Le parti Les Démocrates vient de poser un acte politique majeur : renoncer à présenter l’un de ses 28 députés comme candidat à la présidentielle. Une décision stratégique, mais aussi existentielle. Car dans un contexte où le parrainage est devenu une épée de Damoclès, éviter l’auto-parrainage, c’est refuser le piège, c’est refuser de tenter le droit — et peut-être même Dieu.
Ce choix ouvre une nouvelle page. Une page exigeante, car elle oblige à regarder au-delà des cercles parlementaires. Elle oblige à choisir un homme libre, légitime, et capable de porter la voix du peuple sans fragilité juridique ni ambiguïté morale.
Cinq noms émergent. Cinq trajectoires. Cinq interrogations.
Nourou Dine Saka Saley
Ancien soutien de Patrice Talon et membre influent nommé au cabinet du ministre d’État Abdoulaye Bio Tchané, Nourou Dine Saka Saley fut l’un des visages des premières heures de la rupture. Mais l’incident qui l’éloigna du cabinet, lié à des tensions sur la cohésion interne, a laissé des traces le poussant inexorablement vers l’opposition qui devint son seul refuge contre ses anciens amis. Depuis, sa parole s’est faite plus libre, parfois plus tranchante et même trop tranchante notamment à l’égard même de son nouveau parti Les Démocrates qu’il a vertement critiqué plusieurs fois sur les réseaux sociaux et sur les chaînes de radio et télévision.
L’habitude étant une seconde nature, sa capacité à incarner une ligne collective reste en question. Peut-on porter une maison qu’on a déjà ébranlée plus d’une fois? Peut-on représenter un parti dont on a publiquement contesté les fondements ? Sa parole ne risque-t-elle pas de dépasser celle du parti ?
Yacoubou Bio Sawé
Figure respectée pour sa loyauté, sa discrétion et sa constance, Bio Sawé incarne une forme de stabilité politique. Son engagement au sein du parti est ancien, profond, et sans éclat inutile. Mais c’est précisément cette discrétion qui soulève une interrogation stratégique : sa désignation pourrait être interprétée comme un choix régionaliste, clanique, voire familial.
Dans un pays encore marqué par les fractures de 2016 lorsque la majorité du parti FCBE bascula vers l’adversaire ce type de lecture pourrait à nouveau faire fuir certains cadres, fragiliser l’unité, et réveiller les vieux démons de la fragmentation.
Bio Sawé est respecté, mais peut-il fédérer au-delà de son cercle naturel ? Le président Yayi Boni, artisan de l’unité, veut-il courir à nouveau ce risque ?
Moïse Kérékou
Portant un nom chargé d’histoire, Moïse Kérékou bénéficie d’une aura symbolique. Mais l’héritage ne suffit pas. Colistier de Joël Aïvo en 2021, il s’est muré dans un silence étonnant lorsque celui-ci fut jeté en prison. Dans les luttes pour la démocratie, le retour des exilés et la libération des prisonniers politiques, sa voix est restée en retrait voire inexistante.
Ce silence, dans un moment où le pays attendait des paroles fortes, des gestes clairs, des actes courageux, a laissé place au doute.
Moïse Kérékou est un homme de réseau, mais peut-il incarner la combativité attendue d’un candidat d’opposition ? Peut-il porter, aux yeux des populations, dans la durabilité cette capacité à dire non, à résister et surtout à rassembler tout en redonnant confiance et espoir?
Daniel Edah
Engagé, volontaire, Daniel Edah multiplie les tentatives. Mais sa posture, fondée des le départ sur une prophétie pastorale, donne l’alerte d’un manque de décision personnelle et d’un engagement sur conviction soulevant ainsi une tension profonde avec les fondements spirituels du pays.
Dans le Bénin, pays du vaudou, le sacré politique repose sur les mânes de nos ancêtres.
Le serment présidentiel ne se prête pas devant une vision pastorale, mais devant une mémoire collective, enracinée dans les pactes invisibles entre les vivants et les morts.
Et pour preuve le Cheick Bertin Koovi ne s’est-il pas ri de cette prophétie en disant que ledit pasteur n’a pas pu prédire sa propre incarcération ? Cela révèle ainsi une fracture symbolique avec nos réalités.
Et lors de sa déclaration de candidature, l’ambiguïté de Daniel Edah sur l’origine des parrainages qu’il appelait ou espérait — mouvance ou opposition ? — n’a pas non plus joué en sa faveur.
Dans un pays où le sacré politique est une affaire de cohérence, de mémoire et de loyauté, cette candidature semble trop risquée pour un parti qui se veut rassembleur et porteur de la voix du peuple.
Ganiou Soglo
Ancien ministre de la Culture, ancien député, ancien président du club de football Les Requins de l’Atlantique, Ganiou Soglo complète ce tableau. Très tôt, il s’est libéré de la pesanteur familiale et s’est forgé un langage franc et clair, une posture droite et honnête.
Sa nomination au gouvernement Yayi Boni fut combattue par sa propre famille : son père, sa mère Rosine Vieyra-Soglo, son frère Lehady. Et pourtant, il s’imposa comme l’un des ministres les plus loyaux et efficaces du président.
Aujourd’hui encore, une tension persiste entre Ganiou Soglo et son père. Mais ce n’est pas la première fois. Et l’histoire montre que c’est précisément dans cette posture — entre loyauté politique et dissidence familiale — qu’il a su se construire, se tenir debout, et servir.
Son remarquable retour à la terre, loin des discours politiques prometteurs, l’a rapproché des populations. Il a partagé leur quotidien, écouté leurs récits, compris leurs urgences.
Cette proximité lui vaut aujourd’hui une sympathie réelle chez les Béninoises et les Béninois, qui voient en lui un homme politique enraciné, pragmatique, et sincère dans son rêve d’un mieux-être collectif.
Le poids du discernement
Le parti Les Démocrates, en refusant l’auto-parrainage, a posé un acte de rupture. Ce geste, loin d’être tactique, est une déclaration de principe : le prochain candidat ne devra pas être un compromis interne, mais une réponse nationale.
L’analyse des profils révèle des limites structurelles : fragilité de loyauté, ambiguïté spirituelle, silence stratégique, ou risque de fragmentation. Dans ce paysage, un seul profil semble échapper aux contradictions et allie enracinement populaire, cohérence morale et loyauté éprouvée.
Le président Yayi Boni, fondateur du parti et témoin des douleurs du peuple, se retrouve face à une responsabilité historique. Le choix qu’il fera ne sera pas seulement celui d’un nom — mais celui d’un destin.
Ce choix devra répondre à une exigence : celle de la clarté. Clarté dans l’engagement, clarté dans la parole, clarté dans la capacité à rassembler sans trahir.
Et si le discernement guide ce choix, alors le Bénin peut espérer.
Car lorsque le peuple souffre, le bon choix devient une urgence morale.
Et lorsque le juste gouverne, le peuple ne se divise pas car le juste est rassembleur.
OPINION DE Victor AWESSOU