Le 17 octobre, en marge de la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples, Hussein Thomasi, le solliciteur général de la Gambie, a déclaré devant une salle comble à Banjul qu’un traité sur les crimes contre l’humanité « n’est pas seulement opportun, il est absolument essentiel. L’absence d’un traité dédié perpétue une lacune importante dans le cadre juridique international, permettant l’impunité et privant les populations vulnérables de la protection dont elles ont désespérément besoin. »
Ce mois-ci, les États africains se sont joints à de nombreux autres pour renforcer leur soutien aux négociations en vue d’un traité nécessaire sur les crimes contre l’humanité, lors d’un débat de la Sixième Commission de l’ONU du 9 au 14 octobre. Ils ont plus que doublé le nombre d’États africains soutenant l’initiative, en coparrainant une résolution préliminaire pour les négociations, en soutenant oralement la progression vers la sécurisation d’un traité, ou les deux.
Mais il faut encore beaucoup plus de coparrainages d’États africains pour assurer un résultat positif.
Les crimes contre l’humanité sont reconnus comme étant parmi les crimes internationaux les plus odieux, aux côtés du génocide et des crimes de guerre. Ils comprennent une série d’infractions commises dans le cadre d’une attaque généralisée ou systématique contre une population civile: meurtre, extermination, esclavage, déportation, torture, viol, esclavage sexuel, prostitution forcée, grossesse forcée, stérilisation forcée ou toute autre forme comparable de violence sexuelle, persécution, disparition forcée, apartheid, ou autres actes inhumains.
Comme en témoignent les titres quotidiens, de tels crimes continuent d’être perpétrés dans des crises à travers le monde aujourd’hui, y compris du Soudan au Myanmar en passant par Gaza. Bien que les traités définissent les obligations des États pour prévenir et punir le génocide et les crimes de guerre, aucun traité n’existe pour les crimes contre l’humanité.
Une campagne mondiale en faveur d’une convention a pris de l’ampleur au cours des cinq dernières années. La Commission du droit international a adopté en 2019 les Articles préliminaires sur la prévention et la punition des crimes contre l’humanité. Un processus de deux ans pour examiner les articles et discuter de la recommandation de la Commission du Droit Internationale (CDI) en faveur d’une convention a été approuvé par le Sixième Comité de l’ONU en 2022 dans la Résolution 77/249. Une décision sur la poursuite des négociations doit maintenant être prise avant le 22 novembre 2024, date de la fin de la session actuelle du Sixième Comité de l’ONU.
La plupart des États soutiennent les négociations pour un traité. Mais le Sixième Comité prend généralement des décisions par consensus. Il est donc crucial que le plus grand nombre possible d’États soutiennent publiquement les négociations formelles sur un traité afin de dissuader la petite minorité d’opposants d’empêcher toute avancée.
Actuellement, 91 États sont coparrains du projet de résolution qui permettrait d’entamer les négociations sur le traité, dont 18 États africains : Botswana, Cap-Vert, Comores, République du Congo-Brazzaville, République démocratique du Congo, Djibouti, Gambie, Ghana, Lesotho, Libéria, Malawi, Maurice, Mozambique, Sénégal, Sierra Leone, Afrique du Sud, Tunisie et Zambie.
Quinze autres se sont prononcés en faveur d’un traité lors du débat du Sixième Comité de l’ONU en octobre : Burkina Faso, Burundi, Côte d’Ivoire, Guinée, Kenya, Namibie, Niger, Nigeria, Rwanda, Togo et Ouganda, ainsi que l’Angola, la Guinée Equatoriale, la Guinée-Bissau et São Tomé-et-Príncipe, dans le cadre d’une intervention de la communauté lusophone. Huitautres États africains ont soutenu par le passé les progrès de la justice, notamment en tant que membres de la Cour pénale internationale :Bénin, Tchad, République centrafricaine, Gabon, Madagascar, Mali, Seychelles et Tanzanie.
Jusqu’à présent, ces 23 États ne se sont pas encore engagés à coparrainer le projet de résolution qui ferait avancer le traité. En coparrainant cette résolution, ces États pourraient faire pencher la balance en faveur des négociations.
L’élaboration d’un traité offrirait de nouveaux outils pour prévenir et punir les crimes contre l’humanité, notamment en améliorant les cadres d’entraide judiciaire et de renforcement des institutions. Il offrirait également des occasions cruciales d’aborder plus pleinement les crimes internationaux impliquant des préjudices liés au genre, y compris la codification du crime de traite d’esclaves, soutenue par le groupe africain.
« Nous avons l’obligation de sensibiliser nos gouvernements aux traités qui amélioreraient la jouissance des droits humains, au niveau national ou international », a déclaré Simitie Lavally, commissaire à la Commission des droits de l’homme de Sierra Leone, devant l’audience à Banjul.
La société civile africaine l’a fait, en soutenant largement une déclaration conjointe en faveur des négociations soutenue par plus de 650 organisations et experts. Le Groupe Africain pour la Justice et la Responsabilité (African Group on Justice and Accountability) et les commissions africaines des droits de l’homme ont également exhorté leurs gouvernements à soutenir les avancées.
À moins d’un mois de la décision, les États africains devraient répondre à l’appel en prenant la décision de coparrainer la résolution pour les négociations sans plus tarder, aidant ainsi à lutter contre les attaques généralisées ou systématiques contre les civils où qu’ils soient.
Elise KEPPLER
Elise Keppler est directrice exécutive du Global Justice Center, une organisation dédiée à l’utilisation du droit international pour faire avancer l’égalité des genres. Elle apporte plus de 20 ans d’expérience dans le travail sur la justice pour les atrocités en Afrique alors qu’elle était à Human Rights Watch.