Installé depuis le 23 mai 2016 à la tête de la Direction des renseignements du Bénin – connue officiellement sous l’appellation de Direction des services de Liaison et de la Documentation(DSLD)-, Pamphile Zomahoun va désormais quitter ses « fiches », le confort et les privilèges liés à ce poste pour faire une autre expérience. Une de bien périlleuse qui a tout l’air d’une expédition « punitive ».
Le Conseil des ministres de ce mercredi 17 avril a nommé le colonel Pamphile Zomahoun ambassadeur du Bénin près de la République d’Haïti. Contrairement à toutes les nominations en Conseil des ministres vues comme des promotions et souvent accompagnées d’appels à l’heureux nommé, de messages de félicitation et même d’agapes, celle-ci a suscité étonnement et amertume. Les proches de l’intéressé ne se sont pas pressés cette fois-ci de lui envoyer des messages comme il y a huit ans quand il était nommé à la tête de renseignements. Tous ou presque ont ruminé en silence un échec, une punition qui ne dit pas son nom. Car en vérité, la nomination comme ambassadeur en Haïti de Pamphile Zomahoun apparait comme une triple-punition. La première est l’isolement. Pamphile Zomahoun devra vivre en Haïti dans les Caraïbes, à des milliers de kilomètres de sa terre natale, dans l’un des pays les plus risqués de la planète. En effet, Haïti est aujourd’hui ce qu’on peut appeler « la Somalie des Caraïbes » : un pays acéphale, presque sans gouvernement et sans chef de l’Etat depuis l’assassinat de Juvenal Moïse en juillet 2021 et où des gangs surarmés ont pion sur rue. Plusieurs pays y ont évacué leurs ressortissants et la fameuse « Communauté Internationale » y tente désespérément les solutions les plus diaboliques qui échouent les unes après les autres. Isolement aussi parce que Haïti n’était pas une destination attractive car en tant qu’une île, pour y sortir ce n’est pas la joie vu, que l’aéroport même n’offre aucune garantie de sécurité pour les compagnies aériennes afin qu’elles desservent ce pays. La deuxième est une « de-promotion », une rétrogradation administrative pour quelqu’un qui était à la tête d’une administration de plusieurs centaines de personnes et qui se retrouvent à diriger une petite ambassade perdue dans un coin du Bénin dont la taille du personnel ne dépasse guère la dizaine. Enfin, la troisième punition est matérielle et financière. Il devra se contenter de son modeste budget d’ambassade assujetti à un contrôle rigoureux des auditeurs du Ministère des finances alors que la DSLD lui offrit un budget élastique avec de multiples marges de manœuvre sur la « caisse noire » dévolue à une administration comme celle-là. Que cherche alors cet officier de l’armée dans ce guêpier ? Certaines langues supputent à raison sur l’adéquation entre ce poste et son profil. Bien que n’ayant jamais fait carrière dans la diplomatie et n’ayant pas occupé de postes d’attachés militaires dans une ambassade, Pamphile Zomahoun semble être envoyé sur un terrain qui ne lui sera pas trop étranger. Ce colonel de la gendarmerie, « Saint-cyrien » de solide formation est un expert bien connu en sécurité et plus précisément en sécurité des grandes personnalités. C’est d’ailleurs cette expertise qui a séduit l’ex-président Boni Yayi et il l’a appelé à ses côtés pour le nommer à la tête de l’escorte présidentielle sur conseil, dit-on, de Patrice Talon. On suppute également sur la gestion du dossier d’un contingent mixte de l’armée béninoise pour une mission en Haïti. Et Pamphile Zomahoun semble avoir l’étoffe pour gérer un tel dossier.
Mais tout cela, c’est le côté cosmétique des choses. Relever un patron des renseignements de manière aussi brutale et quelques jours seulement après le limogeage de Johannès Dagnon appelle à quelques réflexions. Qu’il vous souvienne que Pamphile Zomahoun, de même que Johannès Dagnon ont été tous deux arrêtés en 2013 pour l’affaire de « tentative de coup d’Etat » pour laquelle Patrice Talon fut accusé d’être l’instigateur. Il n’est donc pas exclu qu’il soit une victime collatérale de la purge que le chef de l’Etat fait dans le premier cercle concentrique de son pouvoir en supposant qu’il est proche de l’ex-patron du Bureau d’Analyses et d’Investigations(BAI) . Et dans cette purge, malheur à ceux qui sont taxés d’être « homme de tel… ». Sinon que cette affaire d’ambassadeur en Haïti ne paraît pas très claire. D’autant plus que depuis 2019, le Bénin avait opté pour le rétrécissement de la carte diplomatique en fermant la majorité des ambassades du Bénin à l’extérieur et en ne laissant qu’une dizaine. Puis quelques mois après, le gouvernement s’est mis à rouvrir discrètement une à une certaines après avoir compris que les ambassades étaient plus que des quincailleries évaluées à l’aune de la seule rentabilité financière. Le cas d’Haïti est éloquent. Il relance le débat sur les motivations de ces réouvertures récentes que certains diplomates trouvent saugrenues, conjoncturelles et pas forcément géostratégiques.