Depuis près d’une semaine, les populations des villages côtiers d’ Aïdo, Mèkon, Djondji sont dans le désarroi après le passage des bulldozers qui ont écrasé leurs maisons. A Aïdo où nous nous sommes rendu, les populations sont encore sous le choc et un drame humanitaire semble se profiler à l’horizon.
Aïdo présente ce soir du mardi 30 avril le visage d’un village dévasté par un bombardement ou un cyclone. Ce petit village de pêcheurs, situé à environ 4km de la « Porte du non retour » et pris en sandwich entre l’Océan Atlantique et le lac Tôho, n’existe desormais que de nom et par la présence de sa population. Nous nous y sommes rendu par un taxi moto en farfouillant entre chaussée asphaltée et inachevée et route sablonneuse qui ralentit parfois les pétarades de la moto. Après une vingtaine de minutes, nous voilà à Aïdo. Ce petite village d’environ un millier de personnes- 581 lors du dernier recensement- n’existe que de nom. Comme à Togbin, Fiégnon et ailleurs, les buldozers se sont montrés impitoyables. Toutes les maisons sont rendues en une ruine, un mélange indescriptible de paille, de tulles, de murs, de meubles de maison et de bois. Les populations, elles, s’occupent toujours à mettre un peu d’ordre dans le désordre occasionné par le passage du bulldozer. « C’est ce qu’ils font depuis que leurs maisons ont été détruites. Ils ne font qu’arranger pour essayer de récupérer quelques effets qu’ils peuvent encore utiliser. Non seulement on a détruit leurs maisons mais on les a créés du travail », me confie mon éclaireur totalement révolté. Chaque jour, les familles travaillent à extraire des ruines quelques objets qu’elles peuvent encore utiliser : du bois, des briques encore intactes, quelques meubles, des habits et parfois de l’argent. En effet, ces engins ont détruit les maisons sans parfois permettre à leurs habitants d’y prendre une aiguille. C’est ce que nous explique Kokouvi A. occupé à dégager quelques bois qu’il arrive à soustraire d’un amas de briques, de pailles et de branchages de cocotier séchées. « Lorsque le bulldozer est arrivé, il n’a pas perdu la moindre seconde. Il a tout broyé du coup. Aucune excuse n’a été permise. On a juste eu les alertes et les vrombissements des moteurs depuis Djondji et on nous a dit de vite faire pour récupérer ce que nous pouvons. Ils ont tout broyé. Les plus malheureux sont ceux qui n’étaient plus à la maison. Eux, ils n’ont pu malheureusement rien récupéré », déplore- t –il. Non loin de lui, une dame aux mains noircies par les travaux d’extraction des bois de charpente de la ruine lance, « le bulldozer a écrasé même un mouton. On ne dirait pas qu’ils sont des humains ».
Aucun dédommagement préalable
Plus loin, assis à même le sol, le vieux Adouvi C., septuagénaire révolu, s’affaire à rafistoler un filet de pêche. Sa maison construite en dur, avec une toiture de tulle a été totalement rasée. Malade après le passage de l’engin destructeur, son état de santé est encore précaire après une hypertension causée par le choc de cet évènement malheureux. « On était ici quand ils sont venus nous dire qu’ils veulent déterrer les corps qui sont inhumés dans l’emprise du projet « route des pêches ». Juste le lendemain du jour où ils ont déterré les corps, ils sont revenus avec des bulldozers sans aucun avertissement préalable. Ils ont commencé à caser. C’était il y a environ 5 jours. Et devant moi, ils ont détruit ma maison. On n’a pas pu récupérer grande chose », raconte-t-il les yeux larmoyants. A ce niveau, il arrête le récit pour contenir son émotion puis complète : « Tout a été détruit. Tout. Moi je suis même souffrant. Et cette démolition a aggravé mon état de santé ». Le récit de dame Edwige A. n’est pas différent. « On était là il y a environ cinq jours quand ils sont venus. Dans un premier temps, ils ont commencé à déterrer les cadavres qu’ils mettaient dans des couvertures funéraires à fermeture. Le lendemain, on était là quand quelqu’un est venu nous dire qu’ils sont entrain de caser à Djondji, vers Mèko Houta. Quelques heures après, ils étaient déjà à notre niveau. Difficilement on a pu demander un bout de temps pour enlever tout au moins nos tulles. Mais malheureusement, dans cette précipitation, la majorité des tulles étaient cassée. Quelques minutes après, ils ont démoli notre maison », a-t-elle précisé.
Amalgame
Au début, la démolition devrait concerner les maisons ou les bâtiments qui sont dans l’emprise du projet de la route des pêches et non tout le village. Le vieux Adouvi C. explique : « Au début, c’est la devanture de ma clôture qui était concernée par la démolition parce qu’elle se trouvait dans l’emprise du projet d’asphaltage de la route des pêches. Ils ont invité à une rencontre au cours de laquelle, ils ont promis nous dédommager afin de démolir les parties de notre maison qui sont concernées par le projet. Ils ont demandé des photos qu’on les a remises. Et ils ont promis nous rappeler après pour nous payer. Mais après, plus rien. Ils sont venus sans aucun préavis pour tout détruire » qui ajoute qu’il y a eu rétention d’information parce que certaines autorités avaient reçu un courrier dans ce sens. Même refrain chez dame Edwige A., « Quand ils marquaient les limites de la nouvelle route, ils nous ont dit que ceux qui ont des bâtiments qui sont dans l’emprise de la route doivent les enlever et qu’ils vont les dédommager. Mais c’est le contraire qu’on a vu. C’est toute notre maison qu’ils ont démolie. Le chef d’arrondissement de Djègbadji M. Fassinou Awoulou nie les allégations des populations qui affirment presque tous n’avoir pas été informés qu’on allait raser leurs maisons. « Ils ne peuvent pas dire qu’ils n’ont pas été informés. C’est faux mais je dois reconnaître qu’il y a eu d’amalgame et certains n’avaient pas eu la bonne information au début», a-t-il tenu à clarifier. Quant au Chef du village d’Aïdo, Eugène Bessan, il ne confirme, ni n’infirme les allégations des populations qui, selon lui, sont traumatisés par ce qu’ils viennent de subir. Et c’est pourquoi, il se sent plus préoccupé par la réparation des préjudices et des solutions urgentes pour héberger ces familles qui sont sans abri. « Moi-même je suis victime. Je ne suis pas un étranger, je suis un enfant d’Aïdo. Le drame qui frappe mes parents me frappe aussi. Mais il est important qu’ils comprennent que la plage est un domaine public et malheureusement ils ne seront pas dédommagés mais nous courons pour que quelque chose soit fait à leurs endroits.
Drame humanitaire
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A Aïdo et dans les autres villages rasés, les populations dorment encore à la belle étoile. Sur les lieux, les tricycles font la navette et aident ceux qui les sollicitent à déplacer certains effets récupérés vers un site plus sécurisé. Si certains ont pu trouver un abri dans la maison de certains parents derrière la lagune de Ouidah, beaucoup encore n’ont pas eu cette chance. Ils dorment à la plage, à la merci des reptiles, des moustiques et des intempéries du climat. « C’est ici qu’on dort. Dans la journée, nous sommes à la merci du soleil, de la pluie. Dans la nuit, les moustiques s’occupent de nous. Non loin d’elle, des matelas sont disposés par endroit sur la place, parfois avec quelques moustiquaires de fortune. C’est dans la journée, qu’on arrive à dormir un peu quand les rayons de soleil ne nous empêchent pas. Dans ça, il faut dire que certains parmi nous ont des bébés. C’est vraiment triste. Qu’avons-nous faire à Dieu pour mériter ce sort », fulmine-t-elle. « Avec les premières pluies, la situation devient plus compliquée. Je puis vous dire que beaucoup ont passé des nuits à la plage sous les dernières pluies. C’est un drame et on sollicite les bonnes volontés pour aider à les reloger », lance Eugène Bessan, le chef du village. Ainsi, à cause de la sauvagerie avec laquelle les réformes sont conduites, des milliers de Béninois devenus des « sans-abris ». A cela s’ajoute la persécution des policiers qui viennent fréquemment sur le terrain pour chasser les gens et renverser même les nourritures. Combien sont-ils à vivre ce drame ? Nous n’avons pas pu joindre le préfet pour avoir une idée du nombre précis de personnes concernées lui qui, selon les dires de plusieurs personnes, a conduit ces déguerpissements sauvages et qui a recensé les personnes victimes.