Faisant acte de sa profession de foi sur sa succession – « je serai actif »- Talon a entamé les manœuvres pour les élections générales de 2026. Comme à ses habitudes, il mise gros sur « ses » députés. Ceux là même qui l’aident depuis 2019 à démolir la charpente démocratique du Bénin à travers lois-pièges, lois-drones et lois détaillées sur mesure. La révision du Code Electoral intervenue dans la nuit du lundi 04 au mardi 05 mars en est une éloquente illustration.
Joie de courte durée pour les défenseurs de la démocratie et du pluralisme politique. Trois jours à peine après le rejet de la proposition de révision, le vote à une majorité écrasante du Code Electoral les ramène à l’amertume habituelle. Tout a été joué au cours d’une plénière électrique soldée par un vote dont le verdict n’a rien de surprenant. En effet, contrairement à la révision de la constitution, une majorité simple de 55 députés suffisait pour modifier le Code Electoral. Mais ce n’était pas l’élément le plus déterminant. La veille du vote, le chef de l’Etat, comme souvent à la veille de votes importants à l’Assemblée Nationale, a rencontré tous les députés des partis UPR et BR chez lui. Ces réunions chez le chef de l’Etat sont connues de tous les députés de la majorité présidentielle. Au début du premier quinquennat, entre 2016 et 2017, tous les députés de la 8è législature allaient à ces rencontres à la demande du chef de l’Etat avant que ce dernier ne finisse par en exclure ceux qui, en mars 2017, ont voté contre son 1er projet de révision de la constitution. Il avait, à l’issue de ce vote, rangé les brandisseurs du carton rouge, dans le lot de ses opposants et les a privés de ces réunions. Au cours de ses réunions, racontent nos sources, il donne des consignes de vote, confie des rôles et réprimande parfois les velléités de liberté exprimées par certains parlementaires. Il s’agit d’une réunion de simulation de rôle. Toutes les plénières qui s’ensuivent sont comme des mises en scène de ce qui a été décidé. L’amendement du Code Electoral intervenu dans la nuit d’hier ne déroge pas à ce principe. La veille de son vote, Patrice Talon a rencontré les députés de sa majorité pour prodiguer des conseils, donner des consignes et confier des rôles. Il n’est donc pas étranger à cette loi votée. C’est cette accointance poussée, cette intelligence maligne entre Président de la République et députés qui a produit toutes les lois votées depuis 2019, même la révision de la constitution intervenue en 2019. Selon certaines sources, une prochaine rencontre ayant pour objectif de peaufiner de nouvelles stratégies pour affermir la cohésion au sein de cette majorité se tiendra ce soir ou dans les prochains jours entre le président de la République et ses 81 députés. Depuis 2016, l’Assemblée nationale a fonctionné comme une institution sous ordre. Tel un ministère qui ne dit pas son nom.
Une loi taillée sur mesure
Après le rejet de la proposition de loi sur la révision de la constitution qui l’a mis dans une posture de faiblesse, le chef de l’Etat a trouvé la bonne occasion de revanche à travers le vote du Code Electoral. Après avoir réussi à trouver les bons mots pour calmer les « rebelles » du 1er mars et dissiper les querelles byzantines qui minent actuellement sa majorité, Patrice Talon a compris qu’il faut vite saisir cette accalmie – qui peut être temporaire- pour faire passer les amendements aux réformes électorales avant la résurgence d’une prochaine probable fronde parlementaire . C’est ce qui explique la surdité subite des députés face aux nombreux appels des organisations de la société civile, des confessions religieuses et même du député Nassirou Arifari Bako de la majorité présidentielle qui a demandé d’ajourner la séance plénière de ce mardi 5 mars. Mais en vérité, les amendements visaient à régler trois problèmes : écarter les Démocrates pour les prochaines élections, calmer les velléités d’Olivier Boko et de ses nervis du parlement. « Nous avons envoyé un message fort à travers ce vote. Régler d’un seul coup le problème du parti Les Démocrates, d’Olivier Boko et ses soutiens. Ils sont tous revenus à la maison comme des enfants prodiges mais ils savent que tôt ou tard, le glaive va tomber sur eux », explique une source bien introduite dans le sérail présidentiel. Mais à priori, aucune des nouvelles dispositions amendées ne devrait exclure les Démocrates. Au contraire, elles font du Code une « loi sur mesure » cousue à la taille du parti de Boni Yayi. Tout a semblé avoir été décidé en fonction des performances actuelles du parti, de sa taille et de son poids actuels or une loi doit pouvoir disposer pour l’avenir. Le parti dispose actuellement de 28 députés obtenus dans 15 circonscriptions électorales. Ces chiffres correspondent aux nouvelles exigences : 15% des parrains provenant de 3/5 des circonscriptions électorales. De même, le critère de 20% de suffrage exigé par circonscription électorale pour prétendre au partage des sièges ne semble pas non plus être un défi insurmontable pour le parti. Seulement voilà, le pouvoir tient en main un autre joker qu’il peut utiliser pour arrêter l’opposition. Il s’agit du quitus électoral. En fonction des circonstances de 2026, de la situation dans le camp de la mouvance et des candidats désignés par les partis, le pouvoir pourrait utiliser ce joker. La possibilité d’alliance autour de candidature, est une fenêtre d’incertitude alors que la Charte des partis politiques interdit. Ces amendements laissent trop de marges de manœuvre qui peuvent être utilisés au chef de l’Etat. Il sera trop gros et trop risqué d’éliminer l’opposition à travers la loi.
« L’ami du président » n’a pas été aussi épargné. Deux amendements semblent le cibler directement : le contrôle et l’attribution des parrainages aux candidats désignés par les partis. Il ne peut donc plus compter sur ses « amis » députés de l’UPR et du BR. Si sa candidature n’est pas entérinée par l’un des deux partis, il ne pourra pas bénéficier de parrainages. Et d’ailleurs, les parrains ne seront plus forcément ses « amis » d’aujourd’hui car ce sont les députés et maires élus en 2026 qui vont parrainer les candidats pour la présidentielle.
Il ne peut avoir une loi plus vindicative que celle là. Seulement, les législateurs d’aujourd’hui ont fait preuve de cécité politique car les réalités de 2024 peuvent être bien différentes de celles de 2026. Et ceux qui veulent exclure aujourd’hui peuvent bien se retrouver dans la position d’exclus en 2026.