150 collectivités locales, travaillant avec des milliers d’organisations de la société civile pour bâtir des gouvernements plus ouverts, inclusifs et responsables. Le Bénin devient le 17e pays africain à rejoindre le Partenariat, réaffirmant son engagement à rendre le gouvernement plus ouvert et responsable à travers quatre domaines clés : l’accès à l’information, la participation du public, le renforcement des politiques de lutte contre la corruption et l’amélioration de l’accès aux nouvelles technologies pour accroître la transparence.
En matière de transparence budgétaire, le Bénin a réalisé une avancée significative en 2023, se classant premier pays francophone et deuxième en Afrique (juste derrière l’Afrique du Sud) dans l’Enquête sur le Budget Ouvert (EBO). Son score de 79 sur 100 témoigne d’une nette amélioration par rapport aux années précédentes, notamment par rapport à 2017 (39/100). Cette performance souligne les progrès réalisés par le Bénin dans la publication et l’accessibilité des informations budgétaires.
Avez-vous un message de sensibilisation à l’endroit des Béninois ?
Je voudrais inviter chaque citoyen de notre pays à changer de mentalité et de comportement vis-à vis de la chose publique, à se préoccuper de l’intérêt général en adoptant des attitudes vertueuses en toutes circonstances.
En effet, il est important que chacun d’entre nous soit acteur de la lutte contre la corruption en corrigeant ses mauvaises habitudes. Je suis conscient que cela peut paraître difficile mais seuls nos efforts permettront de construire notre Nation.