C’est une sorte d’autophagie grandeur nature. Un glissement dangereux de discours non moins assimilable à une trahison de posture et de dignité.
L’histoire du déni du pardon commence le 27 novembre 2023 à la présidence de la République. Face à la demande pressante de son prédécesseur qui plaidait pour la libération des prisonniers politiques, le « souverain » clama son hostilité au pardon. Et ça donna ceci : « Pardon d’instaurer un code dans la République, pour que des choses graves cessent de se développer par l’exemple. Que la République puisse punir sévèrement ces choses là pour que les générations à venir ne recommencent pas. Parfois le pardon peut être une faute. Parfois le fait de pardonner quelque chose peut être une faute pour la communauté parce que ça instaure l’impunité. Un responsable politique doit assumer ce qui est de sa responsabilité nationale, républicaine. Il faut l’assumer même si on doit rentrer couler ses larmes… ». Le glaive était tombé sur Frédéric Joël Aïvo, professeur émérite de droit constitutionnel de renommée mondiale et sur Reckya Madougou, ancienne ministre de la République, experte internationale et classée en 2016 parmi les 50 femmes les plus influentes de l’Afrique. Tous deux étaient condamnés à plusieurs années de réclusion criminelle sans avoir été criminels. Malmenés dans des procès obscurs et condamnés pour des accusations farfelues, hélas battues en brèche par toutes les instances juridiques internationales. Ils ne sont d’ailleurs pas les seuls. Des dizaines de jeunes femmes et hommes ont connu les mêmes tribulations judiciaires et sont encore en prison pour leurs opinions.
Mais cette confession n’était qu’une confirmation d’une option prise de vieille date. Le déni du pardon a toujours été une constante de l’action publique depuis 2016. Combien ne sont-ils pas à demander, par divers moyens, l’indulgence du « souverain » sur le cas Sébastien Adjavon ? Leurs différents appels à la libération du « faiseur du roi de 2016 » se sont heurtés à la fermeté du même souverain qui affirmera plus tard « ne pas gouverner avec l’affect ». En dépit des jérémiades, l’homme d’affaires a été condamné par le tribunal, ses biens saisis et vendus aux enchères. Le tempo était donné ainsi.
En mars 2019, cinquante icônes africains du monde scientifique et universitaire –dont les professeurs Vicentia Boko, Paulin Hountondji, Souleymane Bachir Diagne, Maurice Ahanhanzo Glèlè, Erwan Dianteill, Cathérine Coquery Vidrovitch… et le prix Nobel Wolé Soyinka – ont écrit au même souverain pour attirer son attention sur le virage autoritaire pris par son pays et lui demander l’organisation de nouvelles élections législatives. Combien de chefs d’Etat, de l’Afrique et d’illustres personnages de ce monde contemporain ont-ils pas demandé la libération de Reckya Madougou et du professeur Joël Aïvo ? Qu’ont-ils eu comme réponse si ce n’est dédain et ignorance. L’ami d’hier devenu « monstre », lui aussi jeté dans les fers n’a eu droit à la moindre compassion puisque, comme les autres, il doit broyer du noir pendant des années encore.
Chaque année, à l’orée de la fête nationale, plusieurs voix s’élèvent pour demander grâce auprès du souverain afin qu’il libère toutes ces personnes embastillées pour leur activisme ou engagement politique. Depuis bientôt cinq ans, la moindre magnanimité n’a été manifestée à leurs endroits. Cette année encore, la même rengaine aura été infructueuse au grand dam des demandeurs de générosité de divers ordres. Lassés, certains ont fini par lâcher prise en rongeant intérieurement leurs amertumes et en disant parfois : « il n’est pas Dieu ».
Mais subitement et à la surprise de tous, après autant de férocité, une once d’humanité apparaît au niveau du souverain. Dans un entretien à l’improviste à la fin du défilé militaire marquant les festivités du 1er août, on l’entendit dire : « Même si j’ai pu me tromper souvent, n’étant pas Dieu, je demande aux Béninois de me pardonner de mes insuffisances et de croire à notre destin commun ».
A présent, on peut donc se tromper et demander pardon dans la République ? Ce droit serait réservé exclusivement au seul souverain ? Il s’agit d’une sorte de double standard de principe et de norme qu’on doit combattre par tous les moyens.
La République doit prôner l’égalité. Elle devrait s’en tenir à la même rigueur pour tous afin que cela serve d’exemple aux générations futures. C’est ce qu’avait le souverain en novembre 2023. Le voir se dédire en si peu de temps est écœurant. La même intransigeance que le souverain a appliquée à ses pourfendeurs et à ses collaborateurs et valets devrait lui être appliquée.
Qui ne pardonne pas, ne sera pas pardonné. C’est un principe de la nature. Et cela doit rester une valeur républicaine.