De 2016 à 2024, tous ceux qui sont soupçonnés de vouloir être candidats à une élection présidentielle ou qui ont posé des actes pour cela sont aujourd’hui en prison ou en exil pour les plus chanceux. Qu’ils s’appellent Sébastien Adjavon, Komi Koutché, Lehady Soglo, Reckya Madougou, Joel Aïvo ou Olivier Boko, tous ont en commun d’avoir désiré le « trône » de la Marina. Les « accusations » et les sanctions sont distribuées au prorata du niveau de menace que constitue l’accusé. Trafic de drogue, détournement de deniers publics, Abus de fonction, association de malfaiteurs, terrorisme, complot contre l’autorité de l’Etat, blanchiment de capitaux, coup d’Etat…C’est selon.
Le vendredi 28 octobre 2016, lorsque Sébastien Adjavon se faisait arrêter à Cotonou après une conférence de presse où il dénonçait les vices de procédure et les manipulations de scellés sur l’un de ses conteneurs, il avait paru « faux » et « maladroit » aux yeux de bon nombre de Béninois. « Pourquoi s’est-il précipité pour organiser une conférence de presse ? Pourquoi n’a-t-il pas cherché à discuter avec Patrice Talon ? » Telles étaient les questions fréquentes qui ressortaient de la majorité des discussions. Les plus durs envers l’homme d’affaires affirmaient sans barguigner qu’il méritait ce qui lui arrive et que « tout le monde savait qu’il était dans le commerce de la « poudre ». Les déçus de la coalition FCBE-PRD-RB qui avait soutenu Lionel Zinsou s’en moquaient presque : « il aurait pu soutenir le « yovo » et serait épargné de ces tribulations ». A l’époque, quelques six mois après l’installation du nouveau régime, Patrice Talon avait encore l’estime des populations et son pouvoir bénéficiait du crédit populaire. Naïvement, Sébastien Adjavon avait été blâmé par une bonne partie de la population. Beaucoup étaient donc à mille lieues de s’imaginer que le sort d’Adjavon attendait bien d’autres et que le projet de sa destruction- aussi politique qu’économique – était un projet mûri depuis des mois pour liquider un élément « gênant ». Il passait pour être le plus fortuné des hommes d’affaires et son score à l’élection présidentielle, obtenu presque en six mois de travail, était l’expression d’une estime populaire. Le détruire donnerait un exemple aux autres petits bourgeois de la République qui font la grosse tête et à tous ces politiciens zélés qui font chanter les pouvoirs et qui avaient pion sur rue sous le régime Yayi. La saison des répressions politiques avait ainsi commencé. Le patron de Comon-Cajaf relaxé au bénéfice du doute après une dizaine de jours de garde à vue n’était qu’au début de son chemin de croix. Le dossier sera ressuscité des mois après par la Cour de Répression des Infractions Economiques et du Terrorisme(CRIET) dont la création est postérieure à la décision du tribunal de première instance de Cotonou. Près de deux ans après, soit le 18 octobre 2018, il sera condamné par défaut à vingt ans de prison et 5 millions d’amende pour le même dossier. L’homme d’affaires n’aura pas la malchance de passer ses 20 ans prisons dans la cellule aménagée en son nom à la prison civile de Parakou. Il prend ses jambes à son cou et trouve asile en France. Alors sera lancée contre lui une autre vieille affaire, l’affaire des TVA des années Yayi sera ressuscitée à nouveau alors que l’Etat, condamné à rembourser des milliards à Sébastien Adjavon avait signé un mémorandum de remboursement avec lui et avait commencé à payer ses dettes. Tous ses biens seront saisis et mis en vente aux enchères. Ce n’est qu’à partir de ce moment que beaucoup de Béninois ont compris qu’il s’agissait d’un pouvoir répressif qui excelle dans l’acharnement. Mais c’était dejà trop tard.
Koutché, Soglo, bonnet bleu, bleu bonnet
Adjavon éliminé, à qui le tour ? Komi Koutché. L’ancien ministre des finances du président Yayi apparaissait comme la seconde menace. Fort apprécié par les jeunes, très adulé par les populations du nord et de son département d’origine, les Collines où il avait fait des scores soviétiques lors des élections législatives de 2015, celui qui a échoué d’une seule voix au poste du Président de l’Assemblée Nationale avait son destin présidentiel tout tracé. Et il n’avait que 40 ans. Il devenait donc une menace. Et pour le liquider, on n’est pas allé chercher trop loin. Quelques fouilles de ses gestions antérieures au Fonds National de la Microfinance(FNM) ont suffi pour le condamner à 20 ans de prison ferme pour détournement de deniers publics. Lui aussi a été à l’abri de l’emprisonnement puisque son flair politique l’a amené à quitter le pays et à l’installer aux Etats Unis dès l’installation du nouveau régime. C’est depuis son havre washingtonien qu’il apprendra en 2020 sa condamnation sans grande surprise à 20 ans de prison puisqu’en décembre 2018, il avait été arrêté en Espagne et a fait plusieurs mois de séjour carcéral suite au mandat d’arrêt lancé contre lui. Deux de moins.
Qui reste ? Lehady Soglo. Son patronyme- fils de l’ancien Président Nicéphore Soglo – sa popularité en milieu Fon auréolé du titre de Président du parti la Renaissance du Bénin(RB) et de maire de Cotonou font de lui un prétendant sérieux au poste de président de la République. Il avait d’ailleurs fait l’expérience une fois. Pour le nuire, on est allé chercher dans les dédales de sa gestion municipale, des primes jugées fantaisistes qu’il s’était attribuées. Il est condamné à 10 ans de prison pour abus de fonction après avoir été révoqué de son poste de maire en 2017. En 2020, soit à un an de l’élection présidentielle, Adjavon, Koutché et Lehady Soglo, les trois prétendants sérieux au poste de président de la République sont hors jeu, totalement neutralisés. Le trône est tranquille.
Aïvo, Madougou : les deux intrus
Mais une autre inquiétude inattendue hante les concepteurs des schémas diaboliques de l’élimination des candidats sur « tapis vert ». Un universitaire de grande réputation avait commencé à sillonner le pays à travers son dialogue itinérant pour rencontrer les populations, leur parler de démocratie et surtout de la soif d’alternance en 2021. Joël Aïvo est son nom. Bien connu au cénacle, il fut une figure majeure du comité de relecture de la constitution, projet qu’il a fait échouer quelques mois après avoir décelé et dénoncé dans le document final des points de désaccord et des amendements « toxiques ». Non moins politique, il avait été au début des années 2010 le Directeur de cabinet et le maître à penser « stratégie » du président Adrien Houngbédji et de son parti. Il avait donc l’étoffe.
Il se fera rejoint dans cette campagne pour l’alternance par Reckya Madougou, éloquente, belle et friquée, conseillère spéciale du chef de l’Etat togolais. Bien qu’elle se lance tardivement dans la campagne, ses déclarations ont eu un écho favorable auprès des populations qui voient en elle une femme courageuse. C’est elle qui sera désignée candidate du parti Les Démocrates au grand dam du professeur Aïvo actif sur le terrain depuis près de deux ans. Elle va de meeting en meeting, dénonçant les abus du régime de la rupture. L’égérie de la campagne « Touche pas ma constitution » des années 2004 et 2005 a minimisé néanmoins la malice du chantre de la campagne silencieuse « touche pas mon fauteuil présidentiel ». Le 03 mars 2021, elle a été arrêtée à un meeting à Porto Novo où elle était en compagnie de Joël Aïvo. Ce dernier sera arrêté à son tour le 15 avril 2021 alors qu’il revenait des cours à l’université. En décembre 2021, les deux seront condamnés par la CRIET. Reckya Madougou à 20 ans de prison pour association de malfaiteurs et terrorisme tandis que Joël Aïvo écopait de 10 ans de prison pour complot contre l’autorité de l’Etat et terrorisme. Contrairement aux trois premiers qui ont réussi à s’échapper et aller en exil, ces deux jeunes quadragénaires ont eu l’outrecuidance de rester sur le terrain, de battre campagne et de critiquer le régime. Ils ont payé cher leur courage.
Boko, l’ami « indiscipliné »
Les cas Adjavon, Koutché, Soglo, Madougou et Aïvo sont pourtant très révélateurs de la nature de la fatwa bien claire : « il est interdit de prétendre au poste de Président de la République ». Pourtant, l’ami intime du chef de l’Etat, celui là même qui a géré avec lui tous ces dossiers ne semble pas avoir compris. Sa soif de succéder à son ami l’amène à se lancer dans une campagne précoce avec les mouvements OB26. Bien qu’il ait tout le temps nié son implication dans cette campagne, il n’arrivera pas à convaincre son « ami » président qui trouve en lui une menace. Dans la nuit du 23 au 24 septembre, il sera arrêté par les agents de la police alors qu’il se rendait chez le chef de l’Etat, sur sa demande, selon les déclarations de ses avocats. Depuis, ses lieutenants sont persécutés, traqués et contraints à l’exil. Une ambiance délétère s’est installée au sein de la majorité présidentielle obligeant le président de l’Assemblée Nationale à faire un discours sur la haine dans la République. Depuis, la quiétude est revenue à la Marina, en attendant peut être le prochain avatar. Peut être une loi ou une révision constitutionnelle qui criminalisera la candidature à l’élection présidentielle. Qui sait…