Le 21 juin dernier, profitant de la tribune du sommet économique de la CEDEAO à Abuja, Patrice Talon a prôné une nouvelle intégration économique dont le Bénin et le Nigéria en seraient les pionniers. Fortement applaudi, le discours apparaît innovant mais au regard du contexte sous régional, il apporte plus d’ingrédients aux clivages et aux méfiances ambiantes.
Comme s’il était frappé d’une malédiction en terre nigériane. Cette fois-ci c’est encore à Abuja que le Président Talon lance une nouvelle « provocation ». Celle-ci aura, on le devine bien, aura des effets moins dévastateurs et moins destructifs sur l’organisation commune que celle du 10 août 2023 où le chef de l’Etat faisait cas de la possibilité pour la CEDEAO, d’user de moyens militaires pour dégager la junte qui venait de prendre le pouvoir à Niamey en déposant le président Bazoum. Depuis, l’organisation a connu une descente aux enfers avec la sortie des trois pays dirigés par des juntes. Cette fois-ci, il n’ aura pas de fermeture de frontière, encore moins de diatribes envers le Bénin. Mais les effets seront plus discrets et plus pernicieux. Hormis le fait qu’il renouvelle l’engagement de la CEDEAO pour l’intégration économique, le discours n’apporte rien de concret que les frustrations. Bien au contraire, il agacera de Lomé à Niamey, en passant par Ouagadougou. Une « imprudence diplomatique » qui n’arrangera rien.
Au-delà des applaudissements, beaucoup d’acteurs économiques et de responsables politiques présents à la CEDEAO se poseront bien de questions sur les velléités du projet économique du président du Bénin. Pourquoi venir à une tribune de la CEDEAO pour faire la promotion du bilatéralisme alors que l’organisation travaille depuis sa création pour le multilatéralisme ? Au nom de quel principe, le Bénin et le Nigéria devrait être les pionniers de cette nouvelle forme d’intégration économique ? En quoi cette dernière est-elle différente de la forme d’intégration économique en expérimentation actuellement au sein de l’espace communautaire ? Autant de questions auxquelles la déclaration du chef de l’Etat ne trouve aucune réponse.
Discours de désespoir
Avec le recul, on se rend bien compte que ce discours n’apporte pas trop de solutions à la conjoncture actuelle marquée par la guerre contre le terrorisme, les conflits géopolitiques et de fortes récessions économiques. Le Nigéria est le seul pays voisin avec lequel le Bénin a normalisé ses relations depuis l’arrivée du Président Bola Tinubu au pouvoir. Pour le reste, les choses semblent se compliquer de jour en jour. Avec le Togo, le Bénin souffre le chaud et le froid. Les relations entre ces deux pays frères se sont refroidies sans que personne ne sache réellement ce qui en est la cause. Depuis 2016, le président Faure Gnassingbé ne s’est rendu presque pas une seule fois à Cotonou et la coopération entre les deux pays est restée au point mort. Le Togo semble bien profiter de cette situation. Le port de Lomé a gobé une bonne partie du fret maritime du Bénin. Et lorsqu’après la déclaration belliqueuse de Patrice Talon en août 2023 à Abuja contre le Niger, la junte au pouvoir a durci sa position contre le Bénin, Lomé n’a rien fait pour calmer la situation. Bien au contraire, Lomé a fait fi des sanctions et a renforcé ses relations avec les pays du Sahel réunis désormais dans l’Alliance des Etats du Sahel(AES). Le voisin de l’ouest da d’ailleurs développé un soft power diplomatique qui semble bien lui marcher dans la sous région et à l’international. Le pays a fait son entrée dans la prestigieuse Commonwealth, entretient de bonnes relations avec la Russie, la Turquie et tous les pays de l’AES. Le Burkina et le Niger ont d’ailleurs fait du port de Lomé, le port de transit pour leurs pays au détriment de celui de Cotonou.
Le Niger a, quant à lui, maintenu sa frontière fermer avec le Bénin empêchant du coût presque tous les échanges commerciaux entre les deux pays. Les dirigeants du Burkina et du Niger accusent régulièrement le Bénin d’abriter des bases militaires françaises d’où partent les terroristes qui viennent les attaquer. Sur quatre pays voisins, le Nigéria est encore le seul pays avec lequel le Bénin a de bonnes relations. S’il y a des réformes ou des efforts d’intégration à faire, ce serait avec ces pays. Le Bénin y a plus grand intérêt pour des raisons économiques mais aussi sécuritaires. Faut-il le rappeler, le terrorisme frappe le Bénin dans les communes frontalières avec ces deux pays et une coopération militaire plus étroite avec ces pays pouvait l’aider à endiguer la menace. « A défaut de m’entendre avec le Togo, le Burkina et le Niger, entendons nous bien avec le Nigéria », telle semble être la maxime de cette initiative. Mais le Bénin ne se tourne-t-il pas vers le mauvais côté ? Depuis plusieurs années, et plus particulièrement depuis l’arrivée du président Tinubu au pouvoir, le Nigéria applique le protectionnisme, une politique économique qui l’oblige à protéger son marché et à promouvoir l’économie locale contre les attaques et les chocs extérieurs. L’interdiction pendant des années de la réexportation du riz et des certains produits, la suspension des subventions sur les produits pétroliers participent de cette politique. Quel est l’avantage pour le Bénin de n’avoir aucune possibilité d’exporter avec le Nigéria, un pays de plus de 250 millions d’habitants, et de laisser ce pays envahir le petit marché de 13 millions d’habitants que constitue le Bénin ? Au lieu donc d’applaudir le beau discours du chef de l’Etat, on doit plutôt se demander s’il ne s’est pas attiré plus de foudre que de sympathie.