L’opération de charme pour soigner l’image du président de la République a semblé bien marcher. Les images rejetées par le petit écran montrent un chef d’État scintillant d’élégance dans une salle bien aseptisée. Face à lui, des journalistes bien moins fringants, fouillés indélicatement – la sécurité du chef de l’État oblige- et dont les « perspicacités journalistiques » ont été fortement « freinées », selon les dires de l’un d’eux sorti déçu de cette conférence. Le discours présidentiel apparaît limpide, presque sans hésitation. « Ce que l’on conçoit bien s’énonce clairement, Et les mots pour le dire arrivent aisément », disait Nicolas Boileau. Patrice Talon a donc bien préparé sa « chose » qui à dissiper les soupçons de révision opportuniste qui pèsent sur lui. Tout a aussi bien commencé avec un argument presque en béton. Patrice Talon explique que c’est en voulant dissiper définitivement les soupçons sur sa personne que lors de la révision de 2019, il a corsé l’article 42 et en y mettant que « nul ne peut exercer plus de deux mandats de sa vie ». Sauf qu’il n’échappe à personne, surtout aux observateurs attentifs de l’actualité politique de notre pays, que ces dernières semaines il avait multiplié des rencontres avec la classe politique pour obtenir un consensus afin de déclencher la correction du code électoral. Du code électoral à la constitution, il y a une petite passerelle. Ses intentions si ambivalentes ont amené les plus avertis du groupe à y voir une volonté de réviser la constitution. On n’a d’ailleurs pas besoin d’être un expert en analyse des comportements politiques pour comprendre cela. Patrice Talon ne perdra pas son temps pour multiplier les consultations avec les partis politiques- même avec le Caucus des femmes parlementaires- juste pour une relecture du Code Électoral déjà voulue et demandée par la Cour Constitutionnelle. L’idée d’une révision a vite fait d’embraser l’opinion d’abord à cause de ce regain d’activisme politique du chef de l’État et du dépôt d’une proposition de loi sur la révision de la constitution alors qu’on attendait celle sur le Code Électoral. Ayant compris le manège, la majorité des partis politiques, ceux de l’opposition à l’unanimité et même certains de la majorité présidentielle, s’y sont opposés. De même, deux anciens présidents de la Cour constitutionnelle ont dit de façon franche leurs oppositions à ce projet.
Dans la peau du séducteur, Patrice Talon répond de façon franche. « Je ne veux aucune révision de la Constitution. Je ne veux pas qu’on touche à une virgule de la Constitution ». Cette déclaration aurait suffi à elle toute seule pour clore définitivement le débat et mettre fin à la vague de suspicion contre le chef de l’État. Seulement voilà, des éléments contextuels et des actes semblent saboter le speech séduisant du locataire de la Marina. Parlons-en. Le premier qui a lancé le débat s’appelle Louis Vlavonou, président de l’Assemblée Nationale. On se demande donc de qui a-t-il reçu injonction, lui la 2è personnalité de l’État béninois, pour clamer sur la place publique qu’une « assemblée constituante » était réunie pour faire la refonte du système ? Toujours en analysant les actes des uns et des autres, on découvre une bien curieuse et subite bravoure du député Assan Séibou. Comment l’obéissant député de Copargo lors de la 8è législature, incapable qu’il était jadis de s’opposer aux moindres dérives du gouvernement est devenu subitement entreprenant et courageux pour prendre sur lui la lourde responsabilité d’introduire au parlement une proposition de loi sur la révision de la constitution ? Comment donc un député suppléant comme lui, officiant à la place du ministre d’État Abdoulaye Bio Tchané, numéro deux du gouvernement, a pu faire un truc pareil sans l’avis et la bénédiction de son titulaire qui plus est Président de son parti ? A voir de près, on se demande si ce n’est pas un projet de révision de la constitution qu’on a subrepticement transformé en une proposition de révision de la constitution. Une sorte de jeu de rôles où le chef de l’État crie n’y être mêlé alors que ses soutiens, Vlavonou et ses séides, travaillent sans bruit pour conduire le processus à son terme.
A ce sujet d’ailleurs, il y a un détail intriguant. Le tollé suscité par la résurgence de ce projet n’a guère émoussé les ardeurs de ses défenseurs puis que la proposition de loi a suivi un circuit normal et se trouve actuellement à la commission des lois. Assan Séibou compte sûrement sur quelqu’un. Il a certainement un parrain si influent qu’il ne craint rien. Idem pour le président de l’Assemblée qui semble bien s’accommoder du processus en dépit des critiques acerbes contre sa personne. Lui aussi a visiblement un mentor sur lequel il compte. En analysant ces agissements, on se rend compte qu’il y a donc un tireur de ficelle, un homme dont la force et la puissance apportent réconfort, soutien et protection au Président de l’Assemblée Nationale et aux autres révisionnistes.
D’autres détails retiennent l’attention. Après avoir dit qu’il ne veut pas d’une révision de la constitution, on s’attendait au moins à ce que le Président de la République se montre ferme en demandant au député initiateur de retirer son projet. En faisant cela, il aurait montré toute sa bonne foi. Assan Séibou est pourtant un député de la majorité parlementaire et à ce titre, il ne pourra pas s’opposer à la volonté du président de la République. Mais en se lavant les mains comme Ponce Pilate dans cette affaire de révision de la constitution, Patrice Talon donne une caution tacite à la révision. D’ailleurs, les critiques et les railleries contre sa personne ont repris avec plus d’acuité. Qui pour rappeler que c’est le même personnage qui a affirmé urbi et orbi et de façon solennelle ne vouloir faire qu’un seul mandat pour finir par en faire deux et ceci de la manière la plus cruelle possible en écartant tous les opposants et en faisant tirer sur les populations qui ont voulu s’opposer à sa volonté. Qui pour rappeler comment il a promis lui-même demander la libération des étudiants en prison mais n’a rien fait après. En somme un homme qui ne fait jamais ce qu’il a dit. Il clignote à droite et tourne à gauche et s’en fout des dégâts.
L’image du chef qu’on voulait soigner est restée aussi déplaisante qu’avant. Il faudra encore plus de conférences de presse pour changer les choses. Un peu plus de make up et de chirurgie esthétique, pour cacher les stigmates que les acnés et les taches ont laissés sur le visage depuis 2016.