Dans l’ouvrage « Tribaliques », recueil de nouvelles paru en 1971, Henri Lopes écrivait ceci :« L’Afrique, à force de rire et de chanter, s’était laissée surprendre par les peuples les plus austères, qu’elle en avait été déportée et asservie(…)». L’écrivain congolais faisait un diagnostic d’un continent qui, à peine sorti des tourments de la colonisation, retombait dans les affres des « réalités nationales » dominées par la corruption, les relents identitaires et communautaires. L’idéal collectif s’érode devant une volonté accrue de recherche du « bien-être individuel ». C’était l’époque des désenchantements, corollaire d’une décolonisation mal réparée.
L’auteur ira plus loin dans son diagnostic : « En Afrique, c’est celui qui a les applaudissements qui gagne, pas celui qui a raison ». Véritable exégèse sur la psychologie africaine qui donne dans l’affect que dans du « proprement réfléchi », qui préfère les sensations à la réalité, l’irrationnel à la raison. Léopold Seddar Senghor n’en dira pas moins. Déjà en 1939 dans « L’homme de couleur », il affirmait : « l’émotion est nègre…. », même si la raison n’est pas si hellène que ça. N’en déplaise à Hegel et Lucien Lévy-Bruhl qui avaient dénié à l’homme noir la logique et la raison.
Des décennies après, l’état d’âme de l’homme noir ne semble pas avoir trop évolué. Il reste visiblement tenaillé par trois handicaps dont se sont émancipés tous les peuples qui ont connu le progrès au siècle dernier : la distraction, la religion et la politique. J’utilise ces trois mots dans leurs connotations les plus négatives afin qu’on en vienne pas à les prendre dans leurs sens usuels. Pour faire plus concret, je désigne par distraction les réseaux sociaux et par métonymie, les pasteurs pour la religion et les politiciens pour la politique.
Depuis la décennie 2010, la démocratisation des moyens de télécommunication avec la baisse des coûts des téléphones androids et des connexions mobiles proposées par les opérateurs de la téléphonie mobile comme Orange, MTN, Moov…. a favorisé un meilleur taux d’utilisation de ces téléphones. Selon une étude d’Afrobaromètre, le téléphone mobile est plus accessible que l’eau potable en Afrique avec 93% d’accès contre 59% pour la source de vie. Ces services ont favorisé une accessibilité rapide aux réseaux sociaux. A ce niveau, c’est facebook et Tiktok qui sont en tête avec plus de 200 millions d’abonnés cumulés. Malheureusement, ce qui devrait être un fertilisant important à l’émulation, au développement de la rationalité et au retour au travail a plutôt engendré une consommation brutale, désordonnée et surtout perverse de ses réseaux sociaux devenus chronophages pour tous. Avec le temps, beaucoup d’africains ont développé une addiction à ces réseaux sociaux, y pensant des journées pleines à deviser et à papoter. Les plus gueulards et les plus habiles, eux, y ont créé leurs business et leur gagne-pain, racontant tout et le contraire de tout en se prenant trivialement pour des « influenceurs » ou des activistes. Il faut le dire, la quête facile de rente favorisée par la monétisation des pages facekoob et Tiktok a ouvert la voie à toutes les dérives. L’Afrique aura fabriqué autant de journalistes, de scientifiques et de commerçants que le nombre d’utilisateurs. Tout le monde fabrique et donne l’information. Tout le monde devient expert de tout. C’est ainsi que pendant la période de Covid, des pseudo- experts en épidémiologie prodiguaient conseils et menaces. Au début de la guerre russo- ukrainienne, les mêmes se sont mués en géo stratèges. L’Afrique tient desormais son opinion de cette engeance, consomme goulûment les fake news et s’enlise dans la médiocrité et les thèses « complotistes » devenues ambiantes. Les universitaires, les scientifiques et les bons journalistes ont disparu. Leurs sciences bégaient desormais devant les nouveaux maitres du savoir et les plus entreprenants parmi eux qui osent rectifier le tir, nuancer ou contredire sont violemment combattus, insultés ou menacés. Ladite révolution numérique aura provoqué une déresponsabilisation mais aussi un recul grave du pluralisme et de l’esprit de contradiction. Et ce n’est pas tout, elle aura également fait prospérer une génération de femmes perverses et dévergondées qui fait du fric en exposant sa nudités et les rondeurs de ses fesses sur la toile. Nous sommes à l’ère de la post-vérité où l’opinion est plus façonnée par l’émotion que les faits factuels. Qui a l’information a le pouvoir, dit-on. Mais qui a la mauvaise information, s’égare. Au moment où les pays d’origine des réseaux sociaux( Etats-Unis, Chine, Russie…) réglementent et limitent leur consommation, l’Afrique s’y embourbe.
Tout ceci semble conforter la thèse du philosophe italien Umberto Eco qui disait que : « Les réseaux sociaux ont donné le droit à la parole à des légions d’imbéciles qui avant ne parlaient qu’au bar et ne causaient aucun tort à la collectivité. On les faisait taire tout de suite. Aujourd’hui, ils ont le même droit de parole qu’un « prix Nobel » ».
La 2è chose qui distrait les africains c’est la réligion. Disons plus précisément les pasteurs et les ecclésiastes. Ces dernières années, l’Afrique en a tellement fabriqué. Les églises ont poussé comme des champignons un peu partout sur le continent. Les pasteurs ont pris une grande importance dans la société. « Vendeurs du paradis », certains parmi eux sont de vrais gourous qui ont droit de vie et de mort sur leurs fidèles. Dans ces églises et temples qui essaiment desormais le continent, les pasteurs procèdent à l’endoctrinement systématique des fidèles qu’ils gavent de prières bruyantes, de promesses de bonheur et d’illusion du paradis. La prière remplace les médicaments et le travail. Lorsqu’un fidèle est malade, il est soumis à la cure de prière car pour ces pasteurs, la maladie est spirituelle. Les séances de prière de « guérison » et de « combat » se transforment en des séances de thaumaturgie conduisent parfois à des pertes en vie humaine car souvent, les victimes se retrouvent en état critique avant de se rendre à l’hôpital. Le pasteur mystificateur touche ou piétine des fidèles qui tombent en syncope sous l’effet de la puissance « feu » du pasteur. La guérison est acquise sur place, en attendant que le mal reprenne avec plus d’intensité à la maison. Pour le récompenser pour ses talents de guérisseur, de visionnaire et de « faiseur de miracles », les fidèles lui offrent des présents ou de l’argent par le truchement des nombreuses offrandes, dimes et quêtes qu’il sollicite à longueur de messe. Il s’agit d’une juteuse filière qui leur permet de gagner un bon pactole et de passer de l’austérité à l’opulence. Il est à dénoncer le caractère chronophage des prières qui se déroulent presque quotidiennement et qui prennent tout le temps des fidèles transformés en des esclaves spirituels qui obéissent au moindre vouloir du gourou. La gent féminine est la proie facile de ces pasteurs qui en profitent pour en abuser de quelques unes. Pendant que d’autres peuples réfléchissent, travaillent, inventent, l’Afrique prie à longueur de journée. Au Congo (RDC), 4è pays le plus peuplé d’Afrique avec plus de 105 millions d’habitants, des églises ont parfois la taille d’un stade. Les pasteurs y maintiennent à longueur des journées des centaines et des milliers de personnes. Pendant ce temps, dans l’autre partie du pays, les gens se tirent dessus. Avec la Bible d’un côté et la kalachnikov de l’autre, c’est l’hypnotise parfaite. Les pilleurs des immenses ressources minières du pays ne se gênent plus trop pour remplir leurs conteneurs de minerais précieux comme le diamant, le cuivre, l’uranium, le coltan, le cobalt, le lithium, le manganèse…
Enfin, la politique distrait les africains. Depuis les années d’indépendance, les politiciens ont toujours été les emberlificoteurs des masses populaires. Les promesses et les stratégies les plus élaborées sont développées pour conquérir le pouvoir. Une fois qu’on y accède, on ne veut plus s’en séparer. Pour se maintenir, on procède par manipulation, intrigues, terreur. Pour y rester au pouvoir, certains politiciens sont obligés de créer des guerres afin d’orienter l’attention des populations sur cela. Ils essaient d’avoir avec eux des « têtes » et quelques réactionnaires non maîtrisables à qui ils octroient des sinécures pour enfin les utiliser contre les populations. Aujourd’hui en Afrique francophone, à l’exception du Sénégal dans une certaine mesure, presque tous les autres pays sont dirigés par des dictateurs, civils comme militaires qui bâillonnent les médias, persécutent et tuent les opposants politiques et créent des bagarres partout.
Les réseaux sociaux, les pasteurs et les politiciens sont autant de pièges qui enchainent l’homme africain et qui l’empêche hélas de se protéger vers un avenir radieux.