En cette fin d’année 2023, maints Béninois ont été surpris par l’activisme médiatique du chef de l’Etat. En moins d’un mois, Patrice Talon a multiplié les sorties médiatiques. Face aux Démocrates, aux députés et aux journalistes, on découvre un président très peu serein, obligé d’humilier et discréditer son prédécesseur pour se donner bonne conscience.
A près avoir suivi la dernière interview du président de la République face à deux journalistes de la radio nationale, une proposition a hanté maints esprits : « Et si on vidait la Marina de sa ribambelle de communicants ? »Mais après pensé ainsi, on revient très vite à l’évidence que ces derniers, bien que compétents pour la plupart, ne pouvaient pas grand-chose face à la détermination d’un chef décidé à régler de vieux comptes et à combler le vide abyssal de son capital d’estime et de sa côte d’estime. Encore faudrait-il qu’ils se mettent dans la posture de collaborateurs qui conseillent leur chef sur la base de leur science et non d’admirateurs éblouis qui voient en lui un démiurge presque parfait qui ne se trompe guère et dont les actes, mêmes les plus sordides sont applaudis comme des exploits d’un dirigeant plus intelligent que ses compatriotes. Ainsi donc, on aura passé de la normo-communication à une communication de détresse après un passage à vide fait de propagande et de provocation. Les moins attentifs à l’actualité du chef de l’Etat ont très vite perçu un manque de sérénité, une inquiétude que le chef de l’Etat n’arrive plus lui-même à dissiper. Lui qui jadis, apparaissait si imperturbable, même face à des dossiers si épineux et inquiétants pour la nation, devient subitement très disert, obligé de revenir sur de vieux dossiers que la mémoire collective commençait à oublier et même à répondre à des rumeurs colportées sur les réseaux sociaux.
Trois tableaux illustrent cette détresse. Le premier nous renvoie au 27 novembre dernier avec la délégation du parti les Démocrates. La très bonne démarche du chef de l’Etat qui a pris l’initiative de d’inviter ce parti de l’opposition pour discuter s’est muée en un guet-apens. Alors qu’on attendait un communiqué du gouvernement sanctionnant cette audience pour se faire une idée points d’accord et de désaccord, c’est à des extraits vidéo de la rencontre qu’on a eu droit. Clandestinement enregistrée, des extraits de la rencontre se sont retrouvés sur les réseaux sociaux. Les préposés à cette tâche ont pris le malin soin de diffuser des extraits où l’opposition semblait avoir baissé l’échine devant le chef de l’Etat visiblement déterminé à humilier ses hôtes d’un soir. Une filouterie d’un autre niveau. La cible était bien choisie : Boni Yayi et dans une moindre mesure son vice-président qui n’ont été guère épargnés dans les nombreuses remontrances et accusations du chef de l’Etat qui les présente tantôt comme des pyromanes, tantôt comme tricheurs qui sollicitent le tripatouillage des lois de la République pour assouvir des intérêts personnels.
Le deuxième tableau de même facture fut le 21 décembre passé. Dans son discours sur l’état de la nation, en dépit de la solennité, Patrice Talon n’a pas hésité à lancer des flèches à son prédécesseur. « Le Bénin se construit de façon visible, sans coup de pioche, sans pose de première pierre et sans inauguration… », affirme-t-il. Allusion faite aux années Yayi où ces pratiques étaient courantes. Pas si évident que l’état de la nation demande un recours à ce passé.
Le samedi 23 décembre, à vingt quatre heures du réveillon de Noël et deux jours après le discours sur l’état de la nation, la presse annonce une interview du chef de l’Etat. Pour une première fois, le casting porte sur deux journalistes de la radio nationale. Ce choix est-il fait à dessein puisque, pour la première fois, le président aborde des sujets nationaux comme les élections générales de 2026, sa succession et surtout les sulfureux dossiers d’empoisonnement et de coup d’Etat et les guéguerres Talon-Yayi des années 2012, 2013 et 2014. Alors qu’on s’attendait à un message d’espoir, c’est la coupe de l’inimitié et de l’anti-yayisme est servie au peuple sans modération.
Echec
S’il y a un mot qui peut résumer ces différentes sorties du chef de l’Etat, c’est bien l’échec. En élisant Patrice Talon à la tête du pays en 2016, les Béninois avaient exprimé un vote clair : celui d’en finir définitivement avec l’époque Yayi et de maître ce dernier à la retraite. Si après huit ans à la tête du pays, Patrice Talon se voit obligé d’accorder autant d’énergies et de temps pour s’occuper de Yayi , de faire de lui une priorité de sa communication, c’est bien parce qu’il a compris qu’il devient une menace pour ses ambitions politiques de 2026, ambitions qui ne sont d’ailleurs pas clairement affichées. L’influence actuelle de Boni Yayi dans le jeu politique, sa popularité supposée ou non et le recours à lui comme une alternative politique au régime actuel n’est que l’expression de l’échec de la gouvernance actuelle. Comment Talon a réussi, à coups d’erreurs et de méchanceté, à « ressusciter » quelqu’un que les Béninois avaient semblé ranger ? Comment quelqu’un qui, au soir de ses dix ans au pouvoir, avait paru si détesté au point d’essuyer quelques huées à sa sortie de la Marina le 06 Avril 2016 devient si populaire aujourd’hui ? L’échec c’est aussi le recours à une dialectique illusoire. Le recours permanent à des classements et notes d’organisations internationales sur la qualité de la gouvernance et la transparence ne peuvent pas, à eux seuls, justifier une bonne lutte contre la corruption alors que sous nos yeux, éclaboussent fréquemment des scandales et des dossiers de prévarication dont le plus fumant est celui de l’OBSSU pour plus de deux milliards. L’échec c’est aussi lorsque le discours présidentiel présente un tableau reluisant de la situation sociale et économique alors qu’au réveillon de noël, Cotonou et Abomey-Calavi ont donné de villes fantômes au point d’amener un compatriote à dire sur facebook que « cette veille de Noel ressemble à la veille de la proclamation des résultats de Bac ». L’échec c’est d’être obligé à parler de sa succession, de se prononcer sur les candidatures de telle ou telle personne et ceci à plus de deux ans de l’élection. Chose qu’aucun président n’a fait avant lui de façon si officielle.
Le 23 décembre, à mots voilés, le chef de l’Etat n’a pas été si loin de dire que son successeur sera celui qu’il aura voulu et non celui que le peuple aura voulu. Une peur de la succession qui affecte dangereusement le discours et le prestige présidentiels. De l’homme serein et imperturbable qu’il était, le chef de l’Etat s’affiche comme un personnage angoissé, inquiet. Tel un homme qui s’est enfermé lui même dans une pièce dont il n’arrive pas à sortir.