L’annonce de la création d’une chaîne de télévision publique dédiée aux langues nationales, faite en novembre 2023, avait suscité un grand enthousiasme au sein de la population béninoise. Cette chaîne, baptisée *Bénin TV Alafia, devait compléter l’offre de **Radio Bénin Alafia*, dans une dynamique de valorisation culturelle et de promotion des langues nationales.
Le 26 juin 2024, le gouvernement a confié à une société spécialisée l’élaboration d’un plan d’action et d’un chronogramme de mise en œuvre allant jusqu’au lancement effectif de la chaîne. La mission portait sur le recrutement, la formation des équipes et la mise en place du modèle d’exploitation, sans remettre en cause l’atlas linguistique déjà établi depuis plusieurs années et largement accepté par les populations.
La SRTB, un pionnier de la diffusion en langues nationales
Depuis ses débuts, l’ex-ORTB (aujourd’hui *SRTB*) a été un outil d’information publique de référence, notamment grâce à la diversité de ses programmes en langues nationales.
À la télévision, une dizaine de langues y sont diffusées, parmi lesquelles le *Ditammari, le Baatonum, le Dendi, le Yoruba, le Gun, le Fon, le Mina et le Fulfuldé. À la radio, d’autres langues comme le Yom, le Nateni, le Biali, le Tem, le Waama, l’Anii, le Lokpa, le Boo, l’Adja et le Sahouè complètent l’offre linguistique. Cette expérience fait de la SRTB un véritable **label de référence* en matière de production et de diffusion en langues nationales.
Une proposition contestée
En février 2025, les experts mandatés ont rencontré les journalistes de ces différentes rédactions linguistiques. Leur première proposition consistait en une grille de programmes verticale, avec une langue par jour et par semaine. Cette option a immédiatement soulevé des critiques, car elle excluait les communautés linguistiques de l’information pendant plusieurs jours, remettant en cause un principe fondamental du journalisme : *l’information est une denrée périssable*. Face aux contestations, les experts ont révisé leur copie et proposé une alternance des langues dans les programmes d’information.
Cependant, une autre décision a choqué : *le retrait de la langue Gun des programmes de Bénin TV Alafia*. Ce choix remet en cause l’atlas linguistique validé sur la base des réalités historiques, culturelles et sociales du pays.
Pourquoi le Gun ne peut être exclu
Le Gun, parlé par environ 6 % de la population béninoise* selon le RGPH 4, est également classé parmi les 50 langues les plus parlées au Nigeria, où il est présent sur plusieurs chaînes nationales et privées. Il constitue donc un *pont linguistique et culturel* entre le Bénin, le Nigeria et la diaspora.
Historiquement, le Gun (issu du Alladagbé) est la *première langue béninoise dans laquelle la Bible a été traduite* par les missionnaires méthodistes au Nigeria. Il reste une langue d’évangélisation majeure dans le sud et le centre du Bénin. Dans le domaine religieux, il occupe une place centrale, notamment au sein de l’*Église du Christianisme Céleste (ECC)*, née au Bénin.
Sur le plan culturel, Porto-Novo, capitale politique et berceau de la culture Gun, abrite le *Festival international des masques*, l’un des événements les plus emblématiques du continent. Supprimer le Gun de Bénin TV Alafia revient à marginaliser une culture qui contribue à l’identité nationale et à la cohésion sociale.
Un choix aux conséquences politiques et sociales
L’exclusion du Gun risque de fragiliser les réformes menées par le président Patrice Talon dans le secteur des médias publics et d’être perçue comme un *acte de sabotage* du processus de réconciliation et de cohésion nationale qu’il prône. Elle pourrait aussi nuire à l’image du Bénin sur le plan international, au moment où le pays mise sur le tourisme culturel et le retour des Afro-descendants.
Le Bénin a pourtant montré, à travers le PAG, sa volonté de préserver et de valoriser son patrimoine culturel. À l’image du Burkina Faso, où la *RTB 3* diffuse en une quinzaine de langues, Bénin TV Alafia devrait élargir son offre linguistique, intégrer les grandes langues nationales (Fon, Gun, Adja, Yoruba…) et ouvrir ses programmes aux langues minoritaires.
Un appel à rectifier le tir
Il ne suffit pas d’avoir une expertise technique ou académique pour comprendre les réalités linguistiques et culturelles du Bénin. Les choix opérés par les experts apparaissent déconnectés des attentes des populations et des objectifs du gouvernement.
Le président Patrice Talon est donc *interpellé pour corriger cette erreur* avant le lancement officiel de la chaîne, afin que *Bénin TV Alafia reste fidèle à sa mission : être un outil de cohésion nationale, de valorisation culturelle et d’inclusion linguistique.*
Frédéric D.