Selon Rachelle Yayi, il existe trois volets sur lesquels l’Afrique devrait impérativement miser pour consolider la paix, la stabilité et la prospérité auxquelles aspirent ses peuples. Dans une réflexion bien argumentée publiée en début de semaine, Rachelle Yayi fait l’histoire de la démocratie en Afrique qui, selon elle n’à jamais été importée comme tentent de le faire croire certains. Dans sa réflexion, elle soutient que l’organisation d’élections crédibles et la garantie d’une presse libre constituent des fondamentaux sans lesquels l’Afrique ne pourra véritablement pas être démocratique et prospère. Aussi, martèle-t-elle, la stabilité réglementaire et la primauté de l’État de droit sont des piliers sur lesquels doivent se reposer la démocratie et le développement. La participation citoyenne est la troisième clé qui ouvrira selon Rachelle Yayi les portes d’une Afrique paisible et prospère.
« La démocratie n’est pas une option ou un luxe pour nos sociétés émergentes, mais une condition stratégique de développement durable.», soutient-elle, avant d’ajouter que «…pour les générations futures, nous avons la responsabilité collective de défendre, renforcer et promouvoir la démocratie en Afrique, non seulement comme système politique, mais comme un cadre de dignité, de participation et de justice. Car au-delà des chiffres de croissance brandis pour légitimer l’autoritarisme, c’est l’humain qui doit primer : une croissance qui ne respecte pas les droits fondamentaux, qui nie la liberté et qui exclut les citoyens de la décision n’est ni durable ni véritablement porteuse de progrès.».
Comlan Paul ODAH
Lire son opinion ci -dessous :
𝐃𝐄𝐌𝐎𝐂𝐑𝐀𝐓𝐈𝐄: 𝐋𝐄𝐕𝐈𝐄𝐑 𝐃𝐔 𝐃𝐄𝐕𝐄𝐋𝐎𝐏𝐏𝐄𝐌𝐄𝐍𝐓 𝐄𝐂𝐎𝐍𝐎𝐌𝐈𝐐𝐔𝐄 𝐃𝐔𝐑𝐀𝐁𝐋𝐄
« La démocratie, c’est donner à chacun le droit de s’exprimer et à chacun un espace où sa voix peut compter. » Nelson Mandela, Discours d’investiture, Pretoria, 10 mai 1994
Le 15 septembre, la communauté internationale célèbre la Journée Internationale de la Démocratie, instituée par la résolution A/RES/62/7 de l’Assemblée générale des Nations Unies en 2007. Cette journée rappelle l’importance de promouvoir la démocratie à travers le monde.
Le terme démocratie provient du grec ancien dêmos (peuple) et kratos (pouvoir). Il désigne un régime politique dans lequel l’autorité souveraine appartient au peuple, qui l’exerce soit directement, soit par l’intermédiaire de représentants librement élus. Les fondements essentiels de la démocratie reposent notamment sur l’égalité politique, la liberté d’expression et d’information, la séparation des pouvoirs ainsi que la protection effective des droits fondamentaux.
La démocratie est aussi une idéologie politique fondée sur la conviction que la légitimité naît de la participation citoyenne, que la liberté et les droits civils favorisent la justice et le progrès, que le pouvoir doit être limité par des contre-pouvoirs, et que la pluralité et la responsabilité sont essentielles à la stabilité et à la prospérité.
Contrairement à l’idée répandue selon laquelle la démocratie aurait été « importée » en Afrique, plusieurs sociétés précoloniales pratiquaient déjà des formes de gouvernance participative, consensuelle et régulée. Ces systèmes, bien que différents des démocraties modernes, incorporaient des principes de rotation du pouvoir, séparation des autorités, responsabilité des dirigeants et inclusion citoyenne. Nous pouvons citer le système Gadaa (Oromo, Éthiopie) qui organisait la société Oromo autour de classes d’âge successives qui accédaient au pouvoir pour des mandats de huit ans. Comme l’explique Asmarom Legesse (1973, p. 8). Un autre exemple est celui des Yorubas dans l’empire d’Oyo (Nigeria, Bénin), le roi (Alaafin) était soumis au contrôle du Conseil des Oyo Mesi qui pouvait le déposer (Smith, 1969, p. 74).
Aujourd’hui encore, une majorité d’Africains expriment leur attachement aux élections libres, à la reddition de comptes et aux libertés politiques, selon Afrobarometer (2023), Cependant, beaucoup se disent insatisfaits de la qualité démocratique effective. Certes des progrès existent comme le démontrent les alternances pacifiques dans la majorité des pays, mais des reculs persistent lorsque les manipulations électorales, la restriction des libertés et la concentration du pouvoir exécutif deviennent le mode de gouvernance (Freedom House, 2023).
Le Prix Nobel Amartya Sen affirme qu’« aucune famine n’a jamais dévasté un pays doté d’un régime démocratique et d’une presse libre dans l’histoire du monde », soulignant que la liberté d’information et la responsabilité politique contraignent les gouvernements à agir rapidement face aux crises, réduisant ainsi les coûts sociaux et économiques (1999, p. 16).
Selon Acemoglu, Naidu, Restrepo et Robinson (2019), la démocratisation accroît en moyenne le PIB par habitant d’environ 20 % à long terme (25 ans et plus). Les auteurs montrent que la démocratie favorise l’investissement dans l’éducation, la santé et les infrastructures, améliore la collecte fiscale et renforce la crédibilité des politiques publiques. Ces résultats contredisent l’idée, encore répandue dans certains pays, selon laquelle l’autoritarisme offrirait un raccourci au développement. L’expérience comparée confirme au contraire que la démocratie constitue un levier stratégique pour une prospérité durable, comme le démontrent les trajectoires de l’île Maurice et du Botswana.
Ma conviction est qu’il existe trois volets sur lesquels l’Afrique devrait impérativement miser pour consolider la paix, la stabilité et la prospérité auxquelles aspirent ses peuples.
– Le premier concerne l’organisation d’élections crédibles et la garantie d’une presse libre. Sans ces deux piliers, la confiance dans les institutions s’effrite, les crises politiques se multiplient et l’attractivité pour les capitaux étrangers s’amenuise.
– Le second volet réside dans la stabilité réglementaire et la primauté de l’État de droit. La justice constitue la clé de voûte de toute démocratie véritable. En garantissant l’État de droit, elle veille à ce que nul, pas même les dirigeants, ne soit au-dessus de la loi. En tant que contre-pouvoir, elle équilibre les institutions et protège les citoyens contre les abus. Une justice indépendante et impartiale renforce la confiance du peuple, en plus de constituer un levier majeur de développement économique : en assurant la sécurité juridique et la prévisibilité des règles, elle attire les investissements et favorise un climat d’affaires stable, essentiel à la prospérité durable.
– Enfin, le troisième élément repose sur la participation citoyenne. Aucune réforme ne peut prétendre à la légitimité si elle est conçue sans concertation ; l’inclusion des populations dans la définition et la mise en œuvre des politiques publiques renforce non seulement leur efficacité, mais aussi leur durabilité. C’est à l’intersection de ces trois dynamiques que se construit un avenir africain véritablement pacifique, stable et prospère.
La démocratie n’est pas une option ou un luxe pour nos sociétés émergentes, mais une condition stratégique de développement durable. Les exemples historiques et contemporains montrent qu’elle possède des racines africaines profondes et qu’elle demeure aujourd’hui un levier essentiel de prospérité et de stabilité.
Pour les générations futures, nous avons la responsabilité collective de défendre, renforcer et promouvoir la démocratie en Afrique, non seulement comme système politique, mais comme un cadre de dignité, de participation et de justice. Car au-delà des chiffres de croissance brandis pour légitimer l’autoritarisme, c’est l’humain qui doit primer : une croissance qui ne respecte pas les droits fondamentaux, qui nie la liberté et qui exclut les citoyens de la décision n’est ni durable ni véritablement porteuse de progrès.
Dans cette perspective, l’African Legacy Institute (ALI), dont je suis co-fondatrice, s’est donné pour mission d’honorer et de préserver l’héritage démocratique des anciens présidents africains. Aujourd’hui, il y a près de quarante anciens chefs d’État démocratiquement élus encore en vie, ayant transmis le pouvoir pacifiquement conformément aux constitutions de leurs pays. Cette réalité est une source de fierté et un capital politique précieux : elle rappelle que l’Afrique possède déjà en son sein des traditions d’alternance et de gouvernance respectueuse des règles démocratiques. En valorisant cet héritage, l’ALI entend inspirer les générations futures et consolider le socle démocratique indispensable au développement durable du continent.
𝐑𝐄𝐅𝐄𝐑𝐄𝐍𝐂𝐄𝐒 :
ONU (2007). Résolution A/RES/62/7 instituant la Journée internationale de la démocratie.
Mandela, N. (1994). Discours d’investiture, Pretoria, 10 mai 1994.
Sen, A. (1999). Development as Freedom. Oxford University Press.
Acemoglu, D., Naidu, S., Restrepo, P., Robinson, J. (2019). Democracy Does Cause Growth. Journal of Political Economy, 127(1), 47–100.
Legesse, A. (1973). Gada: Three Approaches to the Study of African Society. New York: Free Press.
Smith, R.S. (1969). Kingdoms of the Yoruba. London: Methuen.
Freedom House (2023). Freedom in the World Reports.
Afrobarometer (2023). Africans want more democracy, but supply remains limited.