Quelle est la valeur d’une vie humaine au Bénin ? Cette question existentielle, surprenante, métaphysique mais à l’apparence insolite ne vient pas de moi, mais du père Arnaud Eric Aguénounon, politiste comme moi mais prêtre à l’esprit vif et à la réflexion profonde. Question posée dans son dernier essai « Le pouvoir du déni ». Et à cette question, on pourrait y répondre sans trop tergiverser que la vie humaine ne coûte pas grand-chose au Bénin. Cette interrogation a le mérite de nous replonger dans l’actualité et de servir de phrase introductive à cet article sur la politique silencieuse de la mort promue et défendue par le régime de la rupture. Et pour cause, la mort du jeune artiste Praouda, connu à l’état civil comme Eric Romain Hindédji mort d’un accident vasculaire cérébral après quelques jours de maladie. Si sa mort n’est pas, à priori, due à une négligence particulière, est vient compléter une série macabre de décès d’artistes, de journalistes et même de professionnels de divers secteurs qui meurent de mort brutale provoquée par des maladies qui ont besoin de suivi particulier ou de prise en charge très tôt. En 2024, près d’une quarantaine de journalistes auront cassé leurs pipes, pour la plupart en activité. Leurs différentes morts, à quelques variantes près, semblent trouver leurs causes dans le manque de suivi. En effet, la précarité de la vie, la course effrénée pour la survie, les tracasseries quotidiennes pour maintenir un train de vie qui ne fait que dégrader au jour le jour augmentent le stress et le manque de repos au niveau de plusieurs compatriotes. Lorsque dans un tel contexte, on ressent un ma ou un malaise, le premier reflexe n’est pas d’aller à l’hôpital mais de résister. Beaucoup vivant au jour le jour sur la base de l’effort journalier, le temps d’aller à l’hôpital compromet leur survie du lendemain. Et l’argent qu’ils gagnent de leur travail n’est pas assez suffisant pour leur permettre d’aller à l’hôpital et de prendre en charge leurs soins. On choisit donc de résister à la maladie jusqu’au jour où le pire arrive.
On ne devrait donc pas s’étonner de la montée vertigineuse des morts brutales au pays. D’Ibrahim Padonou- le réalisateur doué et créatif mort tout récemment d’insuffisance rénale- à l’artiste populaire que fut Praouda, tous sont morts faute de possibilité de soins à leurs portées. Comme eux d’ailleurs, des dizaines de milliers de Béninois meurent banalement sans que personne ne s’en émeuve au niveau de l’élite dirigeante. Cette dernière a réussi, en moins de dix ans à créer au Bénin, deux castes : une oligarchie bien encadrée et une plèbe dont le degré de paupérisation est inquiétant. Il s’agit en réalité de deux Bénin. Celui de l’élite, des hommes d’ « en haut » et de la masse laborieuse, tenue par la pitance et condamnée à la « mort facile ». C’est dans ce lot que se trouvent ces milliers de Béninois souffrant d’insuffisance rénale et laissés sans prise en charge à la mort qui les emporte par centaine. Ils ont beau crié au secours, l’oligarchie à « la conscience anesthésiée, à la raison émoussée et au cœur insensible » ne les écoute guère. Au Bénin, « on investit dans les choses que dans l’homme », avait dénoncé l’opposant politique Eric Houndeté. Cette oligarchie est préoccupée par la préservation de ses biens matériels, de son luxe et l’accumulation de frics et de briques. Elle se contente elle de ses capacités à se soigner dans les hôpitaux les plus huppés du monde, bien loin des déserts hospitaliers du Bénin. La réduction et l’insensibilité aux problèmes des faibles, des gagne-petit, des indigents, de la grande majorité de la classe moyenne qui se paupérise, est, au-delà, d’un souci mercantile une bonne stratégie politique de réduction de charges à l’Etat. Les divers propos du chef de l’Etat et de ses collaborateurs avaient laissé transparaître une politique malthusienne qui prône la réduction des charges de l’Etat par la réduction des personnes et problèmes à charge. Il suffit donc de créer les conditions pour favoriser les morts bêtes, les morts brutales, les morts inconscientes, les morts par manque de suivi médical pour avoir moins de personnes vulnérables. Les allègements des taxes et impôts sur les cigarettes, les boissons et les tabacs, l’organisation des grands concerts, la promotion des clubs de dépravation, le recrutement à dose homéopathique de médecins, la suppression des subventions pour certaines maladies constituent à ne point en douter une promotion de la politique de la mort. C’est le sort réservé aux damnés. Ceux que leur propre Etat considère et traite comme des sous-hommes. Plus il y en a qui meurt, l’élite jubile de réduire les charges à l’Etat. L’argent sert à embellir les pierres et « les hommes n’existent que pour chanter la beauté des pierres », pour reprendre l’expression du même prêtre cité plus haut.
« Vous autres damnés, mourez si vous ne pouvez pas. Cela nous fera moins de charge » : telle doit être la fatwa décrétée dans le silence et la mesquinerie.