Depuis qu’il a jeté le froc aux orties en sortant du parti FCBE, Alain François Adihou revendique l’appartenance à une opposition citoyenne. Dans cette interview exclusive qu’il a accordée au journal Le Patriote, l’ancien ministre revient sur les fourberies de son ancien parti et aborde les défis de l’opposition face à une majorité présidentielle décidée à lui mettre les bâtons dans les roues. Il met particulièrement l’accent sur les responsabilités personnelles de Boni Yayi.
Bonjour Monsieur ADIHOU, après votre départ du parti FCBE, quel est votre positionnement actuel et quel regard portez-vous sur l’actualité politique dans notre pays ?
Bonjour Monsieur le journaliste. Depuis mon départ du parti FCBE en juin 2025, je suis désormais dans l’opposition citoyenne.
Mon regard sur l’actualité politique de notre pays est d’abord un regard d’inquiétude,mais aussi d’espérance. Regard d’inquiétude, parce que,malgré les réalisations d’infrastructures et la modernisation de l’administration à l’actif du régime actuel,nous voyons s’installer une gouvernance qui tend à confisquer le jeu démocratique par des exclusions de toutes sortes, une gouvernance qui tend à verrouiller les institutions et même des institutions de contre-pouvoir qui sont pratiquement sous-tutelle, une gouvernance qui cherche à verrouiller les élections et à réduire l’espace du débat public. Les accords de coalition et les manœuvres partisanes montrent bien qu’aujourd’hui, la logique d’appareil ou de fauteuil a pris le pas sur la logique de service de la population.
Mais mon regard est aussi un regard d’espérance, car le peuple béninois reste vigilant. Les Béninois ne sont pas dupes. Ils observent, ils jugent et, le moment venu, ils sanctionneront ceux qui auront privilégié leurs calculs personnels au détriment de l’intérêt général.
En tant que membre de l’opposition citoyenne, je me situe dans une posture différente. Je ne cherche pas les alliances de circonstance, je cherche la cohérence et la fidélité aux valeurs. L’opposition citoyenne, c’est refuser de se plier aux compromis qui vident la politique de son sens. C’est dire la vérité, même quand elle dérange, et proposer des alternatives constructives qui mettent le citoyen au centre.
Aujourd’hui, l’actualité politique béninoise appelle à plus de clarté. Notre pays a besoin d’une opposition forte, lisible et responsable, qui ne se contente pas de critiquer, mais qui soit capable de former, d’éduquer et d’accompagner la jeunesse dans la construction de l’avenir.
Pour moi, la vraie question n’est pas de savoir qui s’allie à qui, mais de savoir qui est prêt à défendre les Béninois, leurs libertés, leur pouvoir d’achat, leur droit à une démocratie vivante. C’est ce combat-là que je mène humblement avec une poignée de jeunes, de femmes et d’hommes de ce pays, et c’est ce que j’appelle l’opposition citoyenne.
Le parti FCBE a rejoint la mouvance présidentielle, en êtes-vous surpris ? Et que pensez-vous de ces accords de gouvernance et de coalition parlementaire signés ?
Non, pas du tout, aucune surprise, bien au contraire, les masques sont enfin tombés !
Vous savez, la signature de ces accords de gouvernance et de coalition parlementaire entre la FCBE et deux partis de la mouvance présidentielle n’est pas un événement majeur. Elle est plutôt un événement révélateur. À mes yeux, cet événement soulève plus de questions qu’il n’apporte de réponses.En voici les raisons.
D’abord, il faut être clair : quand un parti qui s’est toujours présenté comme de l’opposition choisit de s’allier à ceux qui incarnent le pouvoir en place, il y a un problème de cohérence, de crédibilité et d’éthique. Le peuple béninois a besoin de lisibilité. On ne peut pas dire un jour que l’on incarne l’alternative et, le lendemain, signer des accords qui brouillent totalement les lignes de démarcation. Cela fragilise le parti FCBE lui-mêmequi se réclame de l’opposition, sans jamais préciser à quelle gouvernance et à qui elle s’oppose en réalité. Mais cela fragilise surtout la démocratie elle-même, car une démocratie sans contre-pouvoirs clairs est une démocratie en danger.
Ensuite, je me demande : quels sont les véritables objectifs de ces accords ? Est-ce pour défendre un projet de société clair et partagé, des réformes salutaires pours nos populations à l’Assemblée nationale ou bien s’agit-il simplement d’un calcul électoral à l’approche des échéances de 2026 ? Si c’est pour servir les intérêts partisans à court terme, à savoir : avoir un candidat à l’élection présidentielle et espérer participer à la répartition des voix, le peuple finira par le voir, et la sanction viendra des urnes. Immanquablement !
Pour ma part, je ne suis pas opposé au dialogue ou à un partenariat politique, bien au contraire. Mais un partenariat sincère suppose la transparence. Que contiennent ces accords ? Quels engagements précis ont été pris ? Quels mécanismes de suivi, quelles sanctions en cas de manquement ? Si tout cela reste flou, nous devons dire aux citoyens que c’est de la pure manœuvre politicienne.
Enfin, je veux lancer un appel à mes frères et sœurs de la classe politique : ne jouons pas avec la confiance des Béninois. Le pays a besoin de clarté, de vérité et d’opposition responsable. Oui, on peut s’asseoir avec le pouvoir pour discuter, mais il ne faut jamais perdre de vue l’essentiel : défendre les intérêts du peuple, préserver la démocratie et préparer une véritable alternative.
En ce qui me concerne, je resterai dans cette ligne : celle d’une opposition citoyenne, ouverte à tous les débats, mais intransigeante sur les valeurs et sur l’éthique politique.
La mouvance présidentielle utilise divers stratagèmes pour faire échouer l’opposition. L’opposition peut-elle réussir à surmonter ces difficultés ?
C’est de bonne guerre, et après tout, le pouvoir s’arrache ; il ne se donne pas, il se conquiert. Machiavel ne doit pas être notre unique repère, nous devons respecter également la règle de l’éthique en politique parce que nos jeunes et les autres pays du monde nous regardent, nous berceau de la démocratie en Afrique subsaharienne depuis l’historique Conférence des forces Vives de la Nation de février 1990. Il y a toujours eu des régimes avant 2016 au Bénin, tout de même !
J’ajouterai que bien-sûr l’opposition peut et même doit surmonter ces manœuvres de déstabilisation politiques : la victoire en 2026 est à ce prix et pour le faire, il faut changer de stratégie et cesser de ne « regarder que dans les guidons du LD. »
La mouvance a elle aussi plusieurs failles à exploiter, il suffit que le parti LD et ses premiers responsables prennent leurs responsabilités en invitant tout le monde autour d’une table de discussion sincère. Je parle desfailles de la mouvance présidentielle ;ce qui se passe aujourd’hui dans la mouvance présidentielle est révélateur d’un malaise profond. Le chef de l’État, au lieu de favoriser un débat démocratique interne et laisser émerger librement une candidature, a imposé son dauphin après avoir éliminé progressivement tous les prétendants sérieux. En plaçant le Ministre d’Etat Romuald WADAGNI comme candidat unique, il a écrasé les ambitions de tous ceux qui, à juste titre, espéraient concourir.Les conséquences sont claires notamment la perte de légitimité, dans la mesure où ce choix unilatéral ne reposant pas sur une adhésion populaire mais sur un décret politique fragilise le candidat lui-même. A cela s’ajoute des clivages internes puisque beaucoup de personnalités frustrées de la mouvancepourraient se replier surtout après les législatives, donc une menace d’implosion interne mais surtout une déconnexion du peuple car l’imposition du candidat d’en haut creuse un fossé entre le pouvoir et la société.
Mais attention, l’opposition doit tirer une grande leçon de cette situation et ne doit pas surfer sur le mécontentement général de la population. Les mécontents ne sont pas systématiquement nos électeurs. Quand un camp se déchire par manque de démocratie interne, il faut que l’autre camp choisisse la clarté et la cohérence surtout quand on s’appelle « Les démocrates ». Nous devons éviter les mêmes pièges.
L’opposition citoyenne dont je me réclame n’est pas là pour distribuer des strapontins ni pour flatter les ambitions personnelles. Elle propose humblement que toute l’opposition sous le leadership du Président Boni YAYI (que nous encourageons d’ailleurs), que l’opposition plurielle s’organise autour d’un projet commun, inclusif et transparent. Les candidatures doivent émerger du débat, pas de l’imposition du parti LD.
Si nous tombons dans les mêmes erreurs que la mouvance – exclusion, calculs égoïstes, imposition d’un candidat partisan–, alors nous perdrons notre crédibilité et dresserons un boulevard pour la mouvance qui a déjà un avantage institutionnel à la CENA et à la Cour constitutionnelle.
Mais si nous faisons la différence, en écoutant le peuple, en rassemblant nos forces et en respectant les règles de la démocratie interne et élargie avec toute les forces de l’opposition plurielle, alors nous pourrons transformer cette crise de la mouvance en opportunité pour l’alternance, une véritable alternative crédible.Ne l’oublions jamais le premier rôle d’un homme politique c’est d’écouter non pas uniquement sa base électorale mais plutôt le peuple dans son entièreté et le servir et non s’en servir pour ses intérêts personnels.
Vous vous réclamez désormais de l’opposition. Quels sont vos rapports avec le parti Les Démocrates ? Avez-vous rapport avec un autre parti de l’opposition ?
Je voudrais vous rectifier, j’ai été dans l’opposition pendant les 10 ans du Président Boni YAYI.Après avoir contribué à l’élection du Président TALON, j’ai quitté la nouvelle majorité avec la transformation du parti « Union fait La Nation » en parti « Union Progressiste » (UP). Donc aux premières heures de la mise en œuvre de la Réforme du système partisan, une réforme dont le diagnostic était pertinent, la solution mal identifiée, et la méthode de mise en œuvre franchement mauvaise ; ce qui ne pouvait conduire qu’à cet échec que nous constatons aujourd’hui. En effet, dans une réforme, le but n’est rien, la méthode ou le chemin est tout(nous y reviendrons).Je suis donc dans l’opposition avant même la création du parti Les Démocrates.
J’ai de bonnes relations avec le parti Les Démocrates où j’ai d’ailleurs beaucoup d’amis même si je n’ai pas l’occasion de discuter souvent avec les trois premiers responsables de ce parti ; peut-être en raison de leurs agendas, peut-être en raison de leurs certitudes de gagner les prochaines élections sans la contribution d’autres personnalités de l’opposition. J’ai également des amitiés avec plusieurs autres partis de l’opposition que cela soit les partis qui se sont conformés à la charte des partis politiques que ceux qui n’ont pas pu accomplir cette formalité administrative.
Quel regard portez-vous sur l’opposition, le choix qu’elle doit faire et les chantiers à mener pour gagner ?
Une opposition plurielle, dynamique mais dispersée. L’opposition béninoise est plurielle (Le parti LD, les autres partis du cadre de concertation, la Résistance nationale, le Front souverain, les Communistes, des mouvements politiques et l’opposition citoyenne). Elle est aussi dynamique. Cependant, elle peine encore à trouver la voie de l’unité. Chacun agit sûrement avec sincérité, selon son agenda caché, mais souvent en ordre dispersé. Les ambitions personnelles, les querelles de leadership et les calculs stratégiques affaiblissent la cause commune.
Or, face à une majorité présidentielle qui verrouille tout et impose son dauphin, le peuple attend de nous non pas des divisions, mais un front commun. Tant que nous resterons éparpillés, nous serons condamnés à perdre les élections malgré la force de nos arguments et un peuple acquis.
Quelques failles stratégiques actuelles
Premièrement, la stratégie actuelle du parti Les Démocrates, basée sur l’auto-parrainage, est une impasse. Si le parti tombedans le piège de l’auto-parrainage en se fiant aux considérations juridiques ou aux standards internationaux, c’est que ses principaux responsables auront oublié que nous sommes au Bénin sous le pouvoir du Président Patrice TALON où c’est la politique de la ruse qui prévaut ; où gouverner, c’est exclure et surtout où la stratégie de conquête ou de conservation du pouvoir, c’est la manière dont on tient les grands électeurs, et moi j’ajoute notamment la manière dont on tient les députés et les institutions de la République. S’ils minimisent le risque de l’auto-parrainage, alors la Cour constitutionnelle les ramènera à la réalité que, ici, c’est le Bénin.
Deuxièmement, si les responsables de LD s’enferment dans une logique où le candidat est désigné sur des considérations affectives ou partisanes, ils excluront toutes les autres forces de l’opposition, alorsque, officiellement le parti ne pèseque 25 % de l’électorat. S’ils se comportaient ainsi, ils reproduiront, à leur manière, les méthodes de la mouvance. Cela nourrira les frustrations, les suspicions et affaiblira la mobilisation populaire indispensable pour gagner face à la machine de guerre du Président TALON.
Ce n’est pas en érigeant des murs subtils entre elles que les différentes composantes de l’opposition gagneront.C’est plutôt en construisant des ponts. Le peuple béninois ne pardonnera pas une opposition qui reproduit les pratiques qu’elle reproche au pouvoir.
L’obligation de l’union sacrée.
L’urgence est claire : nous devons construire une union sacrée de l’opposition. Cela suppose un travail sérieux, sincère et courageux qui dépasse nosego et nos logos. Aucun membre de l’opposition ne doit être minimisé : chaque voix compte car on peut perdre une élection présidentielle à cause d’un écart de moins de 1.000 voix. Cette union doit inclure :
- Les Démocrates (LD)
- Les autres partis politiques d’opposition
- La Résistance nationale
- Le Front souverain
- Les communistes
- Les mouvements politiques reconnus actifs et non opportunistes
- Et l’opposition citoyenne dont je me réclame.
Ensemble, en une journée de réflexion, nous élaborerons des règles claires, convenir d’un processus inclusif, des consultations transparentes. Ceci permettra à la finde désignercomme tête du duo un candidat unique, un homme politique d’expérience etde poigne adossé à un projet humaniste, un candidatde rassemblement et d’inclusion citoyenne que le conseil national du parti LD pourra valider en session extraordinaire sur recommandation du comité de désignation en cours d’installation.
Les sacrifices à consentir
Chacun devra accepter de faire des concessions, surtout ceux qui ont déjà un mandat, une fonction et des avantages y liés. Ceci durera le temps d’un mandat de transition de 5 ans pour consolider les acquis du régime dit de la rupture, corriger ses erreurs et surtout faire disparaître ses conséquences qui affament le citoyen moyen depuis bientôt 10 ans, et maintiennent de braves citoyens endétention politique et/ou en exil, sans oublier les chômeurs et les travailleurs maintenus dans la précarité de l’aspiranat, les paysans spoliés, les grands enfants sur qui les parents ont investi des millions pour avoir un diplôme mais qui sont obligés de partager encore avec eux leurs maigres pensions de retraite, faute d’emploi. Et surtout nos morts issus des tueries de 2019 et 2021 que nous ne devons jamais oublier au sein de l’opposition.
Le plus grand sacrifice, ce n’est pas de renoncer à sa personne, c’est de renoncer à son ego pour sauver la démocratie et pour servir nos concitoyens.
Si nous voulons construire une économie inclusive au service du peuple, il faut d’abord que nous donnions l’exemple d’une politique inclusive, respectueuse et solidaire. Sans cela, nous serons disqualifiés tout au moins moralement.
Le peuple béninois est prêt à suivre une opposition unie, sincère et crédible, pas une opposition divisée, qui fait passer les ambitions personnelles avant l’intérêt national.
CONCLUSION
La majorité présidentielle est en train de s’effondre sous le poids de ses contradictions internes. À l’opposition de montrer qu’une autre façon de faire de la politique est possible : une politique transparente, inclusive et respectueuse du peuple.Si l’opposition reste divisée ou divergente, elle manquera le rendez-vous de l’histoire, et c’en sera fini pour le peuple devenu esclave sous le règne de la Rupture. Nous devons bâtir une union sacrée, accepter des sacrifices mutuels et porter ensemble un candidat de poigne et rassembleur. Le peuple Béninois mérite mieux que des querelles de leadership. Plus qu’une simple alternance, il mérite une alternative crédible qui lui garantisse le rétablissement de sadémocratie chèrement acquise.
Je vous remercie.
Réalisation : LE PATRIOTE