La Bande dessinée “Tata Adjatchè“, retraçant l’histoire vraie et passionnante d’une des braves amazones du Royaume de Danxomè, est désormais disponible. Paru aux éditions “Encrage“ et sous la plume respectable de Tiburce Tolidji Adagbe, la Bande Dessinée de 71 pages relate la vraie histoire d’une amazone du Royaume de Danxomè mais qui n’est pas originaire du Royaume. Dans une note de lecture, Modeste Toffohossou y voit à travers l’œuvre, une BD nourrie de faits historiques. Lire la note de lecture !
En octobre 1892, les forces coloniales (3 000 hommes) du Général Alfred A. Dodds aux portes du Dànxòmè n’en croient pas leurs yeux. Pour la toute première fois, elles se retrouvèrent face à « un ennemi auquel elles n’avaient encore jamais fait face », des femmes-soldats dont l’extrême combativité, l’indomptable bravoure et la stupéfiante férocité ont été sans égal. 130 ans après, en hommage à ce passé lointain, une « amazone » de bronze dorée, position de combat, fusil dans une main, épée dans l’autre, surplombe une large partie de la façade maritime de la capitale. Mais au-delà de l’engouement touristique et des controverses politiques suscités, l’auteur à succès de « Mémoire du chaudron », Tiburce ADAGBE décide d’interroger à sa manière et de réduire selon sa sensibilité et sa conviction la distance avec ce passé.
En esprit rigoureux et en historien de grande classe, il réapproprie ce symbole identitaire pour en dégager un paradigme historique, raisonné et fonctionnel à l’aune de l’histoire contrastée et passionnante de vie, de mort et d’amour d’une d’elles, connues sous le nom d’Agoodjiés (mais aussi de Minons) : Tata Adjatchè. En s’alliant de ce fait à Kenneth VIHOTOGBE, un dessinateur de talent, Tiburce ADAGBE démontre que la bande dessinée est à tout point de vue le mode de narration originale de ce voyage de découverte et surtout d’exploration.
À la source du factuel
Dans son roman « Les Phalènes », Tchicaya U Tam Si, célèbre écrivain congolais faisait dire à l’un de ses personnages : « Hier est dans les pas de demain ». Cet appel a dû servir d’exergue à la bande dessinée, tant elle pose avec force, la question de la mémoire. En 80 pages couleurs, les deux auteurs entrainent le lecteur dans une enquête historique et sociologique d’« un destin exceptionnel ». Dès 1858, en représailles à la mort du souverain roi Guézo, Ekpo un village holli près de Kétou est envahi, brûlé et ses habitants faits captifs ramenés à Abomey. Parmi eux, une jeune fille de 8 ans, Rikê. Sous bonne garde, elle a été formée et intégrée quelques années plus tard à la troupe d’élite des Agoodjiés où ses faits d’armes et les preuves de son engagement lors des expéditions militaires sont restés mémorables.
Le roi Glèlè n’y fut pas indifférent au point de la consacrer « Tata ». Et plus précisément d’Adjatchè ! Tout l’enjeu posé par la bande dessinée est dans cette interrogation à laquelle Tiburce ADAGBE et Kenneth VIHOTOGBE répondent par touches successives : l’identité et la provenance transculturelle des amazones, le pacte de fidélité à la terre du Dànxòmè et à son roi, la structuration de cette troupe d’élite, la formation à la douleur physique et émotionnelle du parcours, les rituels de la passion meurtrière et les actes de bravoure face à l’ennemi. Toute une riche histoire que le lecteur voit se nouer sous ses yeux, racontée par divers personnages qui en sont aussi atteints, ce qui n’est pas sans impact sur l’économie narrative.
Une BD aussi plaisante à lire qu’instructive.
Car, si Rikê devenue « Tata Adjatchè » bénéficie, à l’exception du roi, de toutes les qualités, la complexité des sentiments des autres personnages apporte aussi un peu de contraste dans le saisissement de l’histoire des amazones qui est aussi une lutte de séduction, de jalousie et de pouvoir. « Cette Agoodjié devenue reine a certainement fait recours à des sortilèges de son holli natal pour prendre le cœur du roi », s’emporte une compagnonne d’arme. La richesse de certains détails portés par le crayon de Kenneth VIHOTOGBE et la précision des éléments de contexte historique habilement romancé par Tiburce ADAGBE plutôt que délivrés de manière magistrale, font aussi des Tata Adjatchè une bande dessinée instructive pour tous les âges. Sans aucun doute, au-delà de l’histoire des amazones, nées pour « servir les dessins d’un État libre » selon Hélène d’Almeida-Topor, elle ouvre le rideau de notre théâtre intérieur pour appréhender, reverdir la combativité et défendre le sacrifice suprême dont ces femmes ont été capables pour promouvoir le patriotisme malgré la réverbération du soleil. Des valeurs essentielles pour bâtir une Nation.
Modeste Toffohossou